L'imagination doit-elle être considérée comme la "folle du logis"? (cf Pascal)

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 37 - Tours - Lycée Descartes

Cette copie a été notée : 15 / 20

Commentaire du professeur : Le sujet est compris et vous adoptez une position personelle tout à fait défendable, car bien argumentée.


L'imagination de l'esprit humain est sans doute l'une des formes de la réflexion de chacun les plus difficiles à cerner. Considérée à travers des interprétations et à des époques diverses, elle ne laisse pas de poser problème, car l'homme, sous l'emprise de son imagination semble avoir des difficultés à maîtriser ses pensées.
Pascal, théologien, moraliste, philosophe et scientifique du 17ème siècle a étudié de nombreux domaines de réflexion et considère que l'imagination est " la folle du logis ". D'autres penseurs suivront d'ailleurs cette vision plutôt radicale des méfaits de l'imagination, comme Montaigne l'avait également présentée au 16ème siècle.
L'imagination serait alors néfaste à la réflexion de chacun, et on verra en fait que plusieurs aspects peuvent soutenir cette interprétation. Cependant, l'imagination a également de nombreux avantages, tant pour l'homme lui-même que pour la société ; l'imagination pouvant être considérée comme la source même de la culture et de la création humaines.

En effet, l'imagination peut être " mauvaise " et est alors " la folle du logis ", dans la mesure où elle est source de désordre et isole l'individu de la réalité du monde qui l'entoure.
Pour interpréter cette expression de Pascal, il convient d'exploiter les termes qu'il emploie pour caractériser l'imagination. La folie s'associe tout d'abord au déraisonnable, qui échappe au contrôle de la raison et qui rend l'homme incapable de maîtriser ses actes et ses pensées. Ainsi, la vision de la folie rejoint, dans la philosophie de Descartes, tout ce qui a trait aux passions, nuisibles au bon fonctionnement de notre raison. De plus, la métaphore du logis représente l'esprit, en quelque sorte le lieu de réflexion de l'homme. Cette image spatiale de l'âme humaine caractériserait l'endroit où s'établit la raison chez l'homme. L'imagination, selon Pascal, trouble et met donc en désordre notre raison, c'est une construction chimérique et puérile de l'esprit, et l'aspect péjoratif de la métaphore utilisée rend bien compte de ce point de vue.
Pascal considère donc l'imagination comme un désordre de la raison et, en tant que scientifique, il souhaite s'appuyer sur des vérités - ou bien sur des axiomes - mais échapper à l'irrationnel. En effet, la géométrie, l'arithmétique ou encore la physique ne peuvent être étudiées sérieusement si l'imagination rend le réel incertain et éloigne le savant des évidences expérimentales et de l'observation objective de faits. C'est d'ailleurs ce que la philosophie empiriste pourrait affirmer car lorsque l'imagination trouble les observations scientifiques, toute démarche qui découlerait de l'expérience serait faussée. Cependant, une autre interprétation de l'imagination, au niveau de la morale, semble également avancer l'idée d'une imagination néfaste. Au 16ème siècle, Montaigne montrait en effet que le bonheur et l'art de vivre découlaient simplement du bon sens, alors que l'imagination s'oppose au bon sens et à la logique du réel. Pascal remet en cause à son tour cette imagination lorsqu'il dénonce toute forme de divertissement. Il considère que le loisir n'est qu'un moyen imaginaire de nier la condition humaine et que chaque individu qui se distrait évite, par le moyen de l'imagination, les raisons et les besoins fondamentaux de son existence. Là encore, l'imagination est néfaste et vaine ; et n'apporte rien à celui qui se laisse gagner par elle.
En plus de ces visions négatives de l'imagination, on peut certainement regretter et constater les conséquences de cette imagination au niveau individuel. En effet, très présente dans les esprits, l'imagination peut isoler les individus de la réalité. Cette " coupure d'avec le monde " est alors un moyen de se cacher une réalité parfois brutale et difficile à accepter. Ainsi, la pratique des religions semble être un exemple fondamental puisque, l'existence d'un Dieu n'étant pas prouvée rationnellement, il serait possible de considérer les religions comme le fruit d'une imagination collective, moyen de se résoudre à sa propre condition et d'assumer les difficultés de la vie. Certains symptômes qui relèvent de la psychanalyse, comme l'autisme ou la mythomanie, semblent également montrer qu'une imagination parfois trop importante s'impose face à la raison, et, en enfermant les individus dans un monde illusoire, rend la vie en société d'autant plus difficile. L'imagination, poussée à son paroxysme, a donc de véritables méfaits sur l'esprit humain.

