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Depuis les années 1970, l'Asie Pacifique est la région
du monde qui a réalisé la croissance économique la plus forte
(jusqu'à 10%). Toutefois, les différents états n'ont pas
commencé à connaître cette croissance, qui passe par leur
industrialisation, en même temps : il y eût une première vague
de développement dès la fin de la seconde guerre mondiale, incarnée
par la Corée du Sud, Taïwan, les villes-ports de Singapour et HongKong,
puis une deuxième vague plus récente avec Malaysia, la Thaïlande,
les Philippines, la Chine, sans oublier le Japon, puissance industrielle depuis
l'ère Meiji (XIXe s.). On constate que l'essor exceptionnel de toute cette
région coïncide avec le phénomène de mondialisation
de l'économie, marqué par une mondialisation des flux de capitaux,
de marchandises, d'investissement, l'ouverture et la libéralisation des
économies.
Quels furent les effets de la mondialisation de l'économie sur les dynamiques
régionales en Asie Pacifique depuis les années 1970 ? Rappelons
que ces états ne connurent pas de développement économique
réel en étant des colonies des grandes puissance industrielles européennes
(notamment la Hollande, la France, l'Angleterre) ou américaine, mais dès
leur retour à l'indépendance après 1945.
Comment l'Asie Pacifique a t'elle su tirer parti de ses avantages et du contexte
mondial pour s'insérer dans une économie mondiale, passant du statut
de territoire exploité à celui de marché développé
à part entière ?
Nous verrons que la mondialisation (et en particulier l'impulsion extérieure
américaine) a eu l'effet positif de provoquer puis d'entraîner des
dynamiques régionales de croissance, puis que cet effet est très
ciblé sur les façades maritimes, enfin que la mondialisation a aussi
eu des effets déséquilibrants en Asie Pacifique qui sont aujourd'hui
autant de défis à relever pour poursuivre le développement
économique.
Tout d'abord, la mondialisation de l'économie a eu un
fort effet d'entraînement sur les économies d'Asie Pacifique, à
l'origine de dynamiques nouvelles : les économies ne sont pas industrialisées
et développées de manière isolée, mais intégrée
dans des dynamiques régionales de croissance.
La mondialisation de l'économie est la condition d'existence des dynamiques
de croissance en Asie Pacifique. En effet, dès les années 1960,
cette zone encore majoritairement sous-développée et rurale (60%
d'agriculteurs en Corée, 80% en Thaïlande) et le Japon attirent
les investisseurs des pays développés (Europe, Etats Unis), surtout
après 1980. C'est bien l'existence de flux mondiaux de capitaux, l'interconnexion
de circuits bancaires qui permet le traitement et l'efficacité de nombreux
prêts et investissements étrangers d'une part, issu d'Asie Pacifique
même d'autre part (rôle de la diaspora chinoise). La libéralisation
des échanges de produits manufacturés qui se renforce avec les
différents Rounds du GATT constitue aussi pour les états d'Asie
Pacifique l'occasion d'écouler des produits de plus en plus sophistiqués
sur les grands marchés de consommation des pays développés
de manière compétitive car la main d'œuvre asiatique est
peu chère, abondante et disciplinée. A ces économies exportatrices,
la mondialisation ouvre donc des marchés. La sous-évaluation des
monnaies asiatiques facilite d'ailleurs cette pénétration. Cet
avantage comparatif de la main d'œuvre justifie également des délocalisations
vers l'Asie Pacifique, notamment après les chocs pétroliers de
1973 et 1979 qui déstabilisent les pays développés, et
profite ainsi à l'Asie Pacifique (industrie textile et automobile surtout).
