A l'issue du second conflit mondial, dont elle fut aussi l'un des principaux théâtres 
d'opérations, l'Europe est détrônée, semble t'il pour 
longtemps, de sa place de première puissance économique mondiale 
conquise depuis une industrialisation pionnière au XIXe s. Cependant, elle 
demeure au centre d'un conflit qui marque toute la seconde moitié du XXe 
s.: la guerre froide. Après une guerre, les premières orientations 
décidées par un état ou imposées à lui sont 
déterminantes, tant elles relèvent d'une certaine conception de 
la reconstruction, de l'indépendance, des leçons des après-guerres 
passés. Face au jeu des expansionnismes du bloc occidental, mené 
par les Etats-Unis et du bloc de l'Est, mené par l'URSS, L'Europe doit 
faire -ou subir- un choix, sa relative neutralité et son statut de troisième 
grande puissance étant désormais très compromis : entre capitalisme 
et socialisme, l'Europe fait la difficile expérience de la nécessité 
de son union, qui suivra deux modèles opposés, précoce et 
audacieux à l'Est, plus libre et progressif à l'Ouest
Après 
avoir été divisée en pays vainqueurs et vaincus, l'Europe 
est divisée entre deux idéologies. 
L'après-guerre a ainsi une double dimension : il y a deux après-guerres, 
un après chaque conflit mondial, et aussi un en Europe de l'Est et un en 
Europe de l'Ouest après 1945. De 1919 (traité de Versailles) à 
1925 (en pleine prospérité capitaliste) et de 1946 à 1952 
(en pleine guerre froide), que distinguent et révèlent les après-guerres 
en Europe ?
Nous étudierons le poids de l'héritage des guerres mondiales, puis 
l'affaiblissement de l'Europe qui montre son incapacité à se reconstruire 
et à assurer seule sa protection, enfin l'émergence de deux modèles 
de construction européenne.  
  Si les conséquences des deux conflits mondiaux restent dramatiques en 
  Europe, les voies empruntées pour les surmonter diffèrent entre 
  les deux après-guerres.
  Les bilans immédiats sont désastreux. Les dégâts 
  matériels dus aux combats (dans l'Est de la France après la première 
  guerre mondiale) ou aux bombardements (à Dresde ou Londres après 
  le deuxième conflit), les pertes humaines, militaires ou civiles, le 
  choc subi par les populations fragilisent durablement une Europe qui fut le 
  principal lieu d'affrontement de deux conflits mondiaux que moins d'un demi-siècle 
  sépare. L'Europe doit faire face à une pénurie de main 
  d'uvre, à la destruction ou à la délocalisation (notamment 
  en URSS) ou à la perte de son potentiel industriel, due aux retrecissement 
  des frontières des pays vaincus après 1919. Cependant, le bilan 
  de la deuxième guerre mondial est encore plus lourd que celui de la première, 
  et plus inégal selon les pays européens : l'Allemagne a pu préserver 
  l'essentiel de son potentiel industriel tandis que la Pologne a été 
  véritablement laminée deux fois.
  Le redémarrage économique est moins chaotique après 1945. 
  En effet, la grave crise de surproduction de 1920, qui manifeste la difficulté 
  de reconversion des industries de guerre face à la brusque chute des 
  débouchés en temps de paix, ne connaît pas d'équivalent 
  dans les années 1950. Ceci est la preuve que les états ont su 
  tirer des leçons, et que la course aux armements qui caractérise 
  la guerre froide naissante sera un moteur des économies de l'Est et de 
  l'Ouest. De plus, après avoir assigné des buts de guerre et fait 
  l'expérience d'un certain dirigisme pendant les deux guerres, l'Etat 
  s'affirme, partout en Europe, comme un acteur économique incontournable.
