Synthèse de textes : Exemples d'applications

Nous vous proposons l’application de ce qui a été déterminé ci-dessus sur un sujet ESCP. Les textes proposés sont suivis d’une copie rédigée par un étudiant et ayant obtenu 19/20.

I - Etude et synthèse de textes.

Vous présenterez, en 300 mots (tolérance de 10% en plus ou en moins), une synthèse des trois textes ci-après, en confrontant, sans aucune appréciation personnelle et en évitant autant que possible les citations, les divers points de vue exprimés par leurs auteurs.

Indiquez, en fin de copie , le nombre de mots utilisés.

Texte 1

Le survol du temps et de l’espace a laissé entrevoir une constante relation de complémentarité entre les sexes. La distribution des pouvoirs oscille entre l’équilibre presque parfait et l’inégalité la plus flagrante. Elle commande le respect mutuel ou l’oppression brutale. Même lorsque s’imposa ici ou là le patriarcat absolu, avec la volonté d’accaparer tous les pouvoirs et sa logique d’exclusion, l’homme marqué du signe positif et la femme du signe négatif n’en n’ont pas moins continué à se partager le monde. Même nanti de tous les privilèges et se voulant maître de la femme, l’homme devait encore composer avec celle dont dépendait sa reproduction, la gestion du quotidien et la paix avec les autres hommes.

Dans les sociétés occidentales, plus exigeantes que d’autres sur le chapitre de la démocratie, les femmes ont profité de l’idéologie dominante pour mettre fin à la relation inégalitaire qui les unissait aux hommes. Leurs fonctions traditionnelles dépréciées, elles n’ont pas voulu se contenter de l’antique distinction des rôles, même également partagés et revalorisés. En combattant de toutes leurs forces le modèle complémentaire dont on a vu qu’il distingue l’homme du primate, elles ont ainsi fait naître un type de relations entre les sexes sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Le monde est de moins en moins partagé en sphères féminines ou masculines qui se complètent, mais offrent un aspect uniforme auquel chaque sexe a également accès. La question de l’égalité devient insensiblement cette de la spécificité de l’Un et de l’Autre.

A ce jour, le modèle de la ressemblance, allant de pair avec un repli sur soi, semble avoir dissous  la question du pouvoir. Dieu n’étant plus un enjeu pour l’Occident, il devient impossible de dire quels sont les pouvoirs d’un sexe sur l’autre, dès lors qu’ils accèdent tous deux aux sphères économique, politique, sociale, culturelle, etc. Apparemment, il ne subsiste qu’un seul type de pouvoir s’exerçant d’individu à individu: la faculté d’indifférence qui se déduit de notre liberté. On peut ne pas se lier comme on peut se séparer. Mais cette liberté-là n’est pas le pouvoir d’un sexe sur l’autre puisqu’il appartient à tous les deux.

Reste une différence essentielle qui s’est muée, grâce à la science, en inégalité fondamentale. Que les femmes portent les enfants des hommes est la constante « naturelle » qui les relie aux plus lointaines de leurs ancêtres et les distingue des hommes. Mais à la faculté éternelle de procréation s’est ajouté un pouvoir exclusif de décision sans aucune contrepartie pour la gent masculine. Même si les femmes n’abusent que rarement de leur pouvoir, les hommes savent bien qu’elles le détiennent. Admettront-ils longtemps de tout partager avec elles, sauf peut-être l’essentiel, leur reproduction, et tout d’abord la décision de procréer ? Non seulement l’idéal égalitaire de la ressemblance leur a fait perdre toutes leurs spécificités traditionnelles, mais la découverte de la contraception les met objectivement en état d’infériorité. S’ils désirent un enfant dont leur compagne ne veut pas, il leur faut s’incliner.

