Le Japon qui constitue aujourd'hui la 2ème puissance
économique mondiale est un archipel éclaté qui s'étend
sur un équivalent des 3/5 du territoire français. Les contraintes
multiples de cet espace font alors du développement rapide du Japon depuis
l'ère Meiji et surtout depuis 1945 un développement exceptionnel
et remarquable, la maîtrise et l'utilisation du territoire se présentant
alors comme de véritables défis.
Quelles ont été les caractéristiques de la maîtrise
de l'espace par les transports ? Comment les activités se sont-elles développées
pour s'adapter au mieux ? N'apparaît-il pas aujourd'hui quelques déséquilibres
regrettables ?
Il convient d'abord de repérer quelles sont les réelles
contraintes auxquelles le Japon a dû se soumettre, et d'analyser en quoi
le développement stratégique des transports a été
particulièrement adapté.
C'est à partir du décollage économique de l'ère
Meiji à la fin du 19ème siècle que le Japon commence à
ressentir les contraintes de son territoire. Limité, le Japon s'étend
sur un territoire exigu, divisé en îles et isolé de tout
continent (la Corée se situe à 200km). Instable, le sol japonais
connaît des séismes, des raz-de-marée et une activité
volcanique jadis intense. Les contraintes sont donc multiples, la surface agricole
utilisable est particulièrement restreinte et un tel espace risque d'être
rapidement insuffisant pour un pays qui se développe de façon
exponentielle. Seuls atouts de l'espace japonais : son étendue en latitude
qui lui permet de développer des agricultures différentes au Nord
ou au Sud, et son littoral vaste, tourné à la fois vers l'Asie
et vers le Pacifique.
Dans ce contexte, le développement des transports a été
réellement stratégique. En ce qui concerne les transports intérieurs
tout d'abord, l'intensité croissante des réseaux ferroviaires
et routiers est primordiale. Développé depuis 1872, le train se
développe surtout à partir des années 1960, avec la mise
en place du Shikansen en 1964, qui relie grâce à des appareils
à grande vitesse l'île d'Hokkaïdo à Tokyo, l'île
de Kyushu à Tokyo, et la façade intérieure (Niigita) à
Tokyo. Bien que centralisée sur la capitale, cette installation facilite
énormément les communications entre les îles. Intensifié
encore aujourd'hui, ce réseau ferroviaire est donc un véritable
atout pour la maîtrise du territoire. De la même manière,
l'intensification des routes et des autoroutes depuis les années 1950
et 1960 font de ce réseau le premier moyen de transport des personnes.
Enfin, les communications intérieures sont également facilitées
par des liaisons remarquables entre les îles : ponts et tunnels relient
en effet aujourd'hui Hokkaïdo, Kyushu et Shikoku à l'île principale
Honshu.
D'autre part, les transports destinés aux communications extérieures
ont aussi été largement développés, et servent également
les communications internes, ce qui en fait une particularité japonaise.
Les aéroports sont aujourd'hui nombreux au Japon, et ne concernent pas
que les grandes agglomérations de la mégalopole : ainsi, les lignes
intérieures se sont vivement multipliées et permettent de relier
les villes entre elles. Enfin, l'importance des ports et du cabotage entre les
ports du pays est singulière. 2ème flotte marchande mondiale en
2000, le Japon tire en effet de son littoral de nombreux atouts, et les relations
maritimes permettent là encore une meilleure exploitation du territoire.
L'importance internationale des ports de la mégalopole ( par exemple
Chiba près de Tokyo, Nagoya ou Yokohama) fait également des transports
japonais des transports particulièrement performants et dynamiques au
niveau mondial.
La bonne utilisation et la maîtrise du territoire japonais
passent donc tout d'abord par une adaptation et une maîtrise des contraintes,
en particulier à travers les réseaux de transports diversifiés
et intenses qui jalonnent le territoire. Toutefois, le développement
des activités, leur localisation, leur évolution, attestent également
de l'utilisation du territoire.
Depuis la croissance et le développement exceptionnel
que connaît le Japon au sortir de la guerre, ce sont toutes les activités
(agricoles, maritimes, industrielles) qui ont dû chercher à se
répartir de façon optimale et à maîtriser le territoire.