  Enfin, l'attitude des pays vainqueurs face aux vaincus change radicalement d'un 
  après-guerre à l'autre. En effet, dans le traité de Versailles 
  de 1919, la France impose un vrai "diktat" à l'Allemagne (perte 
  de territoires à l'Est au profit de la Pologne et de la Tchecoslovaquie, 
  énormes dédommagements), les empires austro-hongrois et ottoman 
  sont démembrés par décision des vainqueurs ouest-européens 
  (Royaume Uni, France), afin d'en servir les interêts sans tenir compte 
  du principe des nationalités. Le principe qui préside au règlement 
  de la deuxième guerre mondiale n'est plus la vengeance. Il est vrai que 
  ce sont les puissances extra-européennes (URSS et Etats-Unis) qui décident 
  des aménagements territoriaux. Les Etats-Unis sont ainsi plus soucieux 
  de reconstruire une Allemagne forte pour en faire un rempart à la menace 
  soviétique. Ainsi, la France renonce à exploiter les gisements 
  de la Sarre. Les ensembles régionaux construits à l'Ouest et à 
  l'Est intègrent désormais au même niveau pays vainqueurs 
  et vaincus, effaçant les rivalités pourtant très récentes 
  face aux impératifs d'une nouvelle guerre : la guerre froide.
Dans les après-guerres, l'Europe affaiblie est incapable 
  de se reconstruire seule et d'assurer sa propre protection face à la 
  menace de la guerre froide.
  Les grandes puissances aident partiellement aux reconstructions de l'Europe. 
  Les Etats-Unis, encore réticents à assurer leur leadership révélé 
  après la première guerre mondiale, secourent ainsi l'Allemagne 
  bouleversée par une hyperinflation qui a fait disparaître sa monnaie 
  en débloquant des fonds dans le cadre du plan Dawes en 1924. Mais c'est 
  surtout l'aide Marshall, aide financière considérable proposée 
  aux Etats-Unis à tous les pays européens (et aussi à l'URSS) 
  en 1947 qui illustre combien l'Europe ne peut plus se reconstruire par elle-même. 
  Cette aide est redistribuée aux pays ouest-européens dans le cadre 
  d'une première grande organisation de coopération économique 
  européenne, l'OECE (1949) . En effet, le deuxième conflit mondial 
  a permis à l'URSS d'être internationalement reconnue comme une 
  grande puissance. Le bloc occidental, qui avait tenté dans le premier 
  après-guerre de renverser la révolution communiste de 1917, sait 
  désormais que le dirigeant soviétique Staline, au pouvoir depuis 
  1928, est à la tête d'une nouvelle grande puissance à l'idéologie 
  alternative. Sous pression soviétique, les pays est-européens, 
  notamment la Yougoslavie de Tito, refusent l'aide Marshall.
  L'Europe, après le traumatisme d'une guerre mondiale, s'est montrée 
  soucieuse d'assurer la paix sur son territoire.
  Cette volonté s'est traduite par la constitution de la SDN en 1920, puis 
  par celle de l'ONU en 1946, regroupant la plupart des états européens 
  aux côtés des Etats-Unis et de l'URSS, dont le but était 
  d'être plus efficace que l'expérimentale SDN. De plus, l'Europe 
  doit, après la deuxième guerre mondiale, assurer sa sécurité 
  : la guerre continue ; chaque partie de l'Europe au sein de laquelle la coupure 
  Est-Ouest devient de plus en plus nette se sentant menacée par le camp 
  opposé. L'Europe occidentale intègre ainsi avec les Etats-Unis 
  une alliance militaire en 1949, l'OTAN.
  Devant le souvenir de l'insuffisance d'une organisation internationale pour 
  la paix (la SDN) qui n'a pas pu empêcher un second conflit mondial, la 
  nécessité d'une union qui complèterait l'aide reçues 
  des puissances dominatrices respectives est au cur du problème 
  de la reconstruction de l'Europe dans le deuxième après-guerre.
  Deux modèles d'intégration européenne se dessinent entre 
  1946 et 1952.
