"Ni Dieu, ni maître", tel est le credo des
anarchistes, qui réclament la destruction de toute forme d'autorité
en tant que celle ci constitue un obstacle à l'exercice des libertés
individuelles. Pourtant certains approuvent l'autorité en tant que celle
ci représente un ensemble de règles synonyme d'ordre. On le voit,
la définition de l'autorité et de sa nécessité est
propre à chacun. Qu'est ce que l'autorité ? Afin d'éclairer
l'origine, la réalité et la pérennité de la notion
d'autorité, nous déterminerons qui peut l'exercer ou l'avoir et
sur qui, puis dans quelle mesure elle permet de légitimer la construction
d'une société, enfin si nous pouvons et devons renverser une autorité,
voire l'autorité, notamment par le prisme de ce qui distingue l'autorité
du pouvoir.
La notion d'autorité est spécifique à l'être
humain. Celui peut non seulement "avoir de l'autorité" mais
encore "faire autorité". Les deux acceptions ont des connotations
positives. D'ailleurs ne pas avoir d'autorité -"tu n'as pas d'autorité"-
passe pour un reproche. Ainsi, celui qui "a de l'autorité"
est par exemple un professeur qui sait se faire respecter et écouter
de ses élèves, sans toutefois leur inspirer la crainte ou utiliser
la force. C'est de plus une notion exclusive : on en a ou pas, par opposition
au pouvoir, qu'on peut avoir avec plus ou moins d'intensité. De plus,
c'est d'un spécialiste dont les thèses sont reconnues par tous
qu'on dit qu'il "fait autorité en sa matière". En d'autres
termes, ce qu'il a réalisé lui permet de jouir du respect des
autres.
Qui exerce l'autorité ? C'est avant tout le fait d'une personne : un
homme, une personne morale, comme la police (appelée d'ailleurs "les
autorités"). Or, avoir de l'autorité implique qu'on l'exerce
: ce n'est pas un simple sentiment isolément ressenti par un homme car
l'autorité se manifeste toujours dès qu'elle existe. Ainsi ne
s'exerce t'elle jamais sur soi-même, mais sur autrui : un groupe d'hommes
ou un seul individu, comme dans le cas de l'autorité paternelle exercée
sur un enfant par exemple.
Cependant, si l'autorité n'est pas un sentiment isolément ressenti
par un seul homme, elle suscite bien un sentiment chez celui sur qui elle s'exerce,
par exemple du respect. Ce sentiment a une influence sur l'action, et conduit
d'ailleurs le plus souvent à la freiner, voire à rendre l'objet
d'autorité passif (être "sous l'autorité de")
: un savant devra ainsi renoncer à ces recherches si celui qui "fait
autorité" les désapprouve. Une relation de hiérarchie
s'est ainsi instaurée, entre l'un qui utilise "l'argument d'autorité"
et l'autre qui s'y plie.
La notion d'autorité est la preuve et le but de la construction d'une
société légitime.
Tout d'abord, il convient de préciser que l'autorité n'existe
pas dans l'état de nature, ce qui la distingue ainsi du pouvoir (la nature
a un pouvoir sur l'homme, la force de l'homme lui donne un pouvoir naturel).
Aussi l'existence de l'autorité résulte elle d'une initiative
humaine de construction, notamment pour dépasser le pouvoir subi face
à la nature ou face aux autres hommes : son établissement coïncide
avec l'avènement d'un fait social qui vise à se substituer au
fait naturel.
Ensuite, la notion d'autorité ainsi liée à la notion du
collectif (la réunion d'individus, ou société) repose dès
lors sur le regard d'autrui. D'ailleurs on l'a vu, l'autorité n'a aucun
sens pour un homme seul. Celui sur lequel elle s'exerce est en effet le seul
légitimement apte à la conférer et à la reconnaître.
Là encore, l'autorité se distingue du pouvoir car celui ci peut
être pris ("s'emparer du pouvoir") : on ne dit pas "prendre
l'autorité" mais "voir son autorité reconnue",
ce sens passif suggérant l'importance d'autrui. D'ailleurs pour avoir
du pouvoir, nul besoin d'autrui puisque l'argent, par exemple, suffit à
l'assurer. L'exemple de la désignation d'un chef de communauté
est à cet égard probant. Des civilisations apparaissent quand
un leader charismatique ou un chef spirituel en assure la cohésion :
ce n'est plus l'homme fort qui impose son pouvoir, mais, par exemple, l'homme
sage qui est choisi, élu par la communauté.
