La période des Dix Glorieuses aux Etats-Unis a été
marquée par une exceptionnelle croissance économique alliant plein-
emploi et développement des innovations dans le domaine des Nouvelles Technologies
de l'Information et de la Communication. L'innovation est issue du progrès
technique ou de l'investissement et a pour principale conséquence des gains
de productivité. Schumpeter distingue cinq formes d'innovation : l'innovation
du procédé de production, de marché, de produit, de matière
première et d'organisation du travail. On peut, de plus, définir
l'emploi d'un point de vue qualitatif, avec l'évolution de la structure
de la population active, et quantitatif avec l'apparition du chômage ou
à l'inverse du plein emploi.
On peut alors se demander dans quelle mesure l'innovation et ses conséquences
ont permis à l'emploi de se développer et d'évoluer afin
de participer à la dynamique économique et à l'évolution
sectorielle depuis les débuts de la Révolution Industrielle. De
plus, l'image des trente Glorieuses peut nous amener à nous demander si,
inversement, les modifications de la structure des emplois ont constitué
au développement des innovations
Ainsi après avoir vu que les innovations ont relancé et dynamisé
l'emploi, ce qui a permis la relation contraire et la naissance de cercles vertueux,
nous verrons que celle-ci ont eu des effets récessifs sur le marché
du travail mais que ces inégalités apparues ont, elles aussi, contribués
à la relance de l'innovation.
L'innovation, en stimulant l'emploi par une relance de la consommation
et la création d'activités et de nouveaux secteurs prospères
a contribué à instaurer un cercle vertueux de dynamisme économique
grâce aux effets bénéfiques de l'évolution du marché
du travail
Tout d'abord, l'emploi a bénéficié de l'innovation
grâce aux effets positifs de gains de productivité apparus sur
le pouvoir d'achat qui ont permis de modifier la structure de la consommation
et confirmé les théories des économistes qui insistent
sur le rôle de la demande.
L'innovation a toujours eu pour principal effet de dynamiser les gains de productivité.
Or, dans le cadre d'une économie de plus en plus mondialisé et
concurrentielle, ceux-ci ont permis un accroissement de la valeur ajoutée
qui a pu être redistribuée aux profits de tous les acteurs de l'entreprise.
Ainsi, par des politiques de baisser les prix et de hausse des salaires, les
entreprises, notamment durant les Trente Glorieuses ou encore avec le "
five dollars days " de Ford, ont contribué à la relance de
la croissance qui nécessite de l'emploi.
D'autant plus que la structure de la consommation a évolué et
a déplacé la demande vers de nouveaux secteurs. Ainsi, suivant
la loi d'Engel, la progression du pouvoir d'achat a tout d'abord bénéficié
aux besoins primaires. Cependant, ceux-ci ont une inélasticité
revenue faible, ce qui a provoqué un déplacement de la consommation
vers secteurs qui produisent des besoins secondaires et tertiaires
Cette relance de la consommation, issue des innovations, est une condition indispensable
au plein-emploi et aux luttes contre le chômage. Les théories insistent
d'ailleurs sur le rôle de la demande affective et sur le principe d'accélération
puisque la relance de la consommation va permettre une hausse amplifiée
de l'activité économique. On peut d'ailleurs ajouter que la théorie
de la régulation a insisté sur le fait que la sous-consommation
a entraîné la crise des années Trente.
De plus l'innovation a favorisé le développement
du marché de l'emploi en favorisant l'apparition de nouveaux secteurs
d'activités puisqu'elle a permis de répondre aux besoins et aux
manques des premières Révolutions Industrielles au XIXème
siècle, mais aussi a stimulé la pression créatrice théorisée
par les économistes du diversement et d'ailleurs l'absence d'innovation
est considérée comme facteurs de crise.
La fin du XVIIIéme et le début du XIXème siècle
sont marqués par les limites de la post industrialisation et le développement
des paysans "chômeurs" sans terre ( notamment avec la révolution
des enclosures en Angleterre ). Ainsi les innovations dans l'organisation du
travail ont permis et favorisé le développement d'une classe ouvrière,
née de l'exode rural, constituée de paysans sans terre en grande
majorité et rassemblée dabs des manufactures. De même, lors
de la Révolution Industrielles, les progrès techniques dans les
transports ont rendu possible désenlavement de certaines régions
et ainsi y a entraîné le développement de l'emploi et une
spécialisation. On peut citer le Languedoc qui se spécialise dans
la production vinicole avec l'apparition des chemins de fer.
