Tocqueville est-il utile à l'analyse économique?

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 44 - Nantes - Lycée Vial

Cette copie a été notée : 15 / 20

Commentaire du professeur : Compréhension et analyse assez remarquables mais certains "détails" semble manquer... Très encourageant!


Alexis Clérél de Tocqueville (1805-1859), issu de l'ancienne aristocratie française (petit-fils de Malesherbes) est un des plus grands penseurs politiques et juridiques du XIX ème siècle. Homme politique, sociologue, historien, comparatiste, et magistrat, il est célèbre principalement pour ses deux grands ouvrages, De la démocratie en Amérique (t1:1835, t2:1840), et L'Ancien Régime et la Révolution (1855), qu'il réalise à la suite d'une mission obtenue pour étudier le système pénitentiaire américain, en tant que magistrat.
Il y fait le constat de l'avènement inéluctable de la démocratie et donne une image, peut-être plus admirative que totalement critique, de la démocratie américaine, pour laquelle il présente trois caractéristiques majeures : l'égalitarisme, l'individualisme, et le libéralisme.
Comment l'oeuvre de Tocqueville est-elle profitable à l'analyse économique ? Que permet-elle ? Quelle pertinence peut-on lui accorder ?


I) Tocqueville envisage la démocratie comme moteur de l'égalisation des conditions juridiques et sociales mais pas nécessairement économiques


L'égalité existe sous trois formes :
- l'égalité de droit (juridiques) : tous les individus sont égaux devant la loi, abolition des privilèges
- l'égalité des chances sur une base méritocratique : tout individu peut accéder à tous les postes, toutes les fonctions en seul vu de ses compétences
- l'égalité de considération : dignité de chacun

Ces trois formes doivent conduire à un rapprochement des conditions matérielles d'existence.

Cependant, elles ne signifient pas la disparition des inégalités économiques :
- le développement des activités économiques suppose le développement du salariat
- la propriété privée se diffuse avec la moyennisation
- l'individualisme conduit chacun à se distinguer de la masse de ses semblables et à se replier sur sa sphère privée (famille, amis) et l'individu tend à consacré l'essentiel de son existence à l'amélioration de son bien-être (ce désintérêt pour la chose publique est danger)

Il donne ainsi une approche plus sociale qu'économique de la démocratie mais en envisageant aussi les conséquences économiques qu'elle entraîne

II) Il discerne des interactions entre politique et économique sans placer l'économie comme objet de son étude

Les institutions politiques influencent le domaine politique ; les droits et les mœurs agissent alors comme des variables intermédiaires : la richesse des Etats-Unis est dû pour une part à leurs richesses matérielles (terres, capitaux) mais aussi et pour beaucoup aux "lois et aux mœurs qui forment la raison spéciale de leur grandeur"
- rôles importants de l'instruction et de l'éducation pratique du peuple, de la religion (protestante), de la liberté, qui favorisent le développement économique
- les américains participent beaucoup à la vie politique locale et nationale, se sentent concernés par les lois faites par ceux qu'ils ont élu - cette participation les rend plus sûrs d'eux mêmes et leur donne le goût général de l'entreprise et de la recherche du progrès

- la loi sur les successions détermine alors la société :
lorsqu'elle est fondée sur la progéniture la société devient inégalitaire et le pouvoir se concentre
lorsqu'elle est fondée sur l'égalité de partage elle conduit à l'éclatement des propriétés, au développement du commerce, de l'industrie, des affaires, càd bénéfique à tous

III) Quelle est la pertinence de son analyse ?

Tocqueville est aujourd'hui la référence en matière d'égalité, d'équité et de démocratie mais est aussi régulièrement repris par les ultra-libéraux qui utilisent sa vision du libéralisme social et politique à l'américaine en extrapolant vers le libéralisme économique alors qu'il n'y fait que très peu référence, ou pas directement, dans son œuvre.

Il s'oppose néanmoins radicalement à certains auteurs, comme K.Marx, qui envisage l'évolution des rapports sociaux par une bipolarisation des rapports de classes et un élargissement des écarts entre les classes et non pas l'extension à toute la société du modèle petit-bourgeois, (jusqu'au "Grand Soir" de la Révolution).

Il apparaît difficile aujourd'hui de parler de bipolarisation des rapports de classes. Cependant, les inégalités demeurent et s'accentuent partout, et même dans les pays démocratiques, et notamment aux E.-U. :
- inégalités économiques et de consommations...
- inégalités d'accès à l'instruction, à la santé...,
- inégalités des chances et auto-reproduction sociale ...
...donnent à parler d'un crise du lien social,

mais parallèlement l'individualisme se renforce tel que le craignait Tocqueville avec un repli très net sur la sphère privée : abstention, désintérêt pour la chose publique

De même on constate depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale et depuis la décolonisation, que la démocratie apparaît bien comme une des bases du développement économique tel que l'envisage Tocqueville et surtout que son absence en constitue le frein essentiel.

Conclusion :
L'œuvre de Tocqueville dégage une utilité pour l'analyse économique dans la mesure où elle met en évidence des interactions entre les domaines politiques et économique, et place les mœurs, la culture et la démocratie comme bases du développement économique ; beaucoup de ses constats restent d'ailleurs d'actualité. Néanmoins Aléxis de Tocqueville n'est pas un économiste mais plutôt un sociologue et un penseur politique qui a orienté surtout son étude vers l'évolution sociale et le droit.