Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les pays d'Europe
occidentale, soutenus par les Etats-Unis dans un contexte de Guerre Froide, décident
de s'unir afin d'éviter qu'une nouvelle guerre mondiale puisse se reproduire.
Ainsi, plusieurs associations d'Etats voient le jour pendant cette période
(OTAN, Conseil de l'Europe, OECE…), mais l'on s'aperçoit finalement
que pour se constituer, " l'Europe " doit se créer à partir
d'un nombre plus restreint de pays pour s'élargir par la suite. Aussi la
France propose t-elle à ses pays voisins de créer une Europe intégrée
(et non pas une association d'Etats comme le souhaiterait le Royaume-Uni). Intégrer
des Etats au sein d'un regroupement d'Etats -id est les faire participer, profiter
d'un regroupement équilibré- n'est pas chose aisée, mais
élargir le regroupement tout en le renforçant peut paraître
contradictoire. Comment la CEE (puis l'Union Européenne) a-t-elle pu gérer
simultanément ces deux objectifs? Dans une première partie, nous
étudierons cette question pour la période s'étalant de 1957
jusqu'à l'élargissement aux pays méditerranéens puis
dans une seconde partie, nous analyserons son évolution plus récente
(depuis 1980-86) avec ses perspectives nouvelles d'élargissement et d'intégration.
Les traités de Rome de mars 1957 donnent naissances à
la CEE qui regroupe à cette date la France, l'Allemagne, l'Italie et
le Bénélux. Ces six pays ne comportent pas ou relativement peu
d'écarts de développement (à l'exception du Mezzogiorno
italien). Une politique favorisant l'intégration régionale ne
semble donc pas à cette date indispensable. Parmi ces six Etats, les
échanges intérieurs sont nombreux et voués à augmenter
avec le démantèlement prévu des taxes à l'importation
par exemple. Cette Europe des six a certes la volonté des s'élargir,
la preuve en est que la proposition française s'adressait également
au Royaume-Uni par exemple, mais une fois constituée, la " petite
Europe " privilégie pour commencer l'intégration de ses pays
membres, et même si une " Europe politique " n'est pas réalisée
à cause du refus français le 30 août 1954 de ratifier le
traité de la Communauté Européenne de Défense (CED)
rendant impossible toute union politique des six, l'intégration des pays
membres s'effectue par les politiques économiques communautaires. En
effet, pour mieux intégrer le marché industriel des six, la CEE
établit de très larges réductions des taxes à l'importation
pour les pays membres et la fin de leurs contingentements pour ces mêmes
pays alors qu'elle dresse une " barrière " commune pour les
pays tiers : le TEC (tarif Extérieur Commun), afin de protéger
malgré tout son marché industriel. Ainsi, les échanges
intérieurs ont pu être multipliés par 4 entre 1958 et 1968
alors qu'ils ne l'ont été que de 2 pour les échanges industriels
avec l'extérieur.
De plus, c'est pendant cette même période (en 1962) qu'est mise
en œuvre la Politique Agricole Commune (PAC). La PAC a permis l'intégration
des 4 dans la CEE puisqu'elle a permis aux agricultures de se moderniser (section
orientation du Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole :
FEOGA, crée lui aussi en 1962) et ainsi d'améliorer leur productivité,
et surtout de se développer en assurant des prix minima aux produits
récoltés (section garantie du FEOGA). Ainsi les Etats de l'Europe
des 6 ont pu augmenter leurs productions agricoles et les exporter aux autres
membres plus facilement, grâce au principe de la préférence
communautaire, aux facilités mises en œuvre pour les échanges
intracommunautaires et aux prix uniques. La PAC et le TEC sont les deux politiques
communautaires qui ont permis d'améliorer l'intégration des 6
dans la CEE : chacun de ces 6 pays a plus de relation avec les autres, échange
plus facilement des produits agricoles ou industriels avec les autres membres,
même si la part des échanges communautaires est plus importante
pour le Bénélux que pour l'Allemagne par exemple. La CEE une fois
constituée a donc favorisé l'intégration à l'élargissement,
ce qui paraît logique, mais les années 1960 ont été
marquées par plusieurs demandes d'adhésion, qui se concrétiseront
par la suite.