De leur point de vue, l’égalité des sexes est un leurre dès qu’ils ont le sentiment d’avoir tout cédé sans compensation. D’ailleurs, beaucoup ne sont pas loin de penser qu’ils ont été floués. On comprendrait qu’ils vivent secrètement cette nouvelle étape avec des sentiments analogues à ceux éprouvés par les femmes lorsque régnait le Patriarcat  Absolu, à savoir une dépossession de leurs pouvoirs.

En revanche, on peut s’étonner du silence des hommes depuis le début de cette mutation extraordinaire qui a commencé voilà vingt ans. Ni livres, ni réflexions en profondeur sur leur condition nouvelle. Ils restent muets, comme tétanisés par une évolution qu’ils ne contrôlent pas. A côté de ceux qui font mine de nier le changement, et d’une poignée d’individus qui militent pour une véritable égalité parentale, nous ne constatons aucune prise de conscience masculine collective sur le nouveau rapport des sexes. Ils le nient, le subissent ou régressent silencieusement.

Le silence de la moitié de l’humanité n’est jamais de bon augure. Il faut donc s’attendre, à plus ou moins long terme, à une réponse des hommes au changement qui leur a été imposé. Celle-ci dépendra à coup sûr de la façon dont ils règleront leurs problèmes d’identité ou au contraire seront-ils plus angoissés quant à l’assurance de leur virilité ?

Elisabeth BADINTER
"L’un et l’autre" Ed. Odile Jacob, 1986.

 

 Texte 2

« Le même mot “amour”, écrivait Nietzsche, signifie deux choses différentes pour l’homme et pour la femme. » Chez elle, poursuit Nietzsche, l’amour est renoncement, fin  inconditionnelle, « don total de corps et d’âme ». Il n’en va nullement de même chez l’homme qui veut posséder la femme, la prendre, afin de s’enrichir et accroître sa puissance d’exister : « La femme se donne, l’homme s’augmente d’elle. » Simone de Beauvoir a écrit de belles pages sur la disjonction sexuelle des rôles passionnels, sur l’inégale signification de l’amour pour l’un et l’autre sexe. Au masculin, l’amour ne se donne pas comme une vocation, une mystique, un idéal de vie capable d’absorber le tout de l’existence : il est plus un idéal contingent qu’une raison exclusive de vivre. Tout autre est l’attitude de la femme amoureuse, laquelle ne vit que pour l’amour et ne pense qu’à l’amour toute sa vie, se construisant en fonction de l’aimé, seul et unique but de son existence ; « Je ne sais qu’aimer », écrivait Julie de Lespinasse. Et Germaine de Staël : « Les femmes n’ont d’existence que l’amour, l’histoire de leur vie commence et finit avec l’amour. » Simone de Beauvoir souligne certes, à juste titre, que dans la vie des femmes l’amour tient souvent beaucoup moins de place que les enfants, la vie matérielle ou les occupations domestiques. Il n’en demeure pas moins vrai que rares sont les femmes qui n’ont pas rêvé du « grand amour », rares sont celles qui, à un moment ou à un autre de leur vie, n’ont pas exprimé leur amour de l’amour. S’affirme chez la femme un besoin d’aimer plus constant, plus dépendant, plus dévorant que chez l’homme. D’où le désespoir féminin de la vie sans amour : « Déchue des grandeurs de l’amour, je suis aussi déchue de moi-même (...) je ne suis plus qu’une femme ordinaire », écrivait Constance de Salm.

Depuis des siècles  et de plus en plus depuis le XVIIIe siècle, la femme est valorisée comme être sensible destiné à l’amour ; c’est elle qui représente l’incarnation suprême de la passion amoureuse, de l’amour absolu et primordial. Au XVIIIe  siècle, Mlle de Lespinasse, Mme de La Popelinière, la princesse de Condé illustrent comme Juliette Drouet au XIXe siècle, l’amour idolâtre, l’abolition de soi dans l’autre, la totale dépendance envers l’aimé, le besoin d’aimer sans limite dans le dévouement absolu. Cette vocation féminine à l’amour sera d’innombrables fois exaltée au XIXe puis au XXe siècle par la culture de masse. « Je ne connais que l’amour et rien d’autre » : après Marlène Dietrich, Edith Piaf a prêté sa voix inoubliable à l’hymne féminin à l’amour, l’amour total dans la subordination à l’autre : « Je ferais n’importe quoi si tu me le demandais. »

