Depuis l'introduction de l'Euro, monnaie unique de l'Union
Européenne (UE), communauté de quinze états définie
dans le traité de Maastricht en 1992, sur tous les marchés financiers
en 1998, la construction européenne semble stagner. C'est tout l'espace
européen, composé des états membres et des états candidats
de l'ancien bloc de l'Est qui s'interroge sur sa place, ses perspectives au sein
d'une économie-monde dont elle constitue l'un des ponts cardinaux, avec
les Etats-Unis et le Japon.
A l'heure de la mondialisation de l'économie, l'intégration économique
et monétaire de l'espace européen a t'elle encore un sens ? Il s'agit
de questionner la construction européenne, engagée depuis 1951 (CECA
à 6 pays) dans la voie d'une intégration croissante, d'un rapprochement
des politiques macroéconomiques, dans un contexte mondial ouvert de libre-circulation
des biens, du facteur travail, des services, des capitaux, soit dans un monde
où les marchés, les entreprises et la concurrence ont une dimension
mondiale. Quelle en est la signification, quelle en est la direction (peut-elle
et doit-elle aller vers plus d'intégration )?
En fait, le renforcement de la cohésion d'un espace restreint a t'il un
sens dans un monde où l'économie ne connaît, elle, pas de
frontières ?
Nous verrons que l'espace européen a choisi l'intégration afin de
répondre aux dangers de la mondialisation, et que cet objectif peut devenir
un frein à celle-ci ; puis que l'intégration de l'espace européen
permet d'en faire un acteur de la mondialisation de l'économie ; enfin
que la poursuite de cette intégration fait de l'espace européen
un moteur de la mondialisation économique et de son intégration
aujourd'hui insuffisante.
Tout d'abord, l'espace européen a choisi l'intégration économique
et monétaire en réponse aux menaces crées par la mondialisation
de l'économie depuis 1945. L'Europe voulait faire face à la concurrence
désormais mondiale, régie par des règles du libéralisme
précises et universelles énoncées lors des réunions
du GATT (dès 1947). Le recours au protectionnisme tarifaire devenant
peu à peu impossible, l'espace européen commence à s'organiser,
notamment par la réalisation d'une union douanière en 1968, prévue
dans le traité de Rome de 1957 qui institue la CEE, réunissant
6 états européens (France, Bénélux, Italie, RFA)
plus tard rejoints par d'autres (RU, Danemark, Irlande en 1972, Grèce
en 1981, Portugal et Espagne en 1986). Dans ce marché commun, les biens
circulent librement. De plus, la CEE met en place le Tarif Extérieur
Commun (TEC). Chaque état membre se protège à la fois de
l'extérieur (d'où la préférence communautaire prévalant
dans la PAC, la fixation du TEC pour chaque produit) et des autres états
membres en coopérant avec eux et en harmonisant leurs prix et niveaux
de vie. C'est l'intégration économique.
De plus, pour faire face aux fluctuations du dollar qui flotte depuis 1973 et
auquel la mondialisation de l'économie a donné une position hégémonique,
la CEE tente une intégration monétaire en créant le Serpent
monétaire (1972) puis le SME (1979) définissant des écarts
précis et restreints entre les devises.
On le voit, l'intégration économique et monétaire de l'espace
européen avait bien un sens avant, celui d'un développement protégé
après les instabilités suivant le second conflit mondial qui dévaste
l'Europe. Cependant aujourd'hui, le dollar est redevenu stable et peut constituer
l'unique devise de l'économie mondiale (facilitation des taux de change…).
De plus, les pays européens sont aujourd'hui très compétitifs
et appartiennent au podium des plus grandes puissances mondiales. Dès
lors, vouloir constituer (voire maintenir) l'intégration économique
et monétaire relève du risque isolationniste. Intégrée
sur son territoire, l'Europe refuse le libre échange sans barrières
douanières avec le reste du monde. Pour preuve, les craintes japonaises
de la constitution d'un espace-forteresse protégé par le TEC et
freinant ainsi la pénétration de son marché, brouillant
les règles de la concurrence (cf. les USA, qui reprochent à l'UE
le "protectionnisme de la PAC" à cause du principe de la préférence
communautaire).
Néanmoins, l'espace européen tente de dépasser ces risques.
Aujourd'hui, c'est son intégration monétaire et économique
qui le fait participer pleinement à la mondialisation de l'économie.
En premier lieu, il faut rappeler que "mondialisation de l'économie"
et "régionalisation des échanges" sont certes paradoxaux,
mais pas contradictoires. Aujourd'hui, si l'économie se mondialise, les
zones d'échange régionales se multiplient (ALENA…). L'échange
y est favorisé par des mesures d'intégration économique,
comme la baisse de la tarification douanière. Cependant, les zones de
commerce régionales ne font pas du commerce exclusivement entre elles,
et stimulent au contraire toute l'économie mondiale. Les accords du GATT
signés par les états de l'UE accordés stipulent d'ailleurs
l'interdiction de favoriser un commerce intracommunautaire aux dépens
du commerce extra communautaire. Par son intégration économique
et monétaire, l'UE s'inscrit bien dans le schéma mondial, et s'affirme
comme un des pôles de la Triade. Rappelons qu'elle réalise près
de 40% du commerce mondial (intrazone comprise).
