Selon Bodin , " il n'est de richesse que d'hommes "
c'est-à-dire que la richesse d'un pays ne repose pas sur la quantité
de métaux précieux qu'il possède mais sur sa population.
Or la population est l'ensemble des personnes sur un territoire donné,
originaires de ce territoire ou étrangères, à un moment donné
et qui se modifie selon trois constantes : la natalité, la mortalité
et la migration. La croissance peut être un développement durable
de la production, de la consommation, des exportations…La croissance ,si
elle peut être appréhendée qualitativement, comme dirait Schumpeter,
est un processus de destruction créatrice, mais elle est surtout caractérisée
quantitativement .Comment alors caractériser la population et la croissance
au Japon depuis 1945 ?Quel est le rôle de la population sur la croissance
?La croissance influe-t-elle aussi sur l 'évolution de la population ?Si
la population japonaise est au service de la croissance du pays ,la croissance
repose essentiellement sur la marché intérieur pendant la période
de haute croissance même si elle tire avantage d'autres facteurs.
La population japonaise est travailleuse et nombreuse. Elle
est à la recherche perpétuelle du consensus mais toutes ses capacités
ne sont pas encore exploitées.
En 1945,le Japon sort de la guerre détruit .Il y a eu deux millions de
morts et quatre millions de blessés. De plus, environ cinq millions de
militaires et de colons sont rapatriés de l'étranger. Or la population
est déjà nombreuse sur un territoire limité. Le taux de
natalité est fort puisqu'il atteint le chiffre de 32 pour 1000 de 1945
à 1948.Ainsi une loi eugénique est mise en place en 1948 pour
limiter le nombre des naissances .C'est la première fois dans le monde
qu'on lie croissance et nombre de la population. Une population trop nombreuse
pourrait affecter la croissance. La baisse de la natalité est progressive.
Le taux de natalité est 24 pour 1000 dans les années 1950.
Si la population japonaise est nombreuse ,atteignant les 75 millions d'individus
dans les années 1950,elle est travailleuse et de ce fait sert la croissance.
La population active passe de 58 à 68 millions de 1958 à 1968.Elle
prend peu de congés, ceux-ci étant mal considérés.
La population est éduquée et cela depuis l'ère Meiji où
l'école a été rendu obligatoire dès 1868.Le niveau
d'éducation du pays est élevé. Le taux d'alphabétisation
atteint les 99% en 2000 ce qui est remarquable. Ainsi, elle a les meilleures
dispositions pour servir la croissance.
Enfin ,la population japonaise est docile et épargne par atavisme culturel
mais aussi par nécessité. Elle a toujours été prête
au sacrifice pour soutenir son pays. Le niveau de l'épargne atteint les
30% du produit intérieur brut (PIB) dans les années 1970 ce qui
correspond à 20% du revenu disponible. Cette épargne est transformée
par la banque du keiretsu ,grand conglomérat , en investissement pour
les entreprises. Ainsi, celles-ci peuvent se moderniser et favoriser la croissance
de leur production.
La population japonaise recherche perpétuellement le
consensus. Cela résulte de leur appartenance au confucianisme qui repose
sur le respect des éléments naturels, l'harmonie dans la société
et une hiérarchie immuable. Cela se retrouve notamment dans le ringi
c'est-à-dire la recherche du consensus dans l'entreprise. On est d'accord
avec l'ensemble du groupe ,personne ne doit perdre la face. Cela a pourtant
un inconvénient , la lenteur du processus.
De plus, le Japon est obnubilé par l'information. Il s'informe ,absorbe
les informations mais ne les restitue pas à l'étranger. De ce
fait, il peut anticiper et se lancer dans la production dans tel ou tel secteur.
Ainsi en 1955,le Japon se anticipe et se lance dans l'électronique. La
croissance de ce secteur devient telle que le Japon occupe 27% du marché
mondial dans les années 1970-1980.L'information circule de façon
horizontale c'est-à-dire dans l'ensemble de la population. L' Azahi Shimbun,
journal japonais ,est tiré à plus de 50 millions d'exemplaires.