La mondialisation de l'économie conduit à deux dynamiques économiques
complémentaires qui caractérisent l'Asie Pacifique, et qui se
manifestent par un décalage technologique à une échelle
régionale et mondiale. En effet, les états d'Asie Pacifique, face
à un marché intérieur trop étroit et à un
déficit technologique, se sont engagés dans le développement
par promotion aux exportations (plan Taïwanais dès les années
1960, plan Philippin dans les années 1990), càd que la croissance
consiste en une adaptation constante à la demande mondiale. La première
vague de pays à se développer produit ainsi du textile dans les
années 1960, puis de l'acier et des voitures, et ils se tournent aujourd'hui
vers des productions à forte valeur ajoutée. La dynamique de croissance
est donc celle d'une remontée progressive des filières, toujours
un peu derrière les grandes puissances qui sont restées les mêmes
depuis 1945. Cette dynamique se double logiquement d'une dynamique régionale
de division asiatique du travail depuis les années 1970 et le développement
des pays de la deuxième vague d'industrialisation (situés surtout
au sud). Car ceux-ci récupèrent les productions moins sophistiquées
abandonnées par les pays de la première vague d'industrialisation.
Le développement est donc parallèle et interdépendant.
Les pays d'Asie Pacifique ont suivi presque le même modèle de développement,
appuyé sur la promotion des exportations, particulièrement rentable
dans un contexte de mondialisation, les pays de la première vague industrielle
jouant depuis la fin des années 1970 pour les pays de la deuxième
vague le rôle que jouèrent les pays occidentaux pour les premiers
dès les années 1950. Rôle de sous-traitance, modèle
de développement : il semble que les mécanismes se transmettent.
Aujourd'hui, les pays qui se sont développés, comme la Corée
du Sud, en viennent à délocaliser leurs industries à forte
intensité de main d'œuvre (automobile) dans les états d'Asie
Pacifique plus en retard (Thaïlande…).
Par ce double mouvement, l'Asie Pacifique est parvenue à se constituer
en un véritable marché en lui-même (on compare souvent la
mer de Chine méridionale à la mer méditerranée),
qui n'est plus le domaine d'exploitation exclusif des colons, européens
ou japonais (sphère de coprospérité) et semble s'acheminer
vers une déréglementation économique croissante. Pour preuve,
la délocalisation en Asie Pacifique de FMN américaines ne vise
plus seulement à profiter des faibles coûts de production, mais
aussi à pénétrer sur un marché en essor de près
de 2 milliards de consommateurs qui s'enrichissent progressivement avec la croissance.
Pour preuve aussi, la structure des échanges en Asie Pacifique tend à
devenir celui d'une zone développée, puisqu'on compte de plus
en plus d'échange de produits manufacturiers. L'Asie Pacifique est une
zone à part entière de l'économie mondiale, qui participe
largement à sa croissance-et ceci est de plus en plus vrai. Conscient
de ces nouveaux enjeux, le Japon recentre d'ailleurs son activité commerciale
sur cette région, puisqu'elle représente 30% de ses exports et
la majorité de ses aides au développement dès les années
1990.
Cependant, les effets de la mondialisation de l'économie ont été
très ciblés géographiquement : les dynamiques n'ont pas
été les mêmes partout en Asie Pacifique.
On remarque ainsi la prépondérance des façades maritimes
et des ports, qui concentrent la majorité de la population active, des
consommateurs, des investissements étrangers, de la production. En Chine,
les 10 provinces littorales (sur 31 provinces) réalisent les ¾
de la production industrielle et des exportations. Les villes ports sont les
plus puissantes (Kaoshiung à Taïwan, Singapour, HongKong, Pusan
et Inchon en Corée du Sud).
Ce dynamisme particulier des littoraux résulte de leur position naturelle
: l'Asie Pacifique est une région morcelée en archipels (Philippines,
Indonésie), îles (Taïwan), péninsules (Malaisie, Corée
du Sud), si bien que la mer est le vecteur privilégié de l'échange.
D'ailleurs, l'Asie Pacifique compte 9 des 20 flottes commerciales les plus puissantes.
Les littoraux sont les interfaces du dynamisme commercial, les ports de véritables
plaque-tournantes (comme Singapour). Depuis les années 1960, l'Asie Pacifique
s'ouvre aux investissements extérieurs et fonde sa croissance sur l'exportation,
or tout cela transite bien par voie maritime. De plus, déjà avant
1945, c'est sur les littoraux que les colons occidentaux avaient développé
des "comptoirs" qui relayaient les richesses intérieures en
matières premières (par ex Jakarta qui fut fondée sur la
côte indonésienne par les Hollandais). La mondialisation de l'économie
est aussi responsable de ce dynamisme croissant des façades maritimes
en Asie Pacifique, tant il vrai qu'elles constituent des interfaces sur le monde.