De plus, Joseph Alois Schumpeter montre que le progrès technique entraîne
une pression créatrice puisque, comme nous l'avons vu précédemment
, la demande s'est déplacée au fur et à mesure depuis le
début du XIXème siècle du secteur primaire vers le secteur
tertiaire. La théorie du déversement, de Sauvy et Fourastié,
montre que l'emploi va lui aussi se développer dan le secteur tertiaire.
En effet les innovations y sont peu nombreuses et donc la hausse de la production
est supérieure aux gains de productivité ce qui entraîne
une hausse de l'emploi.
En dernier lieu si nous pouvons affirmer que l'innovation est source d'emploi
alors son absence est source de chômage. C'est ce que montre Mensch dans
son analyse de la crise de la fin du XXème siècle. Caractérisée
par une hausse continue du chômage, cette crise l'est aussi par un temps
de latence de plus en plus long entre les innovations.
Enfin, en stimulant l'emploi, la recrudescence des innovations a été
à l'origine d'un cercle vertueux car les effets positifs de l'emploi
ainsi créé ont relancé les gains de productivité
comme le symbolisent les Trente Glorieuses ou encore le développement
des nouvelles technologies impulsées aux Etats-Unis par la main d'uvre
qualifiée.
Le système de croissance Fordiste ( expression de GRAMSCI en hommage
à Henry Ford ) a été un formidable exemple des effets positifs
de l'emploi sur l'innovation. Caractérisé par une harmonie sociale
( théorie de la Régulation ), le modèle Fordiste a permis
d'allier consommation de masse et production de masse constituant une innovation
dans l'organisation du travail sans précédent. Le consensus social,
conséquence du plein emploi, a permis d'éviter les conflits sociaux
et a favorisé la division du travail et la spécialisation des
taches, créateurs et symboles d'innovation selon Adam Smith , qui dans
La Richesse des Nations, montrait que l'ouvrier cherchait sans cesse à
innover pour faciliter son travail.
De même, la période des Dix Glorieuses a été marquée
par un Brain Drain ( = drainage des cerveaux )des étrangers les plus
qualifiés. Celui-ci est la conséquence d'un besoin en main d'uvre
suscité par l'exceptionnelle expansion. Ainsi ce dynamisme de l'emploi
a permis d'innover et de créer de véritable centre d'innovation
( la Sillicon Valley en Californie ) nécessitant sans cesse un besoin
en main d'uvre.
La relation entre innovation et emploi est cyclique et l'essor
des innovations a permis de créer de nouveaux secteurs et d'y favoriser
un plein emploi qui, par sa dynamique, relance à son tour les gains de
productivité. Cependant, ce déplacement d'activité ne se
fait-il pas au détriment d'autres catégories de travailleurs et
ne peut-il pas créer des secteurs où la dynamique est inversée
?
L'innovation est aussi source de déséquilibre sur le marché
de l'emploi en entraînant la disparition a long terme, des troubles structurels
sur le marché du travail mais ces inégalités vont favoriser
à leur tour l'innovation.
Tout d'abord, si le progrès technique est créateur,
il est aussi récessif ( Saurry ) comme le montre les changements survenus
durant la grande dépression, la crise de la fin du XXème siècle
et théorisés une nouvelle fois par les économistes du déversement.
La Grande Dépression de la fin du XIXème ( 1873-1896 )a été
marquée par un renouveau dans l'organisation des marchés ( pour
Schumpeter, c'est une innovation ) dans la mesure où ils sont devenus
mondialisés. Ainsi, la France et, surtout, l'Angleterre vont être
confrontés à une concurrence d'autant plus rude dan le secteur
agricole. Dès 1882, la viande vient d'argentine par bateau frigorifique
( c'est une innovation de procédé ) ou encore d'Australie et des
Etats-Unis. De même les marchés changent dans la mesure où
ils sont plus concentrés ce qui provoque la faillite de nombreux artisan
et indépendant confronté à l'essor des grandes entreprises
et de la grande distribution.
De même, dan les années 1970, les innovations de procédé
et la " robotisation " des activités ont contribue à
l'effacement des ouvriers spécialisé et non qualifié en
faisant effectuer leur travail par des machines moins coûteuses et revendicatrices.
Ainsi, la théorie du déversement qui s'appliquait parfaitement
au boom du secteur tertiaire permet aussi de théoriser le déclin
du secteur primaire puis du secteur secondaire ( c'est le processus de destruction
créatrice de Schumpeter ). En effet, la relative inélasticité
des produits de ces secteurs ajoutés aux gains de productivité
élevés a entraîné une baisse des effectifs.