Dans les sociétés modernes, l’amour s’est imposé comme un pôle constitutif de l’identité féminine. Assimilée à une créature chaotique et irrationnelle, la femme est censée être prédisposée par nature aux passions du cœur : « J’ai vu l’amour, la jalousie, la superstition, la colère portés dans les femmes à un point que l’homme n’éprouvera jamais ». Et Rousseau : Sophie « a le cœur très sensible et cette extrême sensibilité lui donne quelquefois une activité d’imagination difficile à modérer ».  Le besoin d’aimer, la tendresse, la sensibilité apparaissent de mieux en mieux comme des attributs plus spécifiquement féminins : « L’attendrissement, la compassion, la bienveillance, l’amour sont les sentiments qu’elle éprouve et qu’elle excite le plus souvent. » Dès l’âge classique, l’expression du sentiment est jugée chose plus adéquate au féminin qu’au masculin: les hommes sont tenus dans leurs révélations intimes à plus de réserve, plus de retenue, plus de contrôle que les femmes. Au XIXe siècle, Balzac proclame que « la vie de la femme est l’amour ». Parce que la femme, selon Michelet, ne peut vivre sans l’homme et sans foyer, son idéal suprême ne peut être que l’amour : « Quel est son but de nature, sa mission ? La première, aimer; la seconde, aimer un seul ; la troisième aimer toujours. »  Les visions traditionnelles de la femme comme être d’excès et de démesure, ainsi que les idéologies modernes refusant de considérer la femme comme un individu autonome vivant pour et par lui-même ont contribué à conjuguer étroitement identité féminine et vocation à l’amour. « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs des femmes dans tous les temps », écrit Rousseau : la division sexuelle des rôles affectifs s’enracine dans une représentation de la féminité dont l’essence est de se donner, d’exister pour l’autre, de dédier sa vie au bonheur de l’homme. En célébrant le pouvoir du sentiment  sur la femme, en la définissant par l’amour, les modernes ont légitimé son cantonnement dans la sphère privée: l’idéologie de l’amour a contribué à reproduire la représentation sociale de la femme naturellement dépendante de l’homme incapable d’accéder à la pleine souveraineté de soi.

On ne peut séparer la place privilégiée de l’amour dans l’identité et les rêves féminins de tout un ensemble de phénomènes où figurent en particulier l’assignation de la femme au rôle d’épouse, l’inactivité professionnelle des femmes bourgeoises et leur besoin d’évasion dans l’imaginaire. A cela s’ajoute également la promotion moderne de l’idéal du bonheur individuel et la légitimation progressive du mariage d’amour. A la fin du XVIIIe siècle se déploie ce que Shorter appelle la « première révolution sexuelle » s’accompagnant d’une attention plus grande envers ses propres sentiments, d’un engagement féminin plus complet dans la relation amoureuse, d’une « sexualité affective » privilégiant l’épanouissement de soi, l’amour romantique, le libre choix du partenaire au détriment des considérations matérielles et de la soumission aux règles traditionnelles. Avec pour conséquence l’augmentation de l’activité sexuelle préconjugale et le bond en avant des naissances illégitimes. Peu à peu, à mesure que l’usage d’imposer un mari aux jeunes filles régresse, celles-ci ont rêvé d’intégrer l’amour dans leur vie conjugale, elles ont aspiré à plus d’intimité dans les rapports privés, à entendre parler d’amour, à exprimer leurs sentiments. Point de jeune fille qui ne rêve d’être amoureuse, de rencontrer le grand amour, d’épouser le prince charmant. Le surinvestissement féminin de l’amour traduit la puissance accrue des idéaux de bonheur et d’accomplissement intime; aussi marqué soit-il par un rapport de dépendance de l’un vers l’autre, le phénomène n’en est pas moins l’expression de l’univers individualiste moderne.

