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Après la seconde guerre mondiale, on institue le GATT.
Cette institution a pour but de promouvoir le libre échange, conformément
à la vision libérale de commerce international. On met alors en
place des négociations commerciales (Tokyo Round, Uruguay Round), et on
instaure une clause fondamentale : la clause de la nation la plus favorisée.
Celle-ci stipule que tout accord préférentiel doit être appliqué
aux autres pays. Mais, à partir des années 1990, on assiste à
une floraison d'accords d'intégration régionale. Ainsi l'Alena est
crée en 1991., le Mercosur en 1992, et en 1993 se concrétise l'idée
du Marché Commun Européen. Ces accords d'intégration régionale
existent sur plusieurs degrés. Ainsi Balassa en a-t-il fait une typologie
allant de la simple zone de libre échange (suppression des barrières
douanières entre les pays membres) à l'Union économique et
monétaire (mise en place d'un tarif extérieur commun, libre circulation
des hommes, des marchandises et des capitaux dans la zone et coordination des
politiques économiques et monétaires).
Il s'agit ici de se demander si ces accords d'intégration régionale,
contraires au principe de libre échange du GATT, sont réellement
des sources de croissance (et si oui, en fonction de quel type de zone et pour
qui), ou si au contraire, elles peuvent être néfastes pour les économies
nationales ou régionales.
Nous allons donc voir dans un premier temps que les accords d'intégration
régionale peuvent freiner la croissance économique (car faussent
le jeu du libre échange mondial et peuvent rendre la croissance intrazone
inégalitaire), s'ils constituent un obstacle au libre échange, et
s'ils sont érigés dans une optique protectionniste. Dans un deuxième
temps, nous verrons en quoi les accords régionaux, s'ils sont précurseurs
du libre échange international, peuvent encourager la croissance économique.
Alors que les théories classiques du commerce international
prônaient l'ouverture internationale et le libre échange, on assiste,
deux siècles plus tard, à une sorte de " sélection
" de l'échange, en fonction de zones d'échange établies
de droit et non pas de fait. Cela ne risque-t-il pas de nuire à l'économie
mondiale, en faussant le jeu du libre échange ,et en créant, à
l'intérieur des zones des inégalités d'opportunités
de croissance ?
Avec la régionalisation des économies, il y a "détournement
de l'échange naturel ". Cette idée de détournement
a été énoncée par Jacob Viner dans son modèle.
Il signifie par cette expression que la régionalisation " détourne
" un échange qui devrait bénéficier à un pays
tiers vers un membre de la zone. Supposons qu'avant l'institution d'une union
douanière en Europe, le prix mondial de tomates était de 3 francs
le kilo (plus 1.5 francs de droits de douane). Alors, à la recherche
du produit le plus avantageux, la France importerait des tomates au prix mondial.
Mais après l'union douanière, les droits de douane étant
abolis entre la France et la Grèce, il est plus avantageux d'importer
de Grèce, où le prix du kilo est à 4 francs. La baisse
du prix de 50 centimes accroît la satisfaction du consommateur français
et tend à faire augmenter la demande. Or selon la loi des rendements
décroissants, le coût, donc le prix des tomates grecques tendra
à augmenter (supposons que l'on passe à un prix de 4.5 francs),
alors que le prix mondial, souffrant de la baisse de la demande, tendra à
baisser (pour rejoindre 2.5 francs plus 1.5 francs de douane). Il y aura alors
détournement de commerce car la France importera des produits grecs,
pourtant plus chers que, au détriment du pays extérieur à
la zone qui pourtant propose un prix plus bas. Cette analyse peut expliquer
la crainte des pays du Tiers-monde de l'élargissement à l'Est
de l'Union européenne. En effet, les pays d'Europe centrale et orientale,
spécialisés dans les productions à forte intensité
en travail peu qualifié risquerait de détourner le commerce entre
l'Union européenne et les PED à leur profit, en entrant dans l'union.