Ensuite, les innovations et les gains de productivité
obtenus ont toujours été combattu depuis le XIXème siècle
au nom de la survie des emplois par les mouvements ouvriers et les travailleurs
" les mains favorisées " afin d'empêcher le remplacement
de l'homme par la machine, de s'opposer à la précarisation du
marché du travail, ce qui est renforcé par les théories
développées par des auteurs très pessimistes.
Alfred Sauvy, dans la machine et le chômage, montre que les hommes ont
toujours été , majoritairement, inquiets quant au développement
de nouveaux procédé de production qui, surtout à court
terme, ont substitué la machine à l'ouvrier. Ainsi, après
l'invention de sa navette volante, John Key voit sa maison saccagée et
incendiée. De même, au début du XIXème siècle
en Angleterre, le mouvement des Luddites vise à s'opposer à l'apparition
des machines dans les manufactures. D'un point de vue plus économique,
cela s'explique par le fait que la hausse de la production n'est pas immédiate
avec l'apparition des gains de productivité et des nouvelles machines
d'où la nécessité de diminuer le personnel.
De plus, l'apparition de nouvelle technologie et de nouveaux procédés
de production va entraîner des inégalités entre eux qui
seront apte ou pas à les utiliser. C'est pourquoi, avec le système
technique de la troisième Révolution Industrielle, impulsée
par les progrès informatiques, s'est produit une scission sur le marché
du travail avec le marché secondaire qui regroupe les travailleurs non
qualifiés, employés a temps partiel, et plus fragiles faces au
chômage et le marché primaire qui regroupe ceux qui maîtrisent
les nouveaux outils et qui sont pratiquement assurés de conservés
leurs emplois. Ainsi , aux Etats-Unis, la croissance des Dix Glorieuses a provoqué
un effacement des classes moyennes et un fossé qui sépare les
plus riches, des plus défavorisés, les Working poors, qui pourtant
possèdent un ou deux emplois.
Même si elles sont marginales, les positions de Jeremy Rifkin, dans la
fin du travail, ont inquiété puisqu'il reprend la théorie
du déversement pour montrer qu'après s'être déplacé
du secteur primaire vers le secondaire, puis du secondaire vers le tertiaire,
le progrès technique et donc les innovations provoqueraient un déplacement
du tertiaire vers le " néant " d'où une disparition
totale de l'emploi.
Cependant, en remotivant et en poussant à l'innovation comme le montre
Schumpeter dans sa théorie des cycles, les inégalités et
les effets pervers de l'innovation sur l'emploi ont favorisé la relation
inverse : la " faiblesse de l'emploi " stimule l'innovation
Pour François Perroux, ce n'est pas l'investissement qui pousse à
l'innovation mais les inégalités? Ainsi, la première Révolution
Industrielle peut servir d'exemple puisque ce sont des petits ouvriers ou artisans
qui vont devenir les premiers entrepreneurs- innovateurs poussés par
le besoin de survivre et motivés par le fait que les besoins en capital
frais n'étaient pas élevés et donc l'ouvrier pouvait innover
lui-même. Cet esprit initiative est d'ailleurs souligné par l'Anglais
Smilles dans un Best seller de 1859, Self help, pou qui la grandeur d'une nation
se mesure à l'esprit de motivation de l'ensemble de la population.
Enfin, Schumpeter montre dans sa théorie des cycles, que les innovations
se situent toujours à la fin d'une phase B ( de récession ). Il
s'appuie, comme pour Perroux, sur la motivation de la population afin de retrouver
une phase d'expansion mais insiste aussi sur la théorie du cycle de produit
de Verdon : un produit, après avoir connu une pleine maturité
et une diffusion à l'ensemble de la population, connaît un ralentissement
puis est déposé par un autre produit qui va lui succéder
et donc l'emploi persiste mais change de secteur d'activité en impulsant
de nouvelles branches
L'innovation et le progrès technique ont aussi eu des
effets pervers sur l'emploi mais ce sont des effets de court terme, sauf pour
" les plus défavorisés ", qui permettent de relancer
la dynamique.
Si les effets négatifs de l'innovation sur l'emploi ne sont pas si négligeables,
force est de constater qu'à long terme l'emploi " l'emporte "(
les actifs n'ont jamais été aussi nombreux ) et d'ailleurs les
inégalités qui en sont issues contribuent à la dynamique
économique et à la relance d'un nouveau système technique
en cas de crise.
Ainsi, ne faudrait-il pas voir le système é économique
actuel comme dépendant des inégalités dans sa dynamique
et donc considérer que dans le futur toute politique sociale serait un
frein à une nouvelle révolution industrielle ?