Gilles LIPOVETSKY
 "La troisième femme" Ed. Gallimard, 1997.

 

 Texte 3

Il ne suffit (...) pas de remarquer que les femmes s’accordent en général avec les hommes (qui, de leur côté, préfèrent des femmes plus jeunes) pour  accepter les signes extérieurs d’une position dominée ; elles prennent en compte, dans la représentation qu’elles se font de leur relation avec l’homme auquel leur identité sociale est (ou sera) attachée, la représentation que l’ensemble des hommes et des femmes seront inévitablement conduits à se faire de lui en lui appliquant les schèmes de perception et d’appréciation universellement partagés (dans le groupe considéré). Du fait que ces principes communs exigent de manière tacite et indiscutable que l’homme occupe, au moins en apparence et vis-à-vis de l’extérieur, la position dominante dans le couple, c’est pour lui, pour la dignité qu’elles lui reconnaissent a priori  et qu’elles veulent voir universellement reconnue, mais aussi pour elles-mêmes, pour leur propre dignité, qu’elles ne peuvent vouloir et aimer qu’un homme dont la dignité est clairement affirmée et attestée dans et par le fait qu’« il les dépasse » visiblement. Cela, évidemment, en dehors de tout calcul, à travers l’arbitraire apparent d’une inclination qui ne se discute ni ne se raisonne, mais qui, comme l’atteste l’observation des écarts souhaités, et aussi réels, ne peut naître et s’accomplir que dans l’expérience de la supériorité dont l’âge et la taille (justifiés comme des indices de maturité et des garanties de sécurité) sont les signes les plus indiscutables et les plus clairement reconnus de tous.

Il suffit, pour aller jusqu’au bout des paradoxes que seule une vision dispositionnaliste permet de comprendre, de noter que les femmes qui se montrent les plus soumises au modèle « traditionnel » -en disant souhaiter un écart d’âge plus grand- se rencontrent surtout chez les artisans, les commerçants, les paysans et aussi les ouvriers, catégories dans lesquelles le mariage reste, pour les femmes, le moyen privilégié d’acquérir une position sociale ; comme si, étant le produit d’un ajustement inconscient aux probabilités associées à une structure objective de domination, les dispositions soumises qui s’expriment dans ces préférences produisaient l’équivalent de ce que pourrait être un calcul de l’intérêt bien compris. Au contraire, ces dispositions tendent à s’affaiblir -avec, sans doute, des effets d’hystérésis qu’une analyse des variations des pratiques non seulement selon la position occupée, mais aussi selon la trajectoire permettrait de saisir- à mesure que décroît la dépendance objective, qui contribue à les produire, et à les entretenir (la même logique de l’ajustement des dispositions aux chances objectives expliquant que l’on puisse constater que l’accès des femmes au travail professionnel est un facteur prépondérant de leur accès au divorce). Ce qui tend à confirmer que, contrairement à la représentation romantique, l’inclination amoureuse n’est pas exempte d’une forme de rationalité qui ne doit rien au calcul rationnel ou, en d’autres termes, que l’amour est souvent pour une part amor fati , amour du destin social.

On ne peut donc penser cette forme particulière de domination qu’à condition de dépasser l’alternative de la contrainte (par des forces) et du consentement (à des raisons), de la coercition mécanique et de la soumission volontaire, libre, délibérée, voire calculée. L’effet de la domination symbolique (qu’elle soit d’ethnie, de genre, de culture, de langue, etc.) s’exerce non dans la logique pure des consciences connaissantes, mais à travers les schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui sont constitutifs des habitus et qui fondent, en deçà des décisions de la conscience et des contrôles de la volonté, une relation de connaissance profondément obscure à elle-même. Ainsi, la logique paradoxale de la domination masculine et de la soumission féminine, dont on peut dire à la fois, et sans contradiction, qu’elle est spontanée et extorquée , ne se comprend que si l’on prend acte des effets durables  que l’ordre social exerce sur les femmes (et les hommes), c’est-à-dire des dispositions spontanément accordées à cet ordre qu’elle leur impose.