L'agriculture tout d'abord, constitue un véritable enjeu pour le Japon
qui dispose d'une population nombreuse et d'une SAU particulièrement
restreinte. Alors, les profonds changements du Japon depuis 1945 sont notamment
marqués, dès 1946, par la redistribution des terres aux petits
paysans. Restées privées, ces exploitations de petite taille caractérisent
donc le paysage rural du Japon, sauf sur l'île d'Hokkaïdo où
la faible densité de population permet des exploitations plus vastes.
Cette spécificité imposée par l'espace oblige donc le Japon
à développer une agriculture productive (grâce à
une mécanisation effrénée et à une recherche génétique
depuis les années 1970), où le riz demeure largement dominant,
pour des raisons climatiques notamment. Enfin, l'adaptation de l'agriculture
japonaise au territoire est également marquée par le développement
des cultures hors-sol, surtout pour l'élevage (porcin et avicole essentiellement).
On comprend bien alors que l'autosuffisance alimentaire du Japon soit bien loin
d'être atteinte car les contraintes de l'espace sont trop grandes, mais
il faut remarquer tout de même les efforts du Japon pour optimiser ces
terres rares.
Avec 2000km de littoral, tourné vers la mer du Japon et vers le Pacifique,
l'utilisation du territoire maritime japonais était absolument incontournable
pour son développement économique. Ainsi, le Japon exploite largement
la mer, par des activités de pêche, de construction navale et de
commerce. Le Japon est le 2ème producteur de produits halieutiques dans
le monde (en 2000) et a longtemps exploité ses fonds marins. Cependant,
des conflits apparaissent aujourd'hui avec les pays voisins (notamment avec
la Russie et certains pays d'Asie-Pacifique) si bien que la pêche artisanale
connaît quelques difficultés. Toutefois la production a nettement
augmenté depuis 1945 jusqu'en 1980 et reste aujourd'hui de l'ordre de
11 millions de tonnes par an. L'exploitation de la mer passe aussi pour le Japon
par un développement de l'aquaculture, encouragée par l'Etat,
qui produit algues et poissons dans les baies près des grandes agglomérations
de la mégalopole et qui apporte donc une production importante pour la
consommation intérieure. Cette maîtrise de la mer est donc absolument
vitale pour l'économie japonaise et atteste là encore d'une utilisation
réfléchie et efficace de l'espace japonais.
Enfin, l'implantation de l'industrie renaissante après 1945 est elle
aussi stratégique, et s'établit en fonction des opportunités
du territoire. A la fin de la seconde guerre mondiale, c'est en effet l'Etat
(sous domination américaine) qui entreprend de reconstruire une industrie
dynamique et qui décide donc des localisations. Jusque dans les années
1950, c'est alors la mégalopole qui est massivement développée
et où s'implantent les industries textiles, automobiles, les industries
lourdes et la construction navale. Les faibles ressources énergétiques
de minerais sur Hokkaïdo et Kyushu sont exploitées, le pétrole
à Niigita, et l'hydroélectricité se développe dans
les régions montagneuses après les crises du pétrole des
années 1970. Puis le Japon, dépendant de l'extérieur pour
l'énergie, développera l'énergie nucléaire. Cependant,
les années 50 et 60 montrent le début d'un certain déséquilibre
entre la mégalopole et le reste du pays, d'où des plans de décentralisation
qui sont lancés pour développer notamment la région de
Kitakyushu et Sapporo. (cf. infra). De plus, le fonctionnement des entreprises
est aussi une conséquence de l'utilisation de l'espace : en 1945, le
modèle de fonctionnement tayloriste des Etats-Unis, qui adopte une stratégie
des stocks en amont et en aval de la production ne peut pas être importé
au Japon à cause de son manque d'espace. Donc le développement
du toyotisme qui impose à l'inverse aucun stock, semble être également
le signe d'une adaptation à l'espace. L'industrie et son implantation
sur le territoire montrent donc également une maîtrise efficace
du territoire.
La répartition des activités de l'économie
du Japon est donc profondément attachée aux contraintes mais aussi
aux atouts de l'espace. Les évolutions dans l'agriculture, l'exploitation
intensive du territoire maritime, ainsi que le développement de l'industrie
montrent cette maîtrise. Toutefois, on a vu précédemment
que l'industrialisation croissante de la mégalopole laissait entrevoir
des déséquilibres dès la fin des années 1950, et
il convient en effet de constater à présent les limites de l'utilisation
du territoire japonais telle qu'elle s'est faite depuis 1945, et les dangers
que l'on est en droit de craindre aujourd'hui.
