La dissertation de Culture générale
Votre travail s’organise en trois temps : l’accueil du sujet et le travail préparatoire ; l’élaboration d’une problématique ; la rédaction du devoir. Nous envisagerons successivement ces trois moments.
I - De l’accueil du sujet au travail préparatoire.
Pas d’accueil véritable sans l’ascèse d’une retenue !
Que signifie cette formule trop énigmatique pour certains?
Accueillir, c’est s’ouvrir à ce qui vient. Or la plupart des candidats avant toute prise en considération véritable du sujet, s’en empare pour y plaquer ce qu’ils savent déjà : le souvenir d’un chapitre de cours, la connaissance de tel texte, de tel auteur. Le sujet n’est plus qu’un alibi, il se réduit à un ou deux termes qui captent indûment toute l’attention de l’étudiant. La première chose à faire est donc de rester disponible aux possibilités de sens d’un énoncé au lieu d’immédiatement les réduire. Il faut donc se retenir de tout effort de mémoire, de toute reconnaissance immédiate par identification, assimilation réductrice vous ramenant vers des sentiers trop connus. Si vous lisez un sujet en vous disant « c’est classique, je connais ; j’ai déjà vu tout ça, pas de problèmes ! », vous courez à la catastrophe. Cela éclaire la déception de tant de candidats devant leur résultat, alors qu’ils ont eu le sentiment d’une épreuve sans difficulté... parce qu’ils n’en ont pas vu l’originalité.
Le travail sur le sujet se ramène donc à deux problèmes :
II - Comment examiner un sujet ?
Quatre types de sujet sont possibles : un terme, un couple de termes, une question, un énoncé assez court, parfois sous forme de citation.
1 - Un terme.
Ce type de sujet déroute les étudiants qui ne savent pas par “quel bout” commencer. Si ce terme vous est proposé, c’est qu’il est porteur d’ambiguïtés de sens, de valeur. Vous devez :
Ces oppositions et/ou nuances peuvent être également déterminées par les expressions de la vie courante : que veut-on dire par la formule “courageux, mais par téméraire !”. L’intérêt de ces expressions vient de ce qu’elles évoquent le terme dans des contextes communicationnels qui en éclairent le sens. Cela permet à votre propos de s’ancrer dans la réalité des usages... et de vous protéger de tout délire !
Ces mêmes expressions révèlent également les ambiguïtés de sens d’un même terme, mais aussi les ambiguïtés de valeur. Soit le verbe “servir”. Son examen selon la démarche indiquée ci-dessus conduit à remarquer qu’il se rattache bien sûr à l’idée de servitude vs la liberté, et qu’il est donc entaché de connotation péjorative. Servir, c’est souvent être asservi : dans une machine telle pièce sert à remplir telle fonction en tant qu’elle est asservie à l’ensemble ; le serviteur apparaît comme un souvenir de l’esclave. Mais pourtant on parle bien de “service public”, de “service religieux”, et quand on répondait autrefois “Serviteur, Monsieur”, c’était pour manifester que l’on s’obligeait (vs contrainte) à rendre service de son propre chef à autrui. Servir évoque donc la négation de la nature humaine et le service prend la forme de la violence : si l’on sert (on sert quelqu’un, à quelque chose), c’est qu’on n’a pas le choix ; mais simultanément le verbe évoque la capacité humaine à se transcender, à se mettre librement au service. Les expressions “service public”, “service militaire”, “service de Dieu” permettent de préciser ce qui justifie une telle démarche.
L ’étymologie peut également être éclairante. Il est utile de savoir, par exemple, que le terme de “religion” vient de relegere (recueillir, mais aussi rassembler) et non de religare (relier) ; “séduire” vient de seducere qui signifie conduire à part, détourner, séparer, et non conduire à soi.
Reste cependant le cas, assez exceptionnel, où le terme fait également signe vers une référence philosophique ou littéraire : comment réfléchir sur le doute sans penser à Descartes ?