La force symbolique est une forme de pouvoir qui s’exerce sur les corps, directement, et comme par magie, en dehors de toute contrainte physique ; mais cette magie n’opère qu’en s’appuyant sur des dispositions déposées, tels des ressorts, au plus profond des corps. Si elle peut agir comme un déclic, c’est-à-dire avec une dépense extrêmement faible d’énergie, c’est qu’elle ne fait que déclencher les dispositions que le travail d’inculcation et d’incorporation a déposées en ceux ou celles qui, de ce fait, lui donnent prise. Autrement dit, elle trouve ses conditions de possibilité, et sa contrepartie économique (en un sens élargi du mot), dans l’immense travail préalable qui est nécessaire pour opérer une transformation durable des corps et produire les dispositions permanentes qu’elle déclenche et réveille; action transformatrice d’autant plus puissante qu’elle s’exerce, pour l’essentiel, de manière invisible et insidieuse, au travers de la familiarisation insensible avec un monde physique symboliquement structuré et de l’expérience précoce et prolongée d’interactions habitées par les structures de domination.

Les actes de connaissance et de reconnaissance pratiques de la frontière magique entre les dominants et les dominés que la magie du pouvoir symbolique déclenche, et par lesquels les dominés contribuent, souvent à leur insu, parfois contre leur gré, à leur propre domination en acceptant tacitement les limites imposées, prennent souvent la forme d’émotions corporelles  (honte, humiliation, timidité, anxiété, culpabilité) ou de passions et de sentiments (amour, admiration, respect) ; émotions d’autant plus douloureuses parfois qu’elles se trahissent dans des manifestations visibles, comme le rougissement, l’embarras verbal, la maladresse, la colère ou la rage impuissante, autant de manières de se soumettre, fût-ce malgré soi et  à son corps défendant, au jugement dominant, autant de façons d’éprouver, parfois dans le conflit intérieur et le clivage du moi, la complicité souterraine qu’un corps qui se dérobe aux directives de la conscience et de la volonté entretient avec les censures inhérentes aux structures sociales.

Les passions de l’habitus dominé (du point de vue du genre, de l’ethnie, de la culture ou de la langue), relation sociale somatisée, loi sociale convertie en loi incorporée, ne sont pas de celles que l’on peut suspendre par un simple effort de la volonté, fondé sur une prise de conscience libératrice. S’il est tout à fait illusoire de croire que la violence symbolique peut être vaincue par les seules armes de la conscience et de la volonté, c’est que les effets et les conditions de son efficacité sont durablement inscrits au plus intime des corps sous forme de dispositions. On le voit notamment dans le cas des relations de parenté et de toutes les relations conçues selon ce modèle, où ces inclinations durables du corps socialisé s’expriment et se vivent dans la logique du sentiment (amour filial, fraternel, etc.) ou du devoir qui, souvent confondus dans l’expérience du respect et du dévouement affectif, peuvent survivre longtemps à la disparition de leurs conditions sociales de production. On observe ainsi que, lorsque les contraintes externes s’abolissent et que les libertés formelles -droit de vote, droit à l’éducation, accès à toutes les professions, y compris politiques- sont acquises, l’auto-exclusion et la « vocation » (qui « agit » de manière négative autant que positive) viennent prendre le relais de l’exclusion expresse : le rejet hors des lieux publics, qui, lorsqu’il s’affirme explicitement, comme chez les Kabyles, condamne les femmes à des espaces séparés et fait de l’approche d’un espace masculin, comme les abords du lieu d’assemblée, une épreuve terrible, peut s’accomplir ailleurs, presque aussi efficacement, au travers de cette sorte d’agoraphobie socialement imposée  qui peut survivre longtemps à l’abolition des interdits les plus visibles et qui conduit les femmes à s’exclure elles-mêmes de l’agora.