Même si De Gaulle, en représentant la volonté française
refuse en 1963 et 1967 la demande d'adhésion du Royaume-Uni pour conserver
une " Europe européenne " et cela grâce à son
droit de veto , son départ du gouvernement français en 1969 marque
le début de nouvelle négociations avec le Royaume-Uni mais aussi
avec la Norvège, l4irlande et le Danemark. La recherche de la meilleure
intégration possible entre les pays membres est toujours présente,
mais l'élargissement au nord de l'Europe devient une priorité
problématique : la PAC, le TEC existent déjà, et les pays
candidats ne veulent pas nécessairement les appliquer, et les dérogations
demandées (britanniques pour la plupart) ne peuvent pas toujours être
accordées.
De plus, la CEE ne s'élargit pas qu'au Royaume-Uni, au Danemark et à
l'Irlande (la Norvège n'a pas ratifié te traité) puisque
même si les autres Etats de l'AELE (Portugal, Finlande, Suisse…)
n'intègrent pas la CEE, ils ouvrent leurs marchés et la CEE en
fait de même vis-à-vis de ces pays. La politique des échanges
européenne s'applique donc pour ces pays, mais pas sa volonté
d'intégration.
A l'issue de cette première partie, il apparaît donc qu'en 1973,
la CEE se compose de 9 Etats intégrés dans des politiques communautaires
: PAC, libéralisation intérieure des échanges, même
si les nouveaux pays membres disposent de délais pour les appliquer.
Le début d'intégration de la CEE n'a pas empêché
son élargissement. Cependant, il faut remarquer que tous les pays de
la CEE ne sont pas également intégrés, et la comparaison
des différentes parts des échanges intracommunautaires dans les
échanges totaux traduit les niveaux d'intégration dans la CEE.
A la fin de la période étudiée, c'est-à-dire à
l'aube de l'ouverture de la CEE aux pays méditerranéens, si la
France et le Bénélux commercent principalement avec les autres
pays membres, ce n'est pas le cas en revanche de l'Allemagne et surtout du Royaume-Uni
qui conserve de très forts liens avec le Commonwealth. Cette particularité
britannique explique notamment la réticence de ce pays au TEC et au système
de prélèvement agricoles finançant la PAC qui élève
les prix mondiaux agricoles aux prix européens.
Nous avons constaté qu'intégration ne rendait
pas impossible élargissement de la CEE dans cette première partie,
voyons désormais en quoi la perspective de l'élargissement vers
le sud a fait évoluer l'intégration européenne.
Si les écarts de développement entre les Européens
ont été négligés jusqu'aux années 1970, la
perspective de l'élargissement de la CEE vers le sud (Grès en
1980 puis Espagne et Portugal en 1986) impose la mise en place d'une politique
communautaire visant à réduire ces écarts. Ainsi le Fonds
Européen de Développement Economique Régional (FEDER) a
été crée en 1975. Ici, c'est donc l'intégration
qui précède l'élargissement. Par ailleurs, des Programmes
Intégrés Méditerranéens (PIM) ont été
mis en œuvre pour assurer que l'ouverture de la CEE vers le sud ne pénalise
pas trop les régions bénéficiant de cette aide, comme le
Mezzo Giorno italien par exemple.
Avant même l'intégration officielle de la Grèce, l'Espagne
et le Portugal dans la CEE, ces pays ont bénéficié de privilèges
quant à la dissymétrie des droits de douane aux frontières
: si ces trois pays pouvaient accéder librement aux marchés de
la CEE, ceux-ci ont pu garder leurs taxes à l'égard de la CEE.
L'équilibrage entre les frontières s'est effectué progressivement
par la suite : l'intégration des pays méditerranéens dans
la CEE s'est donc réalisée progressivement et a débuté
avant leur adhésion même. Une fois membres de la CEE, ils ont été
encore plus intégrés grâce à l'aide du FEDER, de
la PAC et d'aides telles que le fonds de cohésion instauré après
le traité de Maastricht en février 1992.
Cependant, l'élargissement de la CEE de 9 à 12 a suscité
des réformes institutionnelles ainsi qu'une accélération
de l'intégration des Etats de la CEE. Les réformes institutionnelles
majeures ont été l'élection au suffrage universel direct
des membres du Parlement européen dès septembre 1976 (même
si la première élection a eu lieu en juin 1979), l'augmentation
du rôle du parlement qui vote le budget dès 1975, et obtient les
pouvoirs de codécision et d'avis conforme par exemple grâce au
traité de Maastricht et à l'Acte Unique.