Enfin, le peuple japonais apparaît égalitaire et se veut homogène.
Le modèle est celui du salary man dit sarariman. La population japonaise
est majoritairement constituée de classes moyennes. Il y a peu de pauvres
et peu de milliardaires. La grande partie de la population est concentrée
dans la mégalopole japonaise de 1200km de long et de ce fait peut participer
à l'activité économique du pays qui s'y trouvent presque
totalement concentré. Tokyo regroupe 44% des étudiants et 46%
des 3400 centres de recherche du pays. Excepté l'exode rural qui a fournit
une main d'œuvre conséquente aux industries qui ont ainsi pu assurer
le boom économique japonais, la population migre à l'intérieur
de la mégalopole. Les immigrés quant à eux sont très
peu nombreux car ils ne sont pas acceptés sur le territoire. Ils atteignent
un million mais il y a aussi quelques centaines de milliers de clandestins qui
travaillent pour la mafia en général du fait de leur entrée
illégale sur le territoire.
Si la croissance japonaise atteint les 7 à 8% pendant
les années 1960-1970,elle le doit beaucoup à le " facilité
" d'adaptation de la population japonaise .Les Japonais se comparent à
l'eau qui s'adapte dans n'importe quel récipients mais garde sa nature.
Les japonais s'adaptent tout en gardant leurs spécificité .Ainsi,
ils se concentrent sur les secteurs porteurs pour la croissance et abandonnant
les autres. Dans les années 1970,lors des crises dues aux chocs pétroliers,
le Japon abandonne les industries lourdes à forte intensité de
capital et les industries légères à forte intensité
de main d'œuvre.
En outre ,le Japon possède des réservoirs de main d'œuvre
avec les femmes qui ne représentent en 2000 qu'environ 40% de la population
active. Elles ne travaillent en réalité qu'avant leur mariage
et après avoir élevé leurs enfants. L'immigration peut
aussi être une solution face à un manque de main d'œuvre avec
le vieillissement de la population. Mais cela sera t -il accepté sur
le plan culturel ?En effet, les femmes ne sont pas destinées au travail
et n'obtiennent pas de postes à responsabilités. Même si
tous sont égaux au Japon depuis 1946,il faut attendre 1986 pour qu'une
loi mette fin aux inégalités sur le plan juridique car celles-ci
demeurent dans la réalité. Les immigrés sont mal acceptés
et souvent cantonnés aux tâches inférieures.
Enfin, il existe aussi des gisements de productivité. Si l'entreprise
ou un secteur est productif favorisant la croissance, il n'en est pas de même
pour les travailleurs de façon individuelle. On constate une multiplication
des pauses, des discussions dans la journée. Les entreprises emploient
parfois plus d'employés que le travail ne l'exige en réalité.
Mais cette tendance de la population sage, docile ,épargnante ,travailleuse
tend à s'affaiblir avec la nouvelle génération de japonais
qui n'est pas prête à autant de sacrifices. Si cette population
a favorisé la croissance par ses caractéristiques, la croissance
a aussi eu des effets sur la population.
Pendant la période de haute croissance qui suit le deuxième
guerre mondiale ,la croissance repose essentiellement sur le marché intérieur
induisant des effets nombreux sur la population.
Le marché intérieur est protégé après 1945
de la concurrence des industries étrangères à travers le
protectionnisme. Ce marché est aussi une sorte de laboratoire où
on teste les produits avant de les lancer à l'étranger. Cela s'appelle
la théorie du " vol d'oies sauvages " d'Akematsu et qui date
de 1937.Les entreprises japonaises importent la technologie étrangère
,innovent et l'essaient sur le marché japonais puis exportent si le test
a été positif.