Pierre BOURDIEU
 "La domination masculine" Ed. du Seuil, Coll. “Liber”, 1998.

 

II - Proposition de synthèse.

Il s’agit d’une copie d’étudiant à laquelle aucune modification n’a été apportée.

La note mise par le correcteur est de 19/20.

Le commentaire la justifiant est le suivant : "Synthèse bien construite. Textes bien compris."

Les femmes sont-elles soumises ?

Les femmes sont-elles soumises au pouvoir des hommes ?

Malgré l’apparente domination de l’homme, celui-ci, remarque Badinter, a toujours dû composer avec la femme. Dans les sociétés occidentales, les femmes ont même su mettre fin au rapport d’inégalité qui les unissait aux hommes. Lipovetsky estime en revanche qu’une conception de l’amour comme don de soi et dépendance totale envers l’homme a longtemps caractérisé la femme et a ainsi nié toute autonomie féminine. Bourdieu dépasse le débat en montrant que, paradoxalement, la dignité de la femme découle de  celle de son mari et donc de sa position dans le couple.

Les femmes sont-elles soumises à la domination de la société ?

Selon Badinter, chaque sexe a également accès aux différentes sphères d’activité. Les femmes échappent donc à une quelconque domination de la société. Lipovetsky pense au contraire que l’idéologie de l’amour et la tradition ont contribué à reproduire un modèle social dans lequel la femme est dépendante de l’homme. L’éducation a ainsi transmis cette domination tacite. Bourdieu rejoint Lipovetsky tout en ajoutant que cette reproduction sociale n’est pas le fait de mécanismes conscients mais relève de structures de domination profondément inscrites dans l’ordre social.

Les femmes sont-elles aujourd’hui devenues indépendantes ?

Selon Badinter, le rapport de force semble s’être inversé puisqu’aujourd’hui, en contrôlant la reproduction grâce à la contraception, la femme impose sa volonté à l’homme sans contrepartie. Si Lipovetsky s’oppose à Badinter en montrant le surinvestissement féminin de l’amour, il reconnaît que ce phénomène se produit dan un contexte moderne d’individualisme. Bourdieu,  quant à lui, démontre que, si toutes les expressions formelles de domination ont disparu, la prise de conscience libératrice et la volonté ne peuvent lutter contre les passions de l’habitus qui conduisent les femmes à s’auto-exclure.

Synthèse rédigée en 320 mots.

Quelques remarques pour conclure cette présentation méthodologique de la synthèse.

L’exemple proposé vous montre que le jury est prêt à mettre des notes très élevées à des travaux qui manifestent une bonne maîtrise méthodique de l’exercice.Tout notre propos est là pour vous y aider; mais il faut également de l’entraînement: il n’est pas du tout sérieux de se présenter aux concours en n’ayant fait que deux ou trois synthèses.

Vous remarquerez dans cette copie que les trois auteurs sont bien présents dans chacune des parties, mais aussi et surtout que le candidat évite l’effet catalogue par des petites formules qui situent les points de vue les uns par rapport aux autres. Il n’essaie pas de comparer les trois points de vue dans de longues phrases qui l’empêcheraient d’être suffisamment précis sur chacun d’eux. Tous ces conseils vous ont été donnés plus haut; à vous d’en faire le meilleur usage !

Enfin et comme dans le cas de la contraction, c’est à tort que l’on s’imagine que la synthèse serait un exercice “bêtement” technique.  La méthode ne suffit pas à comprendre les textes. Les sujets de synthèse portent toujours sur des grands débats de société, éclairés par des ouvrages qui ont marqué l’actualité culturelle. Il va donc de soi qu’un étudiant véritablement intéressé à ces débats est d’autant mieux à même de comprendre les textes proposés. La copie proposée montre que le candidat est, par exemple, manifestement à l’aise avec la pensée de Bourdieu, l’usage du concept d’habitus  le montre.