2 - Un couple de termes.
Les remarques précédentes restent valables, mais leur champ se restreint par la relation à établir entre les deux termes. Par exemple, “douter, soupçonner”, “persuader, convaincre”, “l’exploration, l’expédition”, “L’Etat, la Patrie”, etc.
Il s’agit par delà les distinctions ci-dessus de déterminer le terrain des relations entre les deux termes : ils ne peuvent en effet être comparés et distingués que sur une même plage d’identité où se jouent la spécificité de leur relation.
Si l’on prend “persuader, convaincre”, on retiendra avant tout des deux termes les éléments pertinents sur le champ qui permet de les réunir : ce sont deux modalités de l’argumentation visant à obtenir l’adhésion d’autrui. Votre attention devra porter sur les effets de sens, les valeurs, qui pour chaque verbe précisent la relation à l’objet de l’argumentation, la relation à autrui, les moyens mis en oeuvre dans le discours et autour du discours, etc.
3 - Une question.
La formulation d’un sujet sous forme de question est hybride, car soit la question fait signe vers ce que l’on vient de dire, soit vers ce que l’on va dire. En effet, les questions proposées comme sujets de concours consistent le plus souvent soit à vous interrogez sur la relation de deux termes avec un même troisième ( “L’art : outrage ou agrément ?”, “Le droit, expression de la volonté générale : mythe ou réalité ?” ), soit à vous proposer une question dont la formulation est suffisamment élaborée pour être digne des remarques concernant les énoncés et/ou citations.
4 - Le sujet sous forme d’énoncé assez court.
La formule ci-dessus n’est certes pas très heureuse, mais elle vise simplement à distinguer ce type de sujets des trois autres, car il pose des problèmes spécifiques. Vous devez :
Mais dans un énoncé, les différents termes entrent dans des relations syntaxiques. Si vous vous limitez à une simple analyse des termes, vous ne vous en sortirez pas, car vous allez vous trouver devant trop d’éléments disparates. Le champ important des ambiguïtés de valeur, de sens, est ici réduit par la mise en relation des termes : employé avec tel adjectif, tel mot ne peut plus, par exemple, prendre les sens qu’il pourrait avoir en emploi absolu.
Par exemple, dans le sujet “Je sens donc je suis”, certains étudiants ont cru bon d’entendre par “je suis”, la première personne du présent du verbe suivre. On tombe ici dans la sophistique, car à l’évidence la mise en relation de “je suis” avec “je sens” fait écho à la formule cartésienne et donc au verbe être.
Sauf pour les termes-clés, il ne s’agit plus ici de travailler sur des termes isolés, mais sur des groupes et leurs relations, surtout si elles sont ambiguës. Proscrivez l’analyse à visée exhaustive où l’on prétend analyser chaque article ! En revanche concentrez-vous sur les termes-clés (ie lourds de sens par rapport à votre programme), leurs relations, et la valeur des mots de liaisons (valeur du “ou” - équivalence, alternative- ; relation d’implication réciproque ou non, etc.). Faites attention à la construction génitive, souvent ambiguë : l’expression “ une métaphysique de la langue française” peut signifier soit une conception métaphysique ayant pour objet la langue française (génitif objectif), soit une métaphysique véhiculée par la langue française (génitif subjectif).
Ce travail exploratoire, en dépit de la longueur de nos remarques, doit être très rapide. Il conduit à élargir les possibilités de sens, donc les ambiguïtés, d’un sujet qui apparaissait au premier abord comme assez évident. Il permet de répondre à la question que tout candidat se pose en rencontrant tel énoncé de sujet : “qu’est-ce que cela peut dire ?”
Cette étape indispensable ne constitue pourtant pas l’essentiel : il s’agit maintenant de déterminer les enjeux du sujet.
III - Comment déterminer les enjeux ?