Si l'élargissement de la CEE aux pays méditerranéens a
été précédé par une tentative d'intégration
foret, une fois ces pays adhérés, la volonté d'accélérer
et d'étendre l'intégration à divers domaines a été
encore plus forte. En effet, les politiques communautaires d'intégration
ont été fortement accélérées, comme celle
visant le Marché Unique et la libre circulation des personnes. Si les
taxes douanières ont disparu dans la CEE de 1er juillet 1968, d'autres
barrières (fiscales, techniques…) n'ont pas encore disparu, et dans
la perspective d'un " marché européen unifié "
pour 1993, l'Acte Unique (1986) a contribué à l'intégration
des Etats de la CEE. Par ailleurs, les accords de Schengen (1985-90) ont favorisé
la libre circulation des personnes dans les pays signataires (tous ne le sont
pas). Ainsi, la liberté de circulation des biens, des services, des capitaux
et des êtres humains a favorisé les échanges intracommunautaires,
et donc l'intégration de tous les membres de la CEE, comme le concours
de FEDER permet aux régions périphériques de s'intégrer
dans l'espace communautaire, par des aides développant l'économie,
et donc les échanges.
De plus, de nouveaux domaines sont concernés par la volonté d'accélérer
l'intégration des Etats dans la CEE. Il s'agit par exemple de la politique
des transports qui, quasi inexistante jusque dans les années 1980 aboutit
à l'élaboration de projets dont la plupart ne sont pas encore
réalisés à ce jour, mais l'intégration géographique
est cependant définie comme étant un objectif, tant par la politique
des transports que par l'aide du FEDER. La politique industrielle communautaire
a été également accélérée depuis les
années 1980 avec par exemple des programmes destinées aux pME
en 1987-89 et 1993 pour développer les échanges entre PME et ainsi
développer leur intégration au sein de l'Europe, ou des programmes
cadres pluriannuels de recherche.
Finalement, de cette deuxième partie on déduit qu'avant même
de s'élargir, la CEE a d'abord recherché l'intégration
de ses économies, se ses territoires et qu'une fois l'élargissement
réalisé vers des pays géographiquement et économiquement
périphériques, l'intégration a été accélérée
et élargie à d'autres domaines. Dans le domaine économique,
un point fondamental a pu accélérer l'intégration : il
s'agit de la politique monétaire. En effet, les années 1980 marquent
le début du SME (Système monétaire Européen), qui
relis les monnaies entre elles par le système de marges de fluctuation
par rapport à une unité : l'ECU (European Current Unit). Mais
cette intégration n'a eu véritablement lieu que dans les années
1990, c'est-à-dire à l'époque d'un nouvel élargissement.
La Suède, la Finlande et l'Autriche ont officiellement intégré
l'U.E. en 1995. Ces trois pays n'ont pas véritablement posé de
problème quant à leur intégration économique, mais
pour les deux premiers, un objectif a été rajouté au programme
du FEDER entre 1994 et 1998, pour les régions situées au nord
du 63ème parallèle, quasi-désertiques. L'adhésion
de ces nouveaux membres correspond à la relance de l'union monétaire
puisque l'EURO , monnaie unique de l'Union adoptée par douze pays à
ce jour, accentue encore davantage l'intégration de ces pays au sein
de l'Union puisqu'ils renoncent à leurs monnaies nationales. L'accélération
de l'intégration débutée dans les années 1980 se
poursuit donc après la dernière admission de pays membres à
ce jour.
A travers cette réflexion, il apparaît que si l'intégration
et l'élargissement semblent au premier abord être inconciliables,
la CEE puis l'U.E. a pu les concilier successivement ou simultanément
pour atteindre ce qu'elle est actuellement, mais l'on peut remarquer que si
l'on prévoit de nouveaux élargissements vers les pays de l'Europe
de l'Est cette fois-ci, l'Europe n'est pas actuellement également intégrée,
de fortes inégalités persistent voire s'aggravent, même
si globalement les écarts entre les ays se stabilisent ou se réduisent.
Les pays concernés par les futurs élargissements sont nécessairement
périphériques et beaucoup plus pauvres que la moyenne de l'Union.
Il faudra donc prendre soin de ne pas élargir l'UE trop rapidement, sinon
les efforts en matière d'intégration dans l'UE s'arrêteraient
brutalement et auraient finalement été inutiles.