D'autre part, Paul Krugman a énoncé la théorie des zones
naturelles (zones à l'intérieur desquelles, sans barrières
à l'échange ou accords préférentiels, les échanges
seraient plus intenses qu'à l'extérieur de la zone). Il constate
une inertie des échanges géographiquement, économiquement
et culturellement (effet d'agglomération). Or ces zones que l'on pourrait
qualifier " de fait ", sont contrariées par la mise en place
de " zones de droit ". Ainsi ,l'Alena, constituée des Etats-Unis,
du Canada et du Mexique, entrave peut être la croissance économique
du Mexique, qui aurait plutôt tendance à constituer une zone naturelle
avec les pays d'Amérique latine géographiquement et culturellement
proches. Son alliance avec des pays développés le confine dans
un commerce de " dernier rang ", en l'occurrence la production de
biens à faible intensité en travail qualifié, alors que
l'entrée dans la zone naturelle lui aurait peut être permis, grâce
à l'accroissement de la taille des marchés dans une zone, de faire
évoluer sa spécialisation pour la rendre plus dotée d'intensité
capitalistique et de travail qualifié, et ainsi d'augmenter son taux
de croissance.
On a vu que la régionalisation pouvait entraver la croissance des pays
non membres. Mais la croissance des pays peut même être entravée
à l'intérieur de la zone. Ainsi, la régionalisation, si
l'on prend en compte le troisième type de zone de la typologie de Balassa,
c'est à dire le marché commun, implique une libre circulation
des hommes, marchandises et capitaux. Les nations se retrouvent alors en concurrence
sur un même marché (le commerce intrabranche se développant
de plus en plus). Or, si l'on considère, comme les nouvelles théories
du commerce international, que les rendements sont croissants, alors une entreprise
étrangère, mais appartenant à la zone, si elle est au départ
très compétitive, risque d'obtenir une situation de monopole dans
l'autre pays et détruire ainsi la production de ce pays. Cette analyse
peut être explicitée par la situation analogue qui s'est produit
en France après 1993.Après la création du marché
commun, l'Espagne, plus compétitive dans la production de sucettes, et
plus innovatrice (satisfait le souhait de diversité du produit du consommateur)
en inventant la sucette " boule ", a pu aisément inonder le
marché français. On trouve actuellement 90% de sucettes espagnoles
" chupa chups " dans les étalages français, alors que
la marque " Pierrot ", en quasi monopole dans les années 1970-80,
n'est pratiquement plus représentée.
D'autre part, la croissance inégalitaire entre pays de la zone est également
observable en " micro-zones "de l'Union, c'est à dire entre
regroupements de pays à l'intérieur de la zone. On peut expliquer
ces regroupement par la théories des zones naturelles (les similitudes
économiques et culturelles renforcent les liens). Du fait, à l'intérieur
même de la zone, les échanges sont orientés, et les pays
quoique membres de la zone, qui sont exclut de ce groupe de préférence,
ne voient pas leurs échanges, donc leur croissance croître au même
rythme que les autres. Ainsi, au sein de l'union européenne, le commerce
est plus intense entre les six pays " fondateurs ", qu'entre ceux-ci
et la Grèce ou le Portugal. De la même façon, au sein de
l'OPEP, qui n'est qu'une organisation, on constate que le Nigeria, écarté
géographiquement et culturellement des pays d'Arabie Saoudite, prend
moins part aux négociations et conserve une production de pétrole
relativement basse, alors qu'elle possède de nombreuses ressources en
pétrole. Dans l'Union Européenne, les critères de convergence
nominale peuvent parfois constituer un obstacle à la croissance des pays
les moins développées.
Si la régionalisation peut entraver la croissance économique
des pays, elle contribue pourtant à accroître les taux de croissance,
par les effets de création de richesse.
Les théories du commerce international permettent de
comprendre pourquoi les accords d'intégration régionale peuvent
être source de croissance économique pour les membres de la zone,
et nous verrons dans un deuxième temps que les pays non membres peuvent
également bénéficier de retombées positives sur
leurs économies.
Selon la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, plus les avantages
comparatifs sont marqués, plus la spécialisation est efficace
et génératrice de profit. Ceci est d'autant plus vrai que les
structures de production sont proches. Or, ce sont des pays économiquement
proches qui se "régionalisent ". Ainsi, l'échange, à
travers la spécialisation est beaucoup plus profitable dans une zone
qu'entre pays n'appartenant pas à une même zone.