Ce phénomène a d'ailleurs été généralement
très encouragé par les états, qui y virent le moyen de
s'insérer efficacement dans l'économie mondialisée en répondant
aux demandes d'ouverture faites par les puissances occidentales. En effet, depuis
1945, les pays développés cherchent sans cesse, dans une vision
mondiale, des secteurs prometteurs où investir (ce fut le cas pour l'immobilier
dans les années 1990 en Thaïlande), des nouveaux marchés,
une main d'œuvre avantageuse. Les états mettent par exemple en place
des zones franches (en Malaisie), concluent des accords entre eux pour faciliter
les échanges (triangle Johore-Singapour-île du Batam) autorisent
un fort investissement (taux de pénétration de l'économie
par des capitaux étrangers supérieur à 30% en Thaïlande).
Même les derniers bastions communistes, à l'instar du Vietnâm
du Doi Moi et de la Chine de l'après Mao (mort en 78) ouvrent leurs littoraux
: la Chine a ainsi crée en 1979 des zones économiques spéciales
ouvertes au capitalisme, exclusivement sur les littoraux, par ex à Shangaï.
Cela répond à la demande des producteurs et des investisseurs,
qui n'ont aucun intérêt à l'intérieur de ces états,
et permet à l'Asie Pacifique de s'intégrer et de participer à
la mondialisation de l'économie.
Cependant, la mondialisation de l'économie a également eu des
effets négatifs sur les dynamiques régionales en Asie Pacifique,
d'où de nombreux défis à relever pour ces pays en développement.
D'abord, conséquence directe de la valorisation des littoraux, les dynamiques
de croissance ont eu des effets déséquilibrants sur les territoires
creusant les inégalités au détriment de l'intérieur
des pays (notamment en Chine, où certaines provinces, comme le Sichuan
, sont 10 fois moins riches que les provinces de tête (Shangaï),
de l'envers des pays (côte Est isolée en Corée du Sud, côte
ouest japonaise). Eloignées des centres décisionnels ou du contact
indispensable avec la mer, ces zones ont été naturellement délaissées
par l'économie mondiale. C'est l'état qui doit rééquilibrer
le territoire sur lequel il exerce son autorité, construire une dynamique
entre les littoraux et l'intérieur (par ex en développant les
infrastructures, nettement insuffisantes aujourd'hui) pour éviter son
morcellement. C'est ce qui menace la Chine. Une meilleure cohésion au
sein de chaque état ne mènerait d'ailleurs qu'à un renforcement
des dynamiques en Asie Pacifique.
Ensuite, les états d'Asie Pacifique demeurent incapables de s'associer
en un ensemble cohérent de manière à défendre des
intérêts communs et à se faire entendre sur la scène
internationale. Face aux deux pôles équilibrés constitués
par des associations économiques avancées, l'ALENA articulée
autour des Etats Unis et de l'UE, l'Asie Pacifique doit affirmer sa cohésion
autour d'une puissance qui reste à déterminer (Japon ? Chine ?).
Une réponse commune et concertée lui a particulièrement
fait défaut lors de la crise financière qui s'est déclenchée
en 1990 au Japon, aggravée par la dévaluation du yuan Chinois
en 1994 et transformée en crise économique. L'ASEAN, association
visant à établir le libre échange en Asie Pacifique et
regroupant la majorité des états hormis les plus industrialisés
(Corée du Sud, Taïwan, Japon) et crée en 1967 en réponse
à la construction européenne, est peut être la plus apte
à défendre et orienter les dynamiques régionales en Asie
Pacifique face à une économie où la concurrence est-elle
aussi mondiale.
L'Asie Pacifique a su s'appuyer sur des dynamismes régionaux
générés par la mondialisation de l'économie pour
se développer. Elle doit désormais prouver sa capacité
à maîtriser ce développement à long terme pour ne
pas réitérer les erreurs qui ont mené à la crise
asiatique, notamment en se réunissant dans une association au pouvoir
de décision réel.