Les mutations du modèle industriel américain et leurs conséquences économiques et sociales, depuis le début des années 1970.

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Bonne copie du lycée : 63 - Clermont-Ferrand - XXXX

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Commentaire du professeur : travail sérieux et approfondi.analyse intéressante et bonne acquisition de connaissances même si l'argumentation est parfois un peu hésitante


En 1945, les Etats-Unis dominent le monde, ils sont les seuls grands vainqueurs de la guerre, les seuls à avoir conservé et accentué leur puissance économique et financière. S'engage dès lors une période de croissance sans précédent sur la planète que l'on surnomme " 30 Glorieuses ", le Baby Boom se poursuit… et le monde se bipolarise : c'est le début du choc entre les deux universalismes antagonistes américain et soviétique. Le début des années1970 est une charnière à l'échelle mondiale : c'est la fin de la période de forte croissance ininterrompue pour les grandes puissances en reconstruction marquée par le premier choc pétrolier de 1973. Les années 1970 marquent également pour les Etats-Unis le début d'une nouvelle ère, celle d'un nouveau modèle industriel basé sur les technologies nouvelles. Comment le modèle américain a-t-il évolué à partir de 1970 et quelles en furent les conséquences économiques et sociales ? Dans cette réflexion, nous étudierons successivement la fin de la seconde révolution industrielle aux Etats-Unis qui correspond approximativement aux années 1970, puis les débuts d'une nouvelle économie que nous tenterons de définir et enfin nous en déduirons ses conséquences économiques et sociales actuelles.

Les difficultés des vieilles industries américaines ont quelque peu précédé les années 1970. C'est notamment le cas de l'industrie textile, un modèle de la première révolution industrielle qui a dû dès les années 1950-60 faire face à l'émergence de nouvelles puissances économiques (les premiers NPI asiatiques) s'imposant comme de sérieux concurrents concernant les matières textiles. L'industrie textile américaine a donc souffert de cette concurrence dès les années 1960, ce secteur est ainsi entré " en crise ". La sidérurgie, autre industrie traditionnelle, a elle souffert de la conjoncture économique mondiale à partir des années 1970 et du ralentissement de la croissance mondiale. Quant à l'automobile, qui fut longtemps le fleuron de l'économie américaine, le symbole de sa puissance et de son rayonnement planétaire, les années 1980 marquèrent le début de ses difficultés dues à une perte de compétitivité, aux transplants japonais succédant à la phase d'exportation de véhicules japonais aux Etats-Unis, et qui a finalement abouti à une baisse de la production américaine d'environ 45% et à une restructuration des entreprises inévitable. Ainsi l'Industrial Belt s'est convertie en Rust Belt.
Les années 1970 apportent de plus une interrogation quant à l'évolution de l'économie américaine : s'agit-il d'une désindustrialisation ou d'une tertiarisation ? En effet, si la population active agricole est déjà basse, elle a tout de même tendance à baisser, et ce n'est plus l'industrie qui absorbe la population active croissante dûe à l'émancipation féminine et à l'apparition sur le marché du travail des premiers " Baby Boomers ", mais le secteur tertiaire. Et cette tendance à la tertiarisation n'en est encore , à cette date, qu'à ses débuts.
La stratégie des entreprises américaines pendant cette période est à la formation de conglomérats, c'est-à-dire qu'elles se concentrent, qu'elles se diversifient au maximum, sans stratégie réelle d'interconnexion, les entreprises ainsi réunies ne produisent pas le même produit, ne dépendent pas de matières produites par d'autres… C'est ainsi que les chefs d'entreprises américains (CEO) comptent détourner les lois anti-trusts et recherchent la situation de quasi monopole.
La fin de la seconde révolution industrielle est également marquée par le début d'un déficit commercial qui deviendra jusqu'à nos jours structurel. En effet, si le prix du pétrole flambe en 1973 puis en 1979, la consommation américaine reste forte : la société américaine est déjà une société de consommation. En plus du déficit commercial, le déficit budgétaire se creuse notamment en raison de la part du budget consacrée à l'armement dans ce contexte de Guerre Froide, au " complexe militaro-industriel " américain.
Du point de vue social, le modèle américain est moins positif. En effet, même si elle a baissé, la pauvreté rassemble en 1973 11.1% de la population, et Kennedy lui-même a dénoncé l'existence persistante de la faim. Ces 11% sont certes nombreux, mais pas assez pour constituer un groupe de pression influent à l'échelle nationale. Et si les politiques démocrates de Truman ou de Kennedy par exemple lors de leurs programmes dits de " Fair Deal " ou de " Nouvelle Frontière " ont abouti à la création du Medicare et du Medicaid, la priorité du pays reste cependant la guerre du Vietnam ou la Guerre Froide plus généralement et non pas la réduction des inégalités internes au pays. Toutefois, il faut nuancer ce pessimisme : la définition du seuil de pauvreté américaine est bien loin de celle des pays en voie de développement à cette date.
Finalement, le bilan de cette décennie reste malgré tout très positif, même si les Etats-Unis ne dominent plus le monde aussi nettement qu'en 1945, leur situation économique reste un modèle à suivre pour toute la planète. L'on ne peut véritablement parler de " crise " à cause des flottements du dollar ou des difficultés de l'industrie automobile par exemple, mais on peut par contre parler de " crise " au sens étymologique : il s'agit effectivement d'une " crisis ", c'est-à-dire d'une évolution, d'un passage vers une économie nouvelle. Voyons désormais comment elle s'est instituée au cours des années 1980-1990.

