Pour accéder à la réalité, doit-on passer par des représentations abstraites?

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Bonne copie du lycée : 63 - Clermont-Ferrand - XXXX

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Commentaire du professeur : Il y a un effort sérieux de travail et de réflexion, même si quelques points auraient pu être plus explicités.


Dans Candide de Voltaire, le héros ne connaît pas la réalité du monde dans lequel il vit, mais seulement la représentation de cette réalité, et cela jusqu'aux ultimes pages du conte philosophique. En effet, il semble que Candide et les hommes en général -si on généralise cet exemple à l'humanité- n'ont pas naturellement accès à la réalité du monde qui les entoure. Mais alors comment atteindre cette réalité ? Si la médiation de nos représentations concrètes du monde ne suffit pas parce qu'elles posent notamment le problème de la ressemblance entre représentant et représenté, doit-on alors passer par des représentations abstraites pour accéder à la réalité ? Une représentation abstraite est une image mentale ou immatérielle se substituant à une réalité ou plus simplement l'évoquant. Mais alors, pour accéder à la réalité de notre monde matériel, devons-nous utiliser ces représentations abstraites immatérielles ou mentales ? Afin de résoudre ce paradoxe, nous déterminerons dans cette réflexion si la réalité est effectivement inaccessible directement et si les représentations abstraites sont alors efficaces pour l'atteindre, puis nous tenterons de déterminer si d'autres types de représentation peuvent permettre d'atteindre cet objectif.

Instinctivement, il nous semble que nous avons directement accès au réel, puisque nous ne vivons pas dans un monde imaginaire mais dans un monde réel, et que nous avons l'impression que nos sens nous livrent la réalité du monde qui nous entoure. Cette théorie naïve, la plus immédiate, n'est cependant pas valable puisqu'elle n'explique pas comment l'homme ne connaît pas nécessairement les propriétés ni l'essence des choses qui l'entourent alors qu'il y a accès naturellement.
Considérons désormais l'utilité de nos représentations abstraites. L'on ne peut nier que certaines d'entre elles nous empêchent justement d'atteindre la réalité. Prenons l'exemple du phénomène de " cristallisation " décrit par Stendhal dans son œuvre intitulée De l'amour. Dans cette œuvre, Stendhal explique comment les représentations abstraites -c'est-à-dire mentales, ici- que se fait l'amoureux concernant l'être aimé peuvent totalement masquer la réalité : l'être aimé est " cristallisé ", c'est-à-dire que dans l'esprit de l'amoureux, il devient parfait, sans le moindre défaut, ce qui ne correspond pas objectivement à la réalité. L'absence de ressemblance entre la représentation et l'être représenté semble donc ici poser problème quant à l'efficacité des représentations abstraites pour atteindre le réel.
Par ailleurs, dans le " texte de la ligne ", Platon explique que pour atteindre la connaissance, l'essence même des choses, il faut éliminer toute forme de représentation pour arriver à un contact direct avec les Idées. L'utilité de la représentation, et donc a fortiori des représentations abstraites pour atteindre le réel semble ici compromise, même si réalité ne signifie pas exactement essence.

Dans cette partie, il apparaît que l'homme n'a pas directement accès à la réalité du monde et que la représentation abstraite n'est pas un moyen infaillible pour parvenir à la réalité, mais même si elle n'est pas une méthode objective parfaite pour accéder à la réalité, elle peut néanmoins se révéler efficace dans certains cas. Voyons désormais les arguments en faveur des représentations abstraites pour l'accès à la réalité.

Dans la Dioptrique, Descartes énonce sa théorie. Selon lui, des idées " claires et distinctes " abstraites sont enfouies dans notre pensée. Ces dernières sont des réalités nous permettant de donner un sens aux choses du monde puisque grâce à elles notamment, le multiple qu'est le réel s'organise dans notre esprit pour donner une unité cohérente, le monde devient alors comme un tableau par exemple : ses taches de couleur ne sont pas perçues comme telles, multiples, mais comme un ensemble d'éléments formant une unité organisée, un paysage par exemple. Ainsi un accès au réel est rendu possible. Cet argument est intéressant dans la mesure où il nous permet de passer de la concrétude des représentations à l'abstraction. Cependant la cause de l'accès au réel n'est pas ici la représentation abstraite mais la présence initiale d'idées claires et distinctes abstraites. De plus, cette thèse suppose l'existence de Dieu qui ne peut être démontrée rationnellement. Cet argument n'est donc pas infaillible, mais considérons tout de même l'attitude qu'a adopté Descartes lorsqu'il s'est isolé pour accéder à une certitude et rédiger ses Méditation Métaphysiques. C'est par ses représentations mentales, abstraites : sa pensée, qu'il a élaboré sa thèse du cogito.
De plus, les représentations abstraites ont l'avantage de ne pas être des cas particuliers comme le sont les représentations concrètes. Ainsi la représentation tracée d'un triangle est toujours singulière contrairement à l'idée que j'en ai. C'est donc grâce à cette abstraction que les sciences peuvent généraliser des propriétés et les appliquer ensuite à tout cas particulier : c'est par des représentations abstraites que l'on peut arriver à des réalités scientifiques.
En outre, il semble que plus une représentation soit réaliste, plus elle risque d'être trompeuse, d'être confondue avec l'objet représenté par exemple. Les trompe l'œil n'en sont qu'un illustration. L'absence de ressemblance des représentations abstraites évoquée précédemment ne semble donc pas être un inconvénient, bine au contraire, l'absence de confusion entre représentation et représentant est un atout pour atteindre la vérité. Considérons désormais le mouvement pictural cubiste. Guernica, le célèbre tableau " abstrait " de Picasso nous permet de percevoir une réalité -le bombardement d'une ville espagnole- différemment qu'une description banale de faits ne l'aurait fait. Cette forme de représentation attire, surprend, interpelle le spectateur et lui fait comprendre comment cette réalité a été perçue par le peintre.
De même, pour accéder à la réalité qu'est la connaissance de soi, la psychanalyse rejette le problème qu'est la subjectivité par l'abstraction. Ainsi Freud a-t-il distingué des notions abstraites telles que le Moi, le Surmoi…