Ainsi, pendant la haute croissance, la croissance japonaise repose sur le marché
intérieur. La population a atteint les 100 millions dans les années
1960.Les années 1950 et 1960,constituent d'abord une phase de consommation
d'équipement puis de masse. Les Japonais s'équipent en électroménager
puis rapidement ils consomment d'autres produits moins nécessaire à
la vie de tous les jours. Les Japonais étant de plus en plus des consommateurs
nationalistes et exigeants, ils consomment des produits japonais qui sont d'ailleurs
mieux adapté aux besoins japonais. De 1955 à 1961 , la croissance
est remarquable ,c'est le Jimmu Boom et l'Iwato Boom. La croissance est plus
irrégulière de 1961 à 1965 et se ralentit mais reprend
de 1966 à 1971 . même si les Japonais consomment et donc tirent
la croissance ,ils continuent d'épargner constituant des sources d'investissements
pour les entreprises.
La croissance a des effets positifs sur la population japonaise.
La croissance a atteint des sommets ,jusqu 'à 12% par an Cela a pour
résultat la hausse du niveau de vie des Japonais, longtemps resté
à un niveau très bas. Le Japon se classe juste derrière
la Suisse et la Suède pour niveau en 1991 en 1991.Il possède aussi
le deuxième PIB par habitant du monde. La hausse du niveau de vie induit
une baisse de la natalité qui est de 9,4 pour 1000 en 2000.Le taux de
fécondité est de 1,4 enfant par femme. Des progrès se voient
aussi avec l'amélioration de l'espérance de vie qui est la plus
élevée au Japon du monde. Elle est de 84 ans pour les femmes ,72
ans pour les hommes. Cela est du à l'amélioration de la médecine,
de l'augmentation des dépenses de santé et de la protection sociale
.Ce qui n'est pas sans incidence sur la croissance car les dépenses de
santé et de protection sociale coûtent cher et pèse sur
celle-ci notamment dans les années 1980.
Enfin, une partie des salariés japonais ont accès aux trois trésors.
Ce sont les salariés des grandes entreprises qui y ont accès soit
environ 25% de la population active. Ils possèdent un emploi à
vie ,un salaire à l'ancienneté ,un syndicat d'entreprise. La croissance
était telle que les entreprises qui redoutaient une pénurie de
main d'œuvre ont voulu fidéliser leurs salariés et rentabiliser
leur effort de formation. L'avantage pour les salariés est qu'ils ont
moins de stress mais leur travail en est aussi moins motivant. Ce système
tend à être remis en cause depuis quelques temps.
Cependant cette croissance n'est pas sans effets négatifs
sur la population. La croissance des industries a provoqué beaucoup de
pollution que le gouvernement a tardivement tenté de maîtriser.
La maladie de Minamata ou l'air irrespirable de Tokyo ne sont que deux exemples
parmi de nombreux autres, dans la mégalopole, la pollution automobile
rend l'air irrespirable causant des maladies respiratoires.
De plus, les industries ,les entreprises de services se sont accumulés
dans la mégalopole. Elles ne cessent de croître avec la forte croissance
des économies japonaises .La grande partie de la population s'y trouve
donc accumulée et les terrains ,logements y sont hors de prix. Le mettre
carré à Tokyo atteint les 100000 francs et 20% des logements à
Tokyo ou à Nagoya ne possèdent pas de salle de bain. Les travailleurs
doivent s'installer à une ou deux heures en moyenne de leur lieu de travail,
faisant le trajet chaque jour.
Enfin, quand le taux de croissance s'avère être négatif
donc en période de récession comme de 1992 à 1995 ou après
1997, ce sont les employés des petites et moyennes entreprises qui sont
licenciés ou les femmes en priorité dans les grandes entreprises.
La pression sociale fait que les licenciés ne vont pas tous s'inscrire
au chômage. L'effet inverse, l'excès de travail provoque aussi
la mort par Karoshi c'est_à_dire par arrêt cardiaque.
La croissance a eu des effets nombreux sur la population. Mais cette interaction
est_elle la seule raison de la croissance japonaise ?
Le rôle de l'Etat n'est pas négligeable dans la croissance ainsi
les opportunités que le Japon a pu saisir. Le marché extérieur
a aussi réussi à apporter une contribution.