Dès le début des années 1980, l' " Industrial Belt " américaine se transforme en " Rust Belt ", c'est-à-dire que la rouille succède à la croissance cassée de la production automobile dans la région des Grands Lacs. Avec l'augmentation de la concurrence mondiale, le pays craint de perdre son " leadership ", son rôle de numéro un. L'implantation d'usines automobiles japonaises dès le début des années 1980 dans le pays est une preuve de cette remise en question. Cependant , l'économie américaine fondée sur le libéralisme économique a su s'adapter, découvrir des nouveaux types d'industrie grâce notamment à l'une de ses caractéristiques propres : le permanent taux élevé de création d'entreprises.
La nouvelle industrie américaine n'est pas véritablement une industrie stricto sensu, c'est-à-dire qu'elle n'a pas toujours pour objet de créer un bien matériel, elle est plus intellectuelle que matérielle. Le symbole de son émergence est sans doute l'invention en 1981 par IBM du premier PC (hardware) avec la coopération de Microsoft pour établir son système d'exploitation (software). Le " soft " l'a emporté sur le " hard " : la matière grise a dépassé le matériel. Une des conséquences a été l 'émergence dans le pays de grandes villes secondaires, de nouvelles mégalopoles dans le sud et l'ouest : c'est la Sun Belt. En effet, ces entreprises ne nécessitant pas de matières premières encombrantes, les entreprises de haute technologie ont préféré s'implanter là où leurs conditions de vie sont les meilleures, ce qui a entraîné d'intenses migrations démographiques.
De plus, cette évolution de l'économie a été largement favorisée par les politiques républicaines des présidents de l'époque, Reagan et Bush. Ils ont stoppé les " dépenses inutiles " destinées aux aides sociales pour ainsi favoriser l'initiative, et baissé les impôts, encouragé la création d'entreprises grâce à l'aide d'incubateurs… Pour cela, ils ont utilisé la pratique du déficit budgétaire et n'ont pas réussi à réduire le déficit commercial comme ils l'avaient espéré. C'est dans ce contexte qu'une nouvelle économie est apparue aux Etats-Unis dans les années 1980, mais qu'est-ce que cette nouvelle économie ? Qu'est-ce que ce nouveau modèle industriel ?