Au terme de cette partie, il apparaît que si la représentation abstraite semble être risquée à première vue, elle est un risque nécessaire car permettant l'élaboration des sciences par exemple, et donc d'accéder par conséquent aux réalités matérielles dérivant des phénomènes de ces sciences. Les représentations abstraites sont donc efficaces pour atteindre la réalité, mais le sujet par l'intermédiaire du " doit-on " suggère une obligation ou au moins une nécessité d'utiliser ces représentations abstraites. Si nous avons constaté quelques fois dans la première partie que les représentations abstraites étaient les plus à même de permettre l'accès au réel, voyons si d'autres intermédiaires ne sont pas cependant possibles.

L'on utilise parfois des représentations concrètes pour illustrer une thèse, ou pour expliquer un problème de géométrie. Ces représentations sont les plus claires que l'ont puisse trouver et en ce sens, elles nous permettent d'accéder à des réalités mathématiques par exemple. Cependant l'on se doit de remarquer qu'aucune représentation concrète (une figure géométrique…) ne constitue en elle-même un théorème, celui-ci est toujours élaboré par des propositions universellement vraies et non pas par des cas particuliers. Un des problèmes fondamentaux de la représentation concrète est justement qu'elle ne peut se généraliser puisqu'elle est par essence un exemple, un cas particulier ayant des propriétés particulières.
De plus, comme on l'a noté précédemment, il existe un problème de ressemblance entre le représentant concret et l'objet représenté puisque si la représentation est trop réaliste alors elle risque d'être prise pour l'objet représenté. Cette confusion est tellement courante que Magritte l'a dénoncée dans son tableau : La trahison des images sur lequel on peut lire : " Ceci n'est pas une pipe ". En effet, de tels abus de langage traduisent que l'on a pas véritablement accès à la réalité mais à certaines de ses représentations. Par ailleurs, par son essence même un tableau par exemple nous empêche d'accéder précisément à la réalité puisqu'il nous fait oublier son support, sa matérialité pour ne nous faire songer qu'à la représentation qu'il constitue.
Nous avons dans cette réflexion constaté qu'une médiation entre la réalité et l'homme était indispensable, médiation nécessairement assurée par les représentations, et nous venons d'établir l'inefficacité des représentations concrètes pour accéder à la réalité contrairement aux représentations abstraites. C'est donc que pour accéder à la réalité, l'utilisation de représentations abstraites est indispensable. Mais sommes-nous sûrs d'atteindre la réalité même en utilisant uniquement ce type de représentation ?
L'examen de la théorie stendhalienne de la cristallisation nous a précédemment amené à établir que toutes les réalités ne nous étaient pas accessibles. Cependant un tel argument nous pousse à adopter des thèses sceptiques puisque sous-entendant que l'esprit humain n'est pas assez développé non pas même pour connaître le réel, mais pour y accéder simplement. Cet écueil peut être surmonté par la distinction entre deux notions : la réalité et l'essence. S'il nous semble que l'essence des choses ne nous sera jamais accessible, l'on ne peut pas dire la même chose quant aux réalités. En effet, nous connaissons déjà certaines réalités du monde dérivant des sciences par exemple : nous savons que la Terre est sphérique par exemple, et si nous connaissons cette réalité, c'est qu'à fortiori nous avons accédé à cette réalité.


A travers cette réflexion, nous nous sommes aperçus que le paradoxe initial entre représentations abstraites et réalité n'avait pas lieu d'être puisque si les représentations sont nécessaires pour atteindre la réalité, seules les représentations abstraites sont véritablement efficaces. Cependant, nous avons également constaté que les représentations abstraites n'étaient pas systématiquement synonymes d'accès à toutes les réalités. A partir de ce constat, une interrogation s'impose : l'accès à la réalité doit-il toujours être un but ? En effet, la découverte de réalités n'est pas toujours satisfaisante et nous ne sommes pas sûrs de pouvoir toutes les découvrir, alors pourquoi ne pas laisser nos représentations (abstraites ou concrètes) imaginaires réinventer le réel ? Choisirons-nous l'ignorance (plus ou moins incomplète) ou l'illusion ? Madame Bovary dans la deuxième partie du roman de Flaubert choisit consciemment l'illusion dans sa quête du bonheur. Ses représentations imaginaires sont alors abstraites et concrètes, mais parce qu'elles se confrontent inéluctablement à la pauvreté de la réalité, elles ne peuvent aboutir qu'à la mort. La solution serait donc l'ignorance, ou peut-être la foi.