De la culture générale à la dissertation
Avant de considérer la démarche permettant d’élaborer une dissertation, peut-être est-il bon de se demander brièvement ce qu’est la culture générale, puisque cela conditionne directement les exercices que l’on attend de vous.
La culture générale ne correspond à aucune discipline institutionnelle et comme telle consacrée dans notre tradition universitaire par un cursus et des diplômes. Significativement elle n’est dispensée par aucun professeur de culture générale. Les étudiants des classes préparatoires commerciales ont généralement affaire à deux professeurs, l’un de Lettres, l’autre de Philosophie, disciplines clairement identifiées par des exercices, des démarches, des exigences propres.
D’où le malaise de certains étudiants qui se demandent, parfois à juste titre, si l’on attend d’eux une dissertation philosophique ou littéraire. Pour les soulager de ce malaise, il nous faut donc tenter de préciser la spécificité de la culture générale et en tirer les conséquences sur l’épreuve de dissertation.
I - La culture générale : le bonheur est tout près !
L’adjectif “générale” évoquant le caractère de ce qui est indéterminable par quelque spécialité, le substantif désignant ce qui fait par définition le propre de tout être humain, la culture générale caractériserait tout être humanisé dans un monde spécifique, mais suffisamment ouvert pour dépasser le cadre de sa propre culture d’origine. Nul n’est alors besoin d’une préparation à une épreuve à laquelle nous serions tous toujours déjà prêts. Or à l’évidence l’exercice ne va pas de soi.
L’ambiguïté du mot “culture” est ici, bien sûr, en cause. Si la culture est le propre de toute être humain, par opposition aux êtres de la nature qui sont immédiatement tout ce qu’ils sont, le terme désigne un approfondissement, une réappropriation de ce qui constitue notre propre, la culture justement. Qu’est-ce à dire ?
Appartenant à une culture où le cinéma tient depuis longtemps une large place, beaucoup ont, par exemple, pour habitude d’aller de temps en temps au cinéma : cela fait partie de notre culture, et le terme désigne ici le monde particulier au sein duquel nous avons été humanisés. Ce n’est pas pour autant que nous avons une culture cinématographique. Une telle culture suppose un approfondissement par une travail de réflexion : on se documente avant d’aller voir tel film, et après l’avoir vu on en discute, on l’analyse, éventuellement on va voir les autres films du même réalisateur, etc. Toute une activité plus ou moins systématique et méthodique se déploie autour et en retour : ainsi se constitue la culture d’un homme cultivé.
Trois concepts se dégagent ainsi : la nature, la culture au sens large, la culture au sens qui nous intéresse ici. Le deuxième terme est cependant très ambigu : la nature est le domaine de l’immédiateté, ce qui est naturel n’est pas médiatisé par une activité de conscience ; à la nature s’oppose la culture, domaine de l’humanité dont la propriété est la conscience, et par là, la culture prend la forme des sociétés humaines, milieu particulier d’humanisation de tout homme. Mais cette culture peut d’une certaine façon être rattachée au naturel, car les cultures sont bien un phénomène naturel au sens où personne n’a jamais décidé un jour de les créer par un acte conscient et positif émanant de sa volonté. D’ailleurs c’est naturellement que nous appartenons à telle ou telle culture, sans effort ni réflexion de notre part. C’est en cela que “notre coutume” est une seconde nature... à moins que notre nature ne soit une première coutume, ainsi que le signale Pascal. En revanche la culture qui caractérise l’homme cultivé suppose toujours la médiation d’une activité de réflexion, exigeante, soucieuse de méthode.
La culture générale est donc cet approfondissement de notre vérité d’être humain, donc de culture : elle vise à transformer une passivité (l’être d’une culture que je suis) en activité de réflexion et de réappropriation (je me cultive), le fait en liberté (si je ne choisis pas d’appartenir à telle culture, je choisis les voies d’approfondissement qui fond de moi un homme cultivé). Tout serait déjà dit dans le nom du premier homme, puisqu’il existe en hébreu un lien étymologique entre le sol «’adamah» et l’homme «’Adam». Le premier homme est tiré de la terre vers laquelle il doit faire retour : il doit la cultiver et y retourner ; mais réciproquement l’homme est comme une terre en friche qu’il s’agit de cultiver par l’activité de réflexion.
Pourquoi cette culture doit-elle être générale ? L’adjectif signale ici l’absence de tout parti-pris, de tout préjugé dogmatique. Si nous ne sommes humains que dans et par la relation à autrui, ma réflexion doit être telle que rien de ce qui est humain ne doit m’être a priori étranger. Pas de culture générale sans une réelle curiosité intellectuelle, à l’opposé d’une polarisation bornée. Si j’appartiens de fait à une culture, en me cultivant je désigne que ma culture véritable n’est pas une relation de simple dépendance au monde qui m’a humanisé, mais une terre toujours promise, toujours à venir, puisqu’on n’en finit jamais de se cultiver.
Mais la réflexion ne peut revenir, par définition, que sur ce qui est déjà là. Il s’ensuit que la culture générale s’appuie, non sur un vécu particulier et ses expériences souvent anecdotiques, mais sur les “phares”, les grandes pensées et oeuvres qui constituent le patrimoine de l’humanité. Reconnues par une longue tradition, c’est à dire par des générations d’hommes, elles ont nécessairement quelque chose d’essentiel à nous apprendre sur notre condition.
Si le bonheur réside dans l’accomplissement d’un être conformément à ce qu’il doit être (“Deviens ce que tu es !”), alors le bonheur est effectivement tout près (et non pas tout prêt), il ne va pas sans culture générale puisque se cultiver ce n’est jamais que s’accomplir.
II - La dissertation et la culture générale.
Ces propos éclairent ce que l’on attend de vous.
Remarquez d’abord que, significativement, les notions au programme se rapportent toujours à des grands thèmes existentiels : ils nous concernent toujours pour autant que l’on revienne sur l’existence par la réflexion.
Cette réflexion est aidée par une double formation: philosophique et littéraire. Pourquoi ? Et quelles conséquences en tirer ?
La philosophie est école de rigueur dans le questionnement ; l’exercice de conceptualisation y est fondamentale. Mais le concept n’épuise pas la vie, et la philosophie via la phénoménologie nous le rappelle. L’intelligence conceptuelle, la plus abstraite, n’est pas non plus toute l’intelligence. Le travail des oeuvres littéraires, cinématographiques, picturales, est développement de l’esprit de finesse : l’essentiel est parfois profondément compris parce que senti avant d’être représenté par l’intelligence conceptuelle. Ce double enseignement ne vise pas l’affirmation réciproque et conflictuelle de quelque monopole de l’intelligence ou de la sensibilité selon de vieilles distinctions d’école, mais un dialogue enrichissant les contenus spécifiques.
Vos devoirs doivent donc révéler deux qualités essentielles :
De là deux types de devoirs lourdement pénalisés :
Certains devoirs conjuguent les deux défauts, ainsi de ceux dont on sent bien qu’ils alignent mécaniquement, sans tenir le moindre compte du sujet, l’exposé ridiculement panoramique de trois systèmes philosophiques ou de trois oeuvres littéraires selon une religion du plan en trois parties.
Dans tout cela il n’y a bien sûr aucune culture puisqu’il n’y a aucun travail de la pensée, aucune pensée attentive, aucune rencontre des problèmes auxquels se heurte toute quête de sens.
Nous verrons dans un second comment construire une dissertation de Culture Générale, avant d'illustrer notre propos par un sujet commenté et rédigé.