Enfin cette construction sociale paraît bien légitime, non seulement
parce qu'elle est consentie mais encore parce que l'autorité synthétise
un ensemble de règles connues de tous. Pour preuve, par contraposée,
le mouvement anarchiste qui, en rejetant toute autorité (religieuse avec
le "Ni Dieu
", politique avec le "
ni maître"),
refuse en fait de s'inféoder à un système de règles,
celles dictées par la foi ou la loi. L'exercice de l'autorité
est plutôt du ressort de la responsabilité : celui qui jouit d'une
autorité est responsable des règles qu'il édicte à
ceux sur lesquels il exerce une autorité. L'autorité parentale
semble ainsi être une organisation légitime du noyau familial,
non parce que les parents sont plus puissants que l'enfant, mais parce qu'ils
en sont responsables (moralement peut-être, juridiquement en tous cas).
Si l'autorité permet de définir un pacte, la légitimité
de celui ci peut et doit parfois être remis en question, notamment lorsqu'un
déséquilibre surgit entre autorité et pouvoir.
Tout d'abord, l'autorité apparaît avec ou sans pouvoir, puisque
celui ci n'est pas le but de l'autorité, mais au plus un moyen. Inversement,
le pouvoir peut être un moyen de maintenir l'autorité tout en ne
contredisant pas la légitimité de cette autorité. C'est
l'exemple du pouvoir autoritaire du Léviathan, défini par Hobbes
comme un état fort et consenti qui absorbe toutes les libertés
individuelles afin d'assurer une sécurité absolue. Cependant,
si l'autorité n'est pas forcément issue d'un pouvoir, elle en
fait émaner un. Le pacifiste Gandhi n'avait ainsi aucun pouvoir quand
le peuple indien l'a choisi pou guide spirituel, et cette nouvelle autorité
lui a conféré un pouvoir indéniable.
Ensuite, il est possible de se passer d'autorité. Le fait qu'on dise
"ne pas respecter une autorité" illustre bien la possibilité
de ne pas la respecter. C'est un choix. Etant, on l'a vu, une construction humaine,
on peut l'abolir totalement et revenir à un état naturel d'absence
d'autorité souvent synonyme de désordre. Mais s'il est vrai que
l'autorité bride la liberté, ce n'est pas de manière arbitraire.
En revanche, on ne peut pas détruire toutes les formes de pouvoir car
celui ci peut être issu de la nature même.
Enfin, faut il renverser une autorité voire l'autorité ? Rappelons
que l'autorité est la condition nécessaire à la continuité
: l'Etat qui jouit d'une certaine autorité se maintient dans la durée,
le système scientifique qui "fait autorité" (par ex,
le système ptoléméen qui demeura une référence
pendant des siècles) permet la poursuite de la recherche scientifique
en en édifiant les fondements. Cependant, il existe des abus qui légitiment
le renversement de l'autorité. Le pouvoir (au moins moral) que confère
l'autorité peut ainsi être détourné de son but premier,
à savoir assurer l'autorité : celui qui a de l'autorité
devient autoritaire, et la liberté d'autrui est menacée. Abuser
de l'autorité qu'on a sur quelqu'un est d'ailleurs un délit puni
par la Loi. De plus, il faut savoir renverser une autorité quand celle
ci devient obsolète, à moins de la considérer comme un
dogme. Copernic et Galilée ont d'autant plus légitimement critiqué
le système ptoléméen que ce dernier s'est avéré
scientifiquement faux. Le pouvoir du clergé n'a pas permis de maintenir
l'autorité de ce système, mais il faut noter que l'autorité
du clergé y a survécu.
Il peut paraître légitime de constituer une autorité comme
de la renverser. Tout dépend de la capacité de celui qui l'exerce
à ne pas la confondre avec un pouvoir personnel et à ne jamais
la considérer comme définitive. Si le non respect d'une autorité,
ou la désobéissance à une autorité qui l'incarne
est parfois une ardente nécessité, comme en ce qui concerne la
torture perpétrée par les soldats français en Algérie
sur ordre de leur supérieur hiérarchique, il n'en demeure pas
moins le plus bel exemple de l'exercice des libertés humaines.