L'imagination peut donc être considérée comme la " folle du logis " dans la mesure où elle nuit à la domination de la rationalité dans toute réflexion humaine, tant au niveau des sciences, de la morale, qu'à un niveau individuel. Malgré cela, l'imagination semble également présenter de nombreux avantages et elle ne peut être intégralement critiquée.

Source du développement personnel et échappatoire aussi bien inévitable qu'indispensable pour chacun, l'imagination a donc des effets bénéfiques. De plus, il semblerait absurde de nier le rôle de l'imagination - et de l'intuition - dans le développement des sciences et des techniques.
L'expérience individuelle et la psychanalyse semblent s'accorder sur ce point : l'imagination permet à chacun de s'épanouir, de développer sa personnalité et ainsi d'affirmer son unicité. Lorsque Freud écrit L'interprétation des rêves en 1900, il met l'accent sur ces manifestations inconscientes de l'esprit qui, tout en tirant des faits du passé, laissent place à l'imagination, symbole de la personnalité de chacun. Mais on peut remarquer également que, dès l'enfance, l'individu a besoin de laisser libre cours à son imagination pour s'épanouir et rendre compte de sa propre interprétation du monde. C'est pourquoi le dessin, les livres et les jeux sont autant de moyens d'activer l'imagination d'un enfant, c'est-à-dire de l'éveiller, de l'intéresser à son environnement. L'imagination est donc bénéfique et favorise l'unicité des individus.
En outre, cette imagination peut également constituer une échappatoire, un moyen de quitter la réalité parfois difficile et de s'isoler dans un monde spécifique, individuel, basé sur les souvenirs du passé ou sur les rêves de l'avenir. L'imagination est alors un soulagement, une quiétude psychologique et intellectuelle qui peut parfois combler les vides de la réalité, et permettre dans une certaine mesure de mieux l'accepter. Bien entendu, cette imagination peut se présenter à travers diverses formes comme l'art, la littérature ou bien une simple construction intellectuelle. Cependant, l'imagination n'est pas uniquement indispensable : elle est inévitable. En effet, il semble impossible que l'homme, même par une abnégation totale, réprime son imagination en intégralité. La nature de l'homme, imparfait, le conduit nécessairement à rechercher une satisfaction que le réel ou le présent ne peuvent lui offrir, et l'imagination intervient alors pour répondre à ses attentes.
Cependant, c'est sans doute dans le développement des sciences et des techniques que l'importance de l'imagination est la plus nette. En effet, la plu part des découvertes scientifiques, des théories, sont apparues grâce à l'intuition des savants, grâce à leur imagination et à leur capacité de donner une perception abstraite des phénomènes. Ainsi, comment Einstein aurait-il pu découvrir et systématiser une théorie de la relativité sans avoir au préalable imaginé une telle organisation de l'univers, si innovatrice à son époque ? Dans bien des cas, les mathématiques ne sont que des outils à la formation des théories scientifiques, et c'est avant tout l'imagination du scientifique qui est à l'origine de la découverte. Ce fut le cas par exemple de Mendel qui annonça le principe d'hérédité au 19ème siècle, sans pourtant être reconnu puisque son imagination lui avait révélé un aspect de la science que les esprits n'étaient pas conceptuellement prêts à accepter. L' imagination permet donc, dans bien des cas, de percevoir la réalité physique. En conséquence, les découvertes techniques sont apparues elles aussi grâce à l'imagination des constructeurs, que ce soit pour améliorer les productions industrielles avec de nouvelles machines, ou pour développer les moyens de communication et d'information avec les principes de la photographie au 19ème siècle ou l'invention du téléviseur au 20ème siècle. Toutes ces découvertes découlent donc de l'imagination des savants qui, à partir de leurs connaissances, mettent au point de nouvelles théories.