C'est la suprématie démographique et industrielle de la mégalopole
qui semble avant tout nuancer la maîtrise du territoire japonais. De plus,
bon nombre de ressources semblent aujourd'hui menacées, d'où une
prospective quelque peu inquiétante, malgré des efforts indéniables.
Malgré les lois eugéniques instaurées en 1948 et qui ont
fortement limité la croissance démographique au sortir de la guerre,
l'accroissement des villes de la mégalopole a été exceptionnel,
notamment à cause de l'exode rural qu'entraînait l'industrialisation
(de nombreux actifs ont ainsi quitté le secteur primaire pour travailler
dans les nouvelles industries dynamiques). L'urbanisation a donc été
massive et concerne aujourd'hui 90% de la population. S'en sont suivis des problèmes
de logement, d'engorgement des communications et une dégradation de la
qualité de la vie au Japon. Ainsi, cet aspect négatif de l'utilisation
du territoire a d'une certaine manière entraîné les crises
depuis 1990, puisque c'est la spéculation immobilière notamment
qui en est à l'origine.
Outre ce regroupement de la population, c'est la domination industrielle de
la mégalopole qui semble remettre en cause l'organisation du territoire
japonais. Aujourd'hui encore, la mégalopole regroupe entre 70 et 80%
de la production industrielle japonaise, articulée autour de Tokyo, de
Nagoya et d'Osaka-Kobe. De nombreux kereitsus refusent les délocalisations
étant donné le marché, l'ouverture à l'extérieur
et les investissements qu'offre cette mégalopole. De plus, Tokyo conserve
une suprématie politique et culturelle indiscutable, regroupe les sièges
sociaux et la place boursière la plus importante de l'Asie, atouts majeurs
pour les entreprises. Mais les problèmes deviennent alors nombreux et
enfoncent le pays dans de sombres perspectives : la pollution croissante des
sols (par les engrais), de l'air (par les transports) et des eaux (par les industries)
devient alarmante pour la mégalopole, les ressources maritimes s'épuisent,
certaines espèces sont menacées, la qualité de vie des
citadins se détériore. Le caractère dual de l'espace japonais
qui est apparu après 1945 est donc très marqué, et semble
contester une maîtrise si remarquable du territoire.
Toutefois, il convient de remarquer les efforts constants menés par l'Etat
et suivis par les entreprises pour parer à ce déséquilibre.
Dès les années 1950 et 1960, de plans de décentralisation
sont donc mis en place, visant par exemple à accorder des primes aux
entreprises dans certaines zones, et des taxes dans d'autres. Peu suivis au
début, ces plans ont fini par être relativement efficaces. Par
exemple, le plan technopolis de 1983 a permis à l'île de Kyushu
notamment de multiplier ses technopoles, très dynamiques aujourd'hui.
De grandes firmes multinationales ont également décidé
de quitter la métropole, comme Nissan et Toyota. De plus, les délocalisations
nombreuses vers les autres PDEM ou vers l'Asie-Pacifique ont décongestionné
quelque peu la mégalopole, ainsi que les restructurations des industries
en déclin comme la sidérurgie qui ferment certains sites. Enfin,
la façade intérieure du Japon, nettement moins industrialisée,
a développé avec l'aide de l'Etat des zones touristiques appréciées
par les citadins de la mégalopole.
Le développement à grande vitesse du Japon depuis
1945 a donc été accompagné d'une occupation et d'une exploitation
organisée et réfléchie de l'espace, qui présentait
pourtant des contraintes particulièrement gênantes. Le réseau
dense, diversifié et moderne des transports, la modernisation d'une agriculture
adaptée à des contraintes sévères, l'exploitation
des ressources maritimes ainsi que le développement d'une zone industrielle
ouverte aux exportations et particulièrement dynamique illustrent cette
utilisation optimale de l'espace. Toutefois, l'apparition de déséquilibres
et d'épuisement ont contraint le pays à revoir son organisation
spatiale en développant notamment les régions septentrionales
et le Sud.
Le choix stratégique de développer un espace industriel puissant
pour exporter et compenser des importations nécessaires à cause
des contraintes de l'espace agricole et énergétique semble donc
présenter certaines contradictions que le Japon s'efforce aujourd'hui
de corriger.