La science et la technique nous autorisent-elles à considérer notre civilisation comme étant supérieure aux autres?

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Bonne copie du lycée : 44 - Nantes - Lycée Vial

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Commentaire du professeur : Bon esprit de synthèse


Si par science on entend l'usage de la raison, de la rigueur rationnelle, visant à mieux comprendre et connaître l'univers et ses phénomènes, et si par technique on entend amélioration de l'outil, du moyen sous toutes ses formes, afin de mieux tirer profit de la nature, alors on peut se demander s'il y a supériorité d'une civilisation par rapport à une autre dans ces domaines, c'est-à-dire s'il y en a une qui aurait plus de valeur que les autres, qui apporterait par ce bien plus de bien, de vérité, de bonheur et de liberté. Et plus précisément, la science et la technique autorisent-elles, donnent-elles le droit pour considérer, juger comme telles les sociétés développées occidentales qui cherchent à diffuser leur modèle comme étant supérieur aux autres ? En quoi notre science et notre technique seraient-elles supérieures ? Mais ce type de progrès, de domination, ne va-t-il que dans le bon sens ? N'est-ce pas plutôt lorsqu'une société saura concilier le progrès technique et scientifique, le rationnel, avec le raisonnable, qu'elle pourra être estimée comme supérieure ?


Il est vrai que les bénéfices que nous apportent les progrès de la science et de la technique sont indiscutables, et en cela, on ne peut nier la supériorité de notre civilisation, ne serait-ce que pour la médecine. En effet, depuis des siècles, de nombreux fléaux ont été enrayés, comme la peste, la variole, alors qu'ils sévissent toujours dans d'autres sociétés. Et les progrès chirurgicaux ont permis de sauver de nombreuses vis. En outre, la connaissance de l'homme en matière de biologie, ou en ce qui concerne son propre corps, la Terre, l'espace…a évolué de manière considérable : Le monde est beaucoup plus à notre portée pour explorer, transformer la nature. Cela témoigne d'une évolution des progrès de la raison, surtout depuis qu'elle est " libérée " du carcan de la religion, mais aussi parce qu'une découverte en entraîne une autre, comme un cercle vertueux. Galilée a inspiré Newton, qui a inspiré Einstein… Les autres civilisations, qui n'en sont pas là, ne connaissent pas non plus les progrès dans les mentalités qui ont accompagné ceux de la science : les hommes ont réalisé qu'ils n'étaient que d'infimes parts de l'univers, qui s'étend bien au-delà du ciel, que tout corps humain, quelle que soit sa forme ou sa couleur, fonctionne de la même façon, que la Terre n'est pas immortelle… Ces progrès et évolutions, produits en très grande majorité par notre civilisation, peuvent dans cette optique témoigner d'une supériorité.

D'autant plus que comme le préconisait Descartes, l'homme doit utiliser les sciences et la technique pour se rendre maître et possesseur de la nature, c'est un devoir de toute conscience humaine douée de raison. Cette avance de notre civilisation témoigne donc d'un meilleur usage de la raison, car les sciences et les techniques sont une forme de rationnel pur. Rappelons ici la thèse de Darwin sur l'évolution : au fil du temps, les genres, (ici les civilisations), se confrontent, et seules les mieux adaptées à l'environnement extérieur s'affirment. Que dire alors de la pensée occidentale, de son mode de réflexion, de sa science, de son progrès qui tentent d'être le modèle partout ? La civilisation occidentale, par sa rationalité qui a mené à tant de progrès techniques et scientifiques, apparaît donc comme supérieure aux autres.

Cette avance et tous ces progrès ne peuvent être niés, mais n'est-on pas justement trop ambitieux ? Plutôt que de la louer, on peut aussi critiquer cette supériorité, qui n'est peut-être pas légitime, puisqu'elle a été apportée par une rationalité aveugle.