L'essence de la nouvelle économie repose sur les services (76.5% de la valeur du PNB en 1997) et plus particulièrement sur des emplois de plus en plus qualifiés. La fonction de production est devenue secondaire et est souvent délocalisée dans des maquiladoras mexicaines par exemple. Ainsi la part de l'industrie dans l'économie a reculé au profit des services.
Cette nouvelle économie est donc une industrie pour main d'œuvre qualifiée, c'est une industrie de pointe. Ainsi l'importance du secteur recherche et Développement s'est considérablement accrue pendant les années 1980, et si la part du PIB qui lui est consacrée n'est que de 2.7%, part inférieure à celle de l'Allemagne, l'effet de masse joue considérablement. Les recherches fondamentale et appliquée sont donc devenues essentielles aux Etats-Unis et sont de plus en plus en collaboration avec des universités prestigieuses, des technopôles : la Silicon Valley près de San Francisco, la route 128 à Boston, la Silicon Alley à Manhattan… Ce facteur explique la fuite mondiale des cerveaux vers les Etats-Unis : son modèle économique devient basé sur la matière grise. C'est ainsi que les entreprises " high tech " informatiques du pays sont devenues les plus performantes de leur branche à l'échelle mondiale (7 parmi les 10 premières en 1998). Les entreprises high tech regroupent donc l'informatique, une partie de l'industrie alimentaire (Monsanton) concernant notamment la création d'OGM et d'une manière plus générale toutes ses recherches de ponte, et évidemment l'industrie aérospatiale dans laquelle les Etats-Unis dominent même dans le cadre d'une coopération internationale. Si dans toute l'économie le rôle de l'Etat n'est pas prépondérant et a tendance à diminuer en raison des accords commerciaux réalisés avec des pays tiers, et cela depuis 1945, l'industrie aérospatiale reste un cas particulier car étant à la limite entre le civil et le militaire, mais globalement, l'on ne peut affirmer que le modèle américain repose sur l'Etat.
Pour rentabiliser cette mutation du modèle industriel américain, il a fallu pratiquer des économies d'échelles, c'est-à-dire adapter l'entreprise américaine à l'échelle de la planète. En effet, dans sa stratégie d'internationalisation, la constitution précédemment évoquée de conglomérats cesse et l'on assiste à un retour des entreprises à leur spécialisation initiale, à un recentrage de leurs activités et cela pour gagner des parts de marché dans un secteur donné à l'échelle mondiale. La conséquence d'une telle stratégie est la croissance exponentielle du nombre de fusions-acquisitions dans la décennie 1980 puis surtout 1990 : pour s'adapter à l'échelle du globe, l'entreprise américaine doit grossir et absorber ses concurrents. Il en est de même pour l'industrie militaire qui reste essentielle aux Etats-Unis même après la chute du communisme. Une énorme concentration a été réalisée dans ce secteur pour conserver son avantage technologique et sa rentabilité.
De plus, cette mutation s'accompagne d'une " dématérialisation " de l'économie, aussi bien dans sa production (réalisée à l'étranger de plus en plus souvent) que dans son financement. En effet, pour se moderniser, les entreprises américaines comptent de plus en plus sur la capitalisation boursière, et donc souvent par un investissement immatériel. Cette évolution va de pair avec l'introduction de nouvelles formes de management : le CEO d'une entreprise n'est plus le propriétaire des moyens de production le plus souvent, mais celui qui est diplômé pour diriger et qui est nommé par les actionnaires de cette entreprise. A cette nouvelle forme de direction d'entreprise s'ajoute évidemment de nouvelles pratiques dans la production : les flux tendus…
Les conséquences économiques et sociales de cette mutation sont nombreuses, et même si les gains de productivité fléchissent légèrement, il n'en reste pas moins que les Etats-Unis sont bien parvenus à conserver leur leadership menacé auparavant. La preuve en est que la crise mondiale des années 1990 fut très brève aux Etats-Unis et suivie d'une très forte croissance sous la présidence de Clinton. Grâce à la tertiarisation de l'économie, à sa dématérialisation, la population a poursuivi son mouvement d'urbanisation déjà très accompli, et e développement des " high tech " permet actuellement un début de retour de l'importance de la " Rust Belt " puisqu'elle concentre toujours les centres de décision.
Ainsi l'on explique que la très large majorité de la population active travaille dans le secteur tertiaire, que grâce à la croissance de la présidence Clinton le chômage reste très bas (même s'il a depuis très peu de temps tendance à remonter), aux alentours de 5% et que les niveaux de vie aient globalement progressé.
Cependant, il convient de nuancer ces avancées sociales. En effet, les Etats-Unis restent actuellement le pays des inégalités, et la pauvreté persiste (12.7% en 1998), les ménages consomment sans épargner alors ils s'endettent… Et si les " pauvres " étaient suffisamment nombreux dans les années 1950 pour constituer un groupe et non une minorité marginale, ce n'est plus le cas actuellement. D'ailleurs, l'on constate que même sous la présidence du démocrate Clinton, l'aide aux plus démunis a été amoindrie en 1996, avec le programme du PRWORA. Il en va de même pour les aides précédemment évoquées que sont le Medicaid et le Medicare : ils ont été réformé de manière à moins distribuer à la population, notamment à cause des problèmes que va causer à l'avenir le Papy Boom. A ces problèmes sociaux, il convient d'ajouter l'absence de couverture maladie concernant environ 16% de la population, les problèmes posés par les fonds de pension puisque tous ne peuvent cotiser, l'emploi précaire… Toutes ces inégalités sociales sont aussi une conséquence de la mutation industrielle du pays et de son économie libérale.

Finalement, il apparaît dans cette réflexion que malgré toutes les inégalités évoquées, l'économie américaine reste actuellement un modèle pour la planète. Elle est parvenue à surmonter les difficultés de la crise des industries de la seconde révolution industrielle en provoquant une nouvelle révolution industrielle, en créant de nouvelles industries. De plus, elle a réussi à restructurer ses vieilles industries qui sont devenues à l'heure actuelle bien plus performantes, c'est notamment le cas du textile et de l'entreprise " Shaw Industry ". Cependant des nuances sont essentielles puisque cette nouvelle économie reste fragile, basée sur de l'immatériel et la chute de la bourse de 2000-2001, le recul des valeurs technologiques, le ralentissement actuel de l'économie… sont des preuves de cette instabilité. De plus, la société reste très inégalitaire malgré la hausse globale du niveau de vie, de graves problèmes se posent quant à l'immigration clandestine (preuve que le modèle reste attractif) et aux minorités grandissantes. Le modèle est donc contesté par certains pays et imité mais nuancé dans son fondement libéral par d'autres pays (la France par exemple). Le bilan actuel du modèle américain après sa mutation reste donc positif et comme on le constate souvent, la mutation a été la conséquence de mutations de deux facteurs : les acteurs (l'Etat ayant tendance à réduire son rôle), et les échelles, qui deviennent une : celle du monde.