En deuxième lieu, l'espace européen dans son fonctionnement respecte
les règles de la mondialisation de l'économie, grâce à
l'intégration économique et monétaire. Ainsi l'UE a t'elle
réalisé la libéralisation des marchandises en 1968 (prévue
par le traité de Rome en 1957), des capitaux en 1990, du facteur travail
(accords sur la mobilité professionnelle en 1968, programme universitaire
Erasmus, accords de Schengen en 1990). Il existe aussi des accords économiques
liant l'UE aux états d'Europe de l'Est, première intégration
économique de ces probables futurs états-membres. C'est tout l'espace
européen qui est régi par les lois de la libre circulation définissant
la mondialisation de l'économie. Cette dernière contient en son
sein un grand marché assez cohérent de plus de 350 millions de
consommateurs, dont les essais d'harmonisation du niveau de vie (le budget de
l'UE, certes modeste, est redistributif) assurent la cohérence et permet
de répondre à une offre importante en provenance des grandes puissances
mondiales qui ne peuvent l'écouler sur leurs marchés intérieurs
(notamment Haute Technologie).
D'ailleurs, l'UE fait tout pour faciliter les échanges avec les états
et les firmes extra communautaires. Elle s'est dotée depuis 1998 d'une
monnaie unique, l'euro, géré par la Banque Centrale Européenne,
indépendante des états, et qui fixe un taux directeur commun à
tous les états, sur le modèle de la toute puissante FED américaine.
Cet exemple inédit d'intégration monétaire simplifie les
stratégies étrangères. Pour preuve, l'implantation et l'investissement
croissants des firmes japonaises en UE (Daewoo…) qui apprécient
l'accès à cet espace avec une monnaie, un prix extérieur,
une libre circulation beaucoup plus simple que si chaque état avait conservé
sa devise, ses barrières douanières, ses propres travailleurs
nationaux. Mobilité des intrants, du facteur travail, information claire
des prix et de la politique de la BCE : zone de production, d'investissement
et de consommation privilégiées grâce à la formation
d'une cohérence européenne par une intégration économique
et monétaire inédite : l'UE (et bientôt tout l'espace européen
qu'elle articule et absorbera peut-être) participe pleinement à
la mondialisation de l'économique.
De plus, à l'heure de la mondialisation, l'intégration économique
et monétaire de l'espace européen poursuit deux directions qui
interagissent : se poursuivre afin d'affirmer l'espace européen dans
l'économie mondiale, et constituer le moteur de la mondialisation économique.
D'une part, la construction européenne a de graves lacunes qui entravent
l'efficacité de l'économie européenne dans l'économie
monde. Les politiques communautaires en matière d'industrie, d'énergie,
de transport, de services sont nettement insuffisants. Le "continent"
européen représente une civilisation, un espace continu (autour
du Danube, du Rhin, des Alpes françaises, autrichiennes, suisses) dont
il faut institutionnaliser la cohérence naturelle. L'économie
mondialisée dépasse les frontières que l'histoire a imposé.
L'intégration économique et monétaire doit dès lors
déboucher sur une intégration politique de l'espace européen,
et d'abord de l'UE. Car pour prendre de vraies décisions macroéconomiques,
rendre l'Europe plus forte, plus compétitive, plus indispensable à
l'économie mondiale en déterminant des objectifs communs clairs,
le recours à l'intégration politique s'impose.
D'autre part, l'intégration économique et monétaire européenne
est un modèle pour la mondialisation de l'économie. En effet,
une cohésion, une stabilité monétaire ont été
crées entre différents états. Il existe une coopération
entre les banques centrales, des embryons de droit des affaires supranational
(la Commission a le droit de se prononcer sur des projets de concentration d'entreprises
européennes dont le CA dépasse 5 milliards de francs). C'est peut-être
ce qui manque pour réaliser une mondialisation de l'économie qui
soit synonyme de croissance stable : une intégration économique
et monétaire réelle.
Enfin, c'est la poursuite de l'intégration monétaire, économique
voire politique en Europe qui assurera son poids et son rôle dans la mondialisation
de l'économie. Alors que chaque pays paraît bien faible, l'UE s'affirme
comme le concurrent direct des Etats-Unis, première puissance mondiale.
Dès lors, mondialisation de l'économie ne rime pas avec américanisation
de l'économie. Par l'intégration économique et monétaire,
l'Europe entend affirmer son indépendance (ambition inédite et
audacieuse de créer une monnaie commune stable en concurrence avec le
dollar), stimuler la mondialisation de l'économie et décider de
son orientation (modèle social européen…) par sa puissance
résolument commune.
Ainsi, l'intégration économique et monétaire
a permis a une réunion de petits Etats européens de participer
et de tirer profit de la mondialisation de l'économie. Mais pour que
toute cette entreprise audacieuse garde un sens, la construction européenne
doit franchir le pas décisif d'une intégration politique : l'Europe
doit désormais choisir entre constituer un véritable état
cohérent, càd un espace intégré à l'économie
mondiale, ou risquer de se dissoudre dans une zone de libre-échange.
Peut-être sont-ce les élargissements successifs à tout l'espace
européen qui réaliseront cette intégration en la rendant
indispensable ?