En effet, notre civilisation, qualifiée de " grand aveuglement où chacun est pour soi " par Molière, ne semble pas voir les dégâts infligés à autrui, à elle-même et au monde par ce rationnel implacable. Les maux engendrés par de tels progrès sont parfois pires que les avantages ne sont profitables. On voit apparaître de nouvelles maladies : le virus Ebola, le Sida, les maladies respiratoires… et la couche d'ozone dévastée par la pollution… Mais encore au-delà de ces désastres subis en particulier par notre civilisation, se trouve un problème encore plus grave : l'homme se trouve-t-il si supérieur pour qu'il se permette de mettre la vie en danger ? En effet, le génocide Juif témoigne lui aussi des progrès de la science, tout comme les " expériences médicales " sur les prisonniers. Et pour demain, que deviendra la nature transgénique et l'homme au génome modifiable à souhait ? Les autres civilisations ne connaissent pas ces problèmes, et c'est pourquoi notre supériorité n'est pas légitime. Tout ceci témoigne en effet d'une faiblesse des hommes, qui détruisent au moins autant qu'ils ne créent. Contrairement aux autres civilisations, nous ne savons pas ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas.

La raison prend deux formes : le rationnel, exercice strict de la logique, et le raisonnable, prise en compte des limites à ne pas dépasser ; et les deux sont propres à l'humain. Les autres civilisations semblent alors supérieures du point de vue raisonnable, car elles paraissent savoir respecter la nature, l'espèce humaine, ou même toute forme de vie. Pour reprendre la thèse de Darwin, disons que si le raisonnable vaut le rationnel, ce n'est pas de lui que vient le pouvoir et la domination, si l'on en juge par le massacre des Indiens d'Amérique par les Occidentaux. Il semble aujourd'hui nécessaire, pour ne pas dire urgent, que la civilisation occidentale apprenne des autres comment vivre moins vite, avec moins de stress, plus proche de la nature, mais par-dessus tout plus raisonnablement, avant de perdre une part entière de son humanité.

Notre civilisation est donc trop aveugle pour prétendre être supérieure et semble être incapable de gérer science, technique, et surtout progrès. Les autres civilisations se posent donc comme de biens meilleurs modèles. Quelle est alors la meilleure attitude, comment réaliser pleinement notre humanité ?


Tout semble résider dans la manière d'utiliser la science : des précautions sont nécessaires, comme l'indiquait Gaston Bachelard. La meilleure civilisation serait celle qui pourrait cumuler les avantages de la science et de la technique occidentale, qui disposerait de tous les moyens que l'on possède, qui saurait soigner, connaître, comprendre, découvrir, éviter les catastrophes, tirer profit de la nature, mais qui d'un autre côté, saurait aussi juger la science, refuser la technique s'il le faut, préserver les espèces vivantes, et la vie saine et bonne. Cette société, qui n'est ni la nôtre, ni une autre, serait réellement supérieure, car elle saurait que la raison de l'homme ne doit pas être utilisée à moitié.

Ne serait-ce pas en effet, faire preuve de notre humanité que de nous servir de notre raison de la sorte ? " Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ". Utiliser la science et la technique à bon escient est donc beaucoup plus qu'un droit, mais c'est avant tout un devoir. Nous ne sommes pas prisonniers de notre propre avance technologique, nous pouvons la contrôler, ou plutôt, nous le devons. Les autres sociétés ne sont pas tributaires de nous par manque de science et de techniques, elles peuvent s'affranchir et se débrouiller avec leurs propres moyens, elles le doivent. Et si nous savons comment utiliser la science pour parvenir à la vie bonne, et si nous savons que cela est en notre pouvoir, alors il est un devoir pour chaque être humain de faire tendre ses efforts, son savoir, sa science, sa technique, sa modération… sa raison tout entière, vers cette conciliation entre la science et la conscience, en faire la synthèse, qui apporterait la paix, la vérité, la réelle liberté et la vie bonne.

Ainsi, malgré les progrès considérables que la science et la technique ont apporté à notre civilisation, malgré le fait qu'elle s'impose et qu'elle sache le mieux tirer profit de la nature, elle ne saurait être considérée comme supérieure du fait des limites que les sciences et techniques rencontrent et parfois dépassent dangereusement, et aussi et surtout du fait qu'elle perd une partie de son humanité, le raisonnable, au profit du rationnel. Seule une conciliation de ces deux formes de la raison assurerait une certaine supériorité, et le sachant, nous devons assumer notre humanité en entier, nous servir de notre pleine raison, et nous efforcer d'y parvenir. Science et conscience doivent apporter aux civilisations la réalisation de l'âme, et la vie bonne et saine pour l'homme.