Mais l'échange ne se réduit pas à l'échange de marchandises.
Les investissements directs (ID) internationaux font aujourd'hui partie intégrante
du commerce mondial ; et la régionalisation favorise les investissements
directs de deux points de vue. Un pays membre multipliera ses ID vers une zone,
ayant confiance en la stabilité de celle ci. Ainsi la France a fait passer
ses ID vers l'Union Européenne de 20% des ID totaux en 1985 à
prés de 50% en 1997. Mais les investissements extérieurs sont
également attirés par la zone. Ainsi le Japon a fait passer ses
ID vers la zone Alena de 25% de ses ID totaux en 1982 à 42% en 1997.
Cet attrait pour les zones régionales est dû à l'accroissement
de la taille du marché impliqué.
Enfin, la régionalisation permet de développer le commerce intrabranche
et d'accroître la diversité des produits présents sur le
marché, donc la satisfaction du consommateur et, à priori, une
hausse de la demande. La régionalisation, par l'effet de concentration,
permet également la réduction des coûts fixes . En effet,
la fusion de deux centres de recherche nationaux en un centre régional
permet de diviser les coûts fixes par deux , tout en accroissant la productivité
du facteur travail, la concurrence sur la qualification jouant d'autant plus.
D'une façon plus générale, les effets de concurrence sur
tous les marchés intégrés permettent une augmentation de
l'effort d'innovation (source de croissance économique par le biais du
progrès technique), une réduction des coûts de production,
et une amélioration de la qualité. Tous ces facteurs de satisfaction
pour les consommateurs tendent à faire augmenter la demande, doc la production,
donc le taux de croissance.
Mais les pays non membres de la zone peuvent aussi parfois profiter des retombées
de la croissance économique de la zone.
Ainsi les économies d'échelle réalisées par la zone
se traduisent par une baisse des coûts, donc par une baisse du prix des
exportations vers l'extérieur. Les pays-tiers bénéficiant
de cette baisse des prix, pourront réallouer leurs capitaux à
des efforts de recherche-développement, ou répercuter la baisse
des prix de la zone sur leur marchés, et ainsi accroître le pouvoir
d'achat des consommateurs.
De la même façon, les économies d'échelle réalisées
par les pays membres de la zone permettent aux entreprises d'augmenter les salaires,
donc la demande d'importation adressée notamment aux pays non membres.
L'augmentation de la production de ceux ci se traduit par une hausse du taux
de croissance.
Enfin, les firmes étrangères qui investissent ou s'implantent
dans la zone bénéficient des mêmes avantages commerciaux
que les firmes de la zone. Ainsi Toyota a implanté une usine en France
et peut ainsi avoir accès à tout les marchés automobiles
de l4union européenne, sans avoir à payer de droits de douane.
Les rentes par contre, seront rapatriées dans le pays d'origine qui verra
ainsi son taux de croissance augmenter.
Cette étude nous a montré que selon les hypothèses appréhendées,
les accords d'intégration régionale pouvaient soit être
facteurs de croissance pour les pays membres ou non membres de la zone, soit
au contraire gêner la croissance économique des pays tiers ou de
certains pays membres . Mais il faudrait encore étudier d'autres facteurs
favorables à la création de richesse, tels que la protection initiale
élevée, ou une forte intégration initiale. Et malgré
ces études complémentaires, il faudrait différencier les
études pour chaque types de zone (typologie de Balassa), et pour chaque
caractéristique (culturelle, de la production régionale) des zones.
En fin de compte, une analyse empirique conduit à des résultats
incertains. La preuve en est qu'aujourd'hui on assiste encore à un affrontement
politique entre multilatéralisme et régionalisation. On ne peut
conclure qu'en disant que la régionalisation, si elle est précurseur
du libre échange, peut, avoir des retombées positives sur la croissance
mondiale. Et peut-on imaginer la formation d'autres blocs de telle sorte que
le libre échange ne s'effectue plus entre pays, mais entre zones régionales
?