L'imagination joue donc un rôle fondamental et bénéfique dans la constitution personnelle des individus ainsi que dans la constitution des fondements de la société que sont par exemple les sciences et les techniques. Cependant, il semble que l'on peut aller encore plus loin et qu'il ne serait pas démesuré de considérer que l'imagination est la source de notre culture, et qu'elle est indispensable à toute création.

En effet, l'art est une représentation explicite de l'importance de l'imagination dans l'évolution de la culture, aussi bien à travers l'art pictural et architectural qu'à travers la littérature, et notre culture découle donc nécessairement d'une forme d'imagination.
Toute forme d'art est nécessairement le fruit d'une imagination, d'une perception particulière du monde, et l'artiste s'évade ainsi du réel en l'interprétant à sa manière, grâce à son imagination. En effet, l'apparition de mouvements nouveaux dans la peinture par exemple, avec le cubisme, apparu dans les années 1910 et 1920, ou les mouvements contemporains, est bien entendu la conséquence d'une imagination nouvelle de quelques artistes. L'architecture est également un exemple marquant de cette imagination bénéfique. En effet, des architectes tels que Gaudi en Espagne ou encore LeCorbusier en France sont des artistes qui associent prouesses techniques et imagination florissante, voire extravagante. Ces architectes du début du siècle ont donc utilisé leur imagination pour apporter des éléments nouveaux à notre culture.
Une autre forme d'art semble également bien représenter l'importance de l'imagination dans le développement de nos cultures : la littérature présente sans cesse et depuis des siècles des formes différentes qui cherchent à transcrire plus ou moins fidèlement les phénomènes de notre monde. Dans la littérature, l'imagination joue son rôle à la fois sur le fond et sur la forme et la diversité des œuvres littéraires montre bien que l'imagination apporte indéfiniment des idées, des styles nouveaux, uniques, qui fondent notre culture. Au niveau du fond, ce sont des genres littéraires comme la fiction - notamment le fantastique - qui attestent de la place de l'imagination dans l'écriture. La diversité des styles littéraires montre bien quant à elle le rôle de l'imagination sur la forme. Par exemple, le contraste entre le style épique de certains textes de Voltaire ou d'Hugo et la poésie surréaliste de Paul Eluard présente des inspirations - et donc une imagination - totalement différentes, ce qui fait la richesse de la littérature. Dans ce sens, l'imagination est donc à l'origine de toute création artistique et par conséquent de toute culture.
Il est alors indéniable de reconnaître l'importance de cette imagination dans la vie de l'homme. Cette capacité d'imaginer est d'ailleurs une des principales distinctions qui se révèle entre l'homme et les autres espèces, mais ce qui importe est de la considérer à plusieurs niveaux. Tout d'abord, l'imagination est représentation, c'est-à-dire qu'elle permet à l'homme par exemple de se représenter des faits historiques à partir d'une base de connaissances. Ensuite, l'imagination est la capacité de figuration, l'aptitude de l'homme à concevoir des phénomènes comme les phénomènes scientifiques. Enfin, l'imagination est inspiration, elle apporte à l'homme une vision nouvelle, différente du quotidien, qui transcrit alors ses pensées à travers l'art.

On peut donc justifier l'expression de Pascal par les effets néfastes de l'imagination - lorsqu'elle domine - sur la raison, sur la conception d'illusions ramenant l'individu à un être seul, isolé et en dehors de la société. Cependant, il semble évident que l'imagination a de nombreux avantages, tant au niveau du développement personnel que pour la constitution des sciences et des mouvements artistiques.
L' imagination n'est donc pas véritablement la " folle du logis ", mais plutôt " l'épice de l'esprit ", dans la mesure où, modérée, elle renforce l'unicité de chacun et permet la diversité des créations humaines.