L'Etat joue un rôle dans l'économie japonaise depuis l'ère
Meiji. Mais dès 1946,il met en place une planification indicative pour
orienter les entreprises dans tel ou tel secteur. Certes, c'est grâce
à la main d'œuvre japonaise que les résultats dépassent
systématiquement les prévisions car celle-ci est efficace mais
c'est l'Etat qui oriente la production.
De plus, les structures gouvernementales comme le MITI ,le ministre du commerce
international et de l'industrie ,le JETRO,Japan External Trade Organisation
,et le ministère des finances sont efficaces. Ils se renseignent sur
les marchés ,négocient pour les entreprises japonaises face aux
firmes étrangères. Les entreprises japonaises ont moins se contraintes
pour s'affirmer surtout à l'étranger puisque c'est l'Etat qui
prend toutes ses contraintes en charge.
Enfin, grâce aux informations qu'il possède ,l'Etat anticipe sur
les productions et oriente la recherche qui est alors entreprise à 80%
par les firmes japonaises. Ainsi le Japon est un des leaders de l'électronique
grand public, dans les micro-ondes…La croissance de ces secteurs est forte
dans les années 1980.Le MITI prend en charge la recherche fondamentale
qui reste cependant très inférieure à la recherche appliquée.
La recherche équivaut à 3% du produit national brut japonais (PNB).
La croissance japonaise a aussi résulté en partie
des opportunités dont le Japon s'est saisi. Mais qui n'a été
possible que grâce à l'adaptabilité de la population japonaise.
La guerre de Corée de 1950 à1953 a permis la croissance industrielle
qui est passée de l'indice 51 en 1951 à 149 en 1953.La crise de
Suez en 1956-1957 a permis l'essor de la construction navale. Enfin la guerre
du Vietnam, a engendré une envolée des taux de croissance dès
1966 car le Japon sert de base logistique aux Américains.
Le Japon utilise aussi les manifestations internationales pour relancer son
économie quand celle-ci ne se porte pas très bien ou pour se faire
de la publicité et donc inciter les touristes à visiter la pays.
C'est le cas lors des jeux olympiques de Tokyo en 1964 ou l'exposition universelle
d'Osaka en 1970.
Le Japon se concentre sur le marché extérieur
dès les années 1970 avec les chocs pétroliers qui ont provoqué
la mise en place de barrières protectionnistes dans les pays occidentaux.
Le Japon décide alors de délocaliser à l'étranger
et d'investir. Or cet investissement n'a été possible que grâce
à l'épargne de la population. De plus ,le niveau de vie des Japonais
s'étant élevé, il n'y a plus de différentiel avec
d'autres d'où on délocalise. Les chiffres d'affaires notamment
les entreprises automobiles à l'étranger comme Toyota s'envolent,
dans les années 1980.
De plus avec le contexte de mondialisation et donc de déréglementation
,les investissements au Japon de l'étranger sont très nombreux
dans les années 1980.Le yen est une sorte de monnaie refuge du fait de
sa bonne santé. La place financière Kabuto Cho s'envole atteignant
presque le niveau de capitalisation boursière de Wall Street.
Cependant ,ce recours à l'ouverture japonaise pour augmenter la croissance
a aussi des effets négatifs. Après la crise de 1992 à 1995
à cause de l'éclatement de la bulle spéculative de l'immobilier
et de la bourse, la crise des pays asiatiques a atteint le Japon en 1997.La
Corée notamment avait investi dans le Kabuto Cho .
En définitive, la croissance japonaise remarquable pendant plusieurs
décennies s'est repos "e en grande partie sur une population travailleuse,
prête à tous les sacrifices pour permettre la croissance économique
de son pays. Cela a pu se faire grâce à une maîtrise de la
population par le nombre de naissance .Mais la croissance a amélioré
aussi le niveau de vie japonais toutefois avec des effets négatifs. La
croissance n'a pas toujours été utilisée pour améliorer
les conditions de vie des Japonais puisqu'elle a souvent soutenu le déficit
américain ou les pays du sud est asiatique. Enfin la croissance a aussi
été le fait de conditions extérieures à la population
mais que celle-ci a bien exploité par sa grande adaptabilité .En
2000-2001 ,la situation économique du Japon est encore fragile.