Ici commence l'organisation de votre réflexion. Le sujet pose des problèmes, il faut les articuler logiquement pour vous faire une idée et parvenir à un engagement ferme et précis.
La problématique passe par plusieurs phases, qui ne correspondent pas forcément à autant de parties de votre devoir.
Il faut commencer par définir un niveau de pertinence simple du propos. C'est là que le travail précédent vous est utile. Ce niveau de pertinence pour ne pas rester superficiel, doit dégager les présupposés du sujet, c'est à dire tout ce qu'il faut implicitement poser ou admettre pour que ce soit cohérent. Il s'agit donc de montrer en quoi tel concept implique et/ou présuppose nécessairement tel autre. Il s'agit de procéder par déductions nécessaires, alors que le plus souvent les étudiants plaquent artificiellement des éléments de cours.
C'est là que le travail précédent vous est utile. Ce niveau de pertinence pour ne pas rester superficiel, doit dégager les présupposés du sujet, c'est à dire tout ce qu'il faut implicitement poser ou admettre pour que ce soit cohérent. Il s'agit donc de montrer en quoi tel concept implique et/ou présuppose nécessairement tel autre. Il s'agit de procéder par déductions nécessaires, alors que le plus souvent les étudiants plaquent artificiellement des éléments de cours.
Cette première phase achevée, vous avez véritablement écouté le sujet et vous savez ce qu'il peut vouloir dire. Mais les présupposés qui verrouillent logiquement le propos ne sont jamais que les équivalents d'axiomes. Comme tels, on peut en changer. D’un point de vue autre, selon d'autres présupposés, le propos est évidemment discutable.
A l'issue de cette deuxième phase, vous avez pris de la distance, celle d'un point de vue autre, extérieur aux présupposés initiaux, pour montrer les limites du propos.
Est-ce à dire qu'il ne vaut que bien peu ? Il faut alors reconstruire un niveau de pertinence, le vôtre, par lequel vous allez montrer que le propos peut faire sens en échappant aux limites dégagées dans la deuxième phase, sans pour autant revenir à la première.
Tout ce travail n'est jamais qu'un art du dialogue, un cheminement dialectique : il y a toujours une pensée qui me précède et qui s'offre à ma rencontre (le sujet). Je la fais mienne non en la réduisant, non en la mettant à ma portée, mais en cherchant sa cohérence, je la comprends, mais c'est tout autant moi qui suis compris en elle. Puis je m'en retire, m'y opposant par une distance critique, je me pose comme autre. Et Pourtant, par-delà cette opposition, je reconstruis un niveau de pertinence, point d'accord entre le sujet et moi-même, puisqu'en quelque sorte cette troisième phase n'est pas la somme arithmétique des deux premières, mais l'intégration des deux dans une troisième. Une volonté générale en quelque sorte.
Quoi de plus simple qu'une dissertation, puisqu'il suffit de savoir mettre en oeuvre un dialogue.
Ces indications sont bien sûr des orientations méthodologiques. Comme telles, elles ont leur limite, qui sont les vôtres. En particulier elles ne sauraient devenir un cadre formel dans lequel faire entrer un discours rituel quel que soit le sujet. Très vite alors la forme se relâche en l'absence d'une pensée vivante, c'est à dire au travail. Jamais une méthode ne vous libérera de l'inquiétude qui préserve l'étonnement. Tout sujet de Culture Générale doit vous surprendre. Le rapport au sujet ne saurait donc être simplement formel. Un discours méthodologique échouerait à acheminer vers l'endormissement.
Il se décèle dans les copies à travers ce qu'un jury nomme, fort judicieusement, « les connexions molles comme « donc », questions vides, sans réponse, qui laissent le lecteur conclure lui-même à sa guise ». Il y a donc une étrange résonance (ou raisonnance ») entre rigueur et vigueur
Nous vous proposons dans une quatrième partie une application méthodologique sur un sujet de concours.