  L'Europe n'est non plus divisée entre pays vainqueurs et pays vaincus, 
  mais entre pays alliés du bloc de l'Est (l'URSS voulant en faire un glacis 
  protecteur) et pays alliés du bloc occidental (dans l'interêt des 
  Etats-Unis, qui recherchent des débouchés sur les marchés 
  ouest-européens, qui ne s'inféodent pas aux Etats-Unis). Cette 
  coupure de l'Europe, à la fois géographique, idéologique 
  et économique, est symbolisée par l'insensée coupure d'un 
  même pays en deux : l'Allemagne, officiellement RDA et RFA en 1955.
  Les pays d'Europe de l'Est (Tchecoslovaquie, Albanie, Hongrie, Roumanie, Pologne, 
  RDA) deviennent très vite après la seconde guerre mondiale des 
  démocraties populaires dans lesquelles un même schéma unique 
  est imposé sur le modèle soviétique. Dans ces pays, où 
  l'héritage démocratique est encore fragile voire inexistant, où 
  l'industrialisation est inégale, des Fronts Nationaux sont constitués 
  à la tête de chaque gouvernement national par la force et la répression 
  sans grande résistance (à l'exception notable de la Tcheoslovaquie) 
  pour permettre au pouvoir central moscovite de contrôler indirectement 
  ces états. Cette satellisation rapide se traduit par la transposition 
  directe et sans aménagement tenant compte des spécificités 
  nationales du modèle soviétique : l'agriculture est collectivisée, 
  les entreprises nationalisées, toute l'économie planifiée 
  (les premiers plans débutent tous avant 1950). Cette coopération 
  se manifeste dans tous les domaines : militaire (Pacte de Varsovie), économique 
  (CAEM en 1945), idéologique (Komminform en 1947). C'est une intégration 
  européenne rapide, radicale, rigide dans laquelle une organisation en 
  centre-périphérie au bénéfice de l'URSS révèle 
  le manque de liberté des populations. 
  A l'Ouest se développe une organisation différente, qui conserve 
  une économie de marché. La France, le Royaume Uni, l'Espagne, 
  le Portugal, l'Italie, la Grèce, le Bénélux 'union douanière 
  crée en 1944), la RFA se regroupent également sous l'égide 
  d'une grande puissance, les Etats Unis, dans le cadre de l'OECE en 1949. Cependant, 
  les états font le choix de poursuivre leur coopération sans l'aide 
  américaine, en s'émancipant. L'existence de débats sur 
  les conceptions de l'Europe (union ou fédération
) prouve 
  que la construction à l'Ouest est libre et volontaire. Contrairement 
  à l'Est, la coopération ne débute pas dans le domaine politique, 
  mais dans le domaine économique : en 1951, 6 pays (France, RDA, Bénélux, 
  Italie) fondent la CECA, créant un pool charbon-acier autour d'un axe 
  franco-allemand réconcilié. La création du Conseil de l'Europe 
  (1950), suite à la conférence de La Haye, censé promouvoir 
  l'idée d'une construction européenne, et à laquelle les 
  pays de l'Est participent d'ailleurs, représente, au même titre 
  que le CECA, une tentative, certes moins audacieuse que celle entreprise à 
  l'Est, mais respectant le principe de la souveraineté des Etats-Nations. 
  Les premières constructions, engageant peu les états, en appellent 
  d'autres, comme le prouve la proposition d'une CED pour l'intégration 
  allemande dans une armée européenne.
Poursuivant une même finalité, la reconstruction, 
  l'Europe réalise enfin, après deux conflits mondiaux, la nécessite 
  de s'unir pour former un noyau de stabilité. Cependant, elle ne parviendra 
  pas à dépasser la dialectique d'un monde bipolaire, et deux constructions 
  reposant sur des conceptions opposées de l'Etat-Nation seront menées 
  parallèlement. En 1952, alors qu'une première grande révolte 
  éclate à Berlin contre le pouvoir soviétique, il est encore 
  impossible de déterminer laquelle de ces constructions tiendra ses promesses, 
  car la croissance économique des deux systèmes, écartelés 
  entre l'idée d'Europe indépendante et d'Europe partie d'un bloc, 
  est encore comparable.