Si par science on entend l'usage de la raison, de la rigueur
rationnelle, visant à mieux comprendre et connaître l'univers et
ses phénomènes, et si par technique on entend amélioration
de l'outil, du moyen sous toutes ses formes, afin de mieux tirer profit de la
nature, alors on peut se demander s'il y a supériorité d'une civilisation
par rapport à une autre dans ces domaines, c'est-à-dire s'il y en
a une qui aurait plus de valeur que les autres, qui apporterait par ce bien plus
de bien, de vérité, de bonheur et de liberté. Et plus précisément,
la science et la technique autorisent-elles, donnent-elles le droit pour considérer,
juger comme telles les sociétés développées occidentales
qui cherchent à diffuser leur modèle comme étant supérieur
aux autres ? En quoi notre science et notre technique seraient-elles supérieures
? Mais ce type de progrès, de domination, ne va-t-il que dans le bon sens
? N'est-ce pas plutôt lorsqu'une société saura concilier le
progrès technique et scientifique, le rationnel, avec le raisonnable, qu'elle
pourra être estimée comme supérieure ?
Il est vrai que les bénéfices que nous apportent les progrès
de la science et de la technique sont indiscutables, et en cela, on ne peut
nier la supériorité de notre civilisation, ne serait-ce que pour
la médecine. En effet, depuis des siècles, de nombreux fléaux
ont été enrayés, comme la peste, la variole, alors qu'ils
sévissent toujours dans d'autres sociétés. Et les progrès
chirurgicaux ont permis de sauver de nombreuses vis. En outre, la connaissance
de l'homme en matière de biologie, ou en ce qui concerne son propre corps,
la Terre, l'espace
a évolué de manière considérable
: Le monde est beaucoup plus à notre portée pour explorer, transformer
la nature. Cela témoigne d'une évolution des progrès de
la raison, surtout depuis qu'elle est " libérée " du
carcan de la religion, mais aussi parce qu'une découverte en entraîne
une autre, comme un cercle vertueux. Galilée a inspiré Newton,
qui a inspiré Einstein
Les autres civilisations, qui n'en sont
pas là, ne connaissent pas non plus les progrès dans les mentalités
qui ont accompagné ceux de la science : les hommes ont réalisé
qu'ils n'étaient que d'infimes parts de l'univers, qui s'étend
bien au-delà du ciel, que tout corps humain, quelle que soit sa forme
ou sa couleur, fonctionne de la même façon, que la Terre n'est
pas immortelle
Ces progrès et évolutions, produits en très
grande majorité par notre civilisation, peuvent dans cette optique témoigner
d'une supériorité.
D'autant plus que comme le préconisait Descartes, l'homme
doit utiliser les sciences et la technique pour se rendre maître et possesseur
de la nature, c'est un devoir de toute conscience humaine douée de raison.
Cette avance de notre civilisation témoigne donc d'un meilleur usage
de la raison, car les sciences et les techniques sont une forme de rationnel
pur. Rappelons ici la thèse de Darwin sur l'évolution : au fil
du temps, les genres, (ici les civilisations), se confrontent, et seules les
mieux adaptées à l'environnement extérieur s'affirment.
Que dire alors de la pensée occidentale, de son mode de réflexion,
de sa science, de son progrès qui tentent d'être le modèle
partout ? La civilisation occidentale, par sa rationalité qui a mené
à tant de progrès techniques et scientifiques, apparaît
donc comme supérieure aux autres.
Cette avance et tous ces progrès ne peuvent être
niés, mais n'est-on pas justement trop ambitieux ? Plutôt que de
la louer, on peut aussi critiquer cette supériorité, qui n'est
peut-être pas légitime, puisqu'elle a été apportée
par une rationalité aveugle.
En effet, notre civilisation, qualifiée de " grand aveuglement où
chacun est pour soi " par Molière, ne semble pas voir les dégâts
infligés à autrui, à elle-même et au monde par ce
rationnel implacable. Les maux engendrés par de tels progrès sont
parfois pires que les avantages ne sont profitables. On voit apparaître
de nouvelles maladies : le virus Ebola, le Sida, les maladies respiratoires
et la couche d'ozone dévastée par la pollution
Mais encore
au-delà de ces désastres subis en particulier par notre civilisation,
se trouve un problème encore plus grave : l'homme se trouve-t-il si supérieur
pour qu'il se permette de mettre la vie en danger ? En effet, le génocide
Juif témoigne lui aussi des progrès de la science, tout comme
les " expériences médicales " sur les prisonniers. Et
pour demain, que deviendra la nature transgénique et l'homme au génome
modifiable à souhait ? Les autres civilisations ne connaissent pas ces
problèmes, et c'est pourquoi notre supériorité n'est pas
légitime. Tout ceci témoigne en effet d'une faiblesse des hommes,
qui détruisent au moins autant qu'ils ne créent. Contrairement
aux autres civilisations, nous ne savons pas ce qui est raisonnable et ce qui
ne l'est pas.
La raison prend deux formes : le rationnel, exercice strict
de la logique, et le raisonnable, prise en compte des limites à ne pas
dépasser ; et les deux sont propres à l'humain. Les autres civilisations
semblent alors supérieures du point de vue raisonnable, car elles paraissent
savoir respecter la nature, l'espèce humaine, ou même toute forme
de vie. Pour reprendre la thèse de Darwin, disons que si le raisonnable
vaut le rationnel, ce n'est pas de lui que vient le pouvoir et la domination,
si l'on en juge par le massacre des Indiens d'Amérique par les Occidentaux.
Il semble aujourd'hui nécessaire, pour ne pas dire urgent, que la civilisation
occidentale apprenne des autres comment vivre moins vite, avec moins de stress,
plus proche de la nature, mais par-dessus tout plus raisonnablement, avant de
perdre une part entière de son humanité.
Notre civilisation est donc trop aveugle pour prétendre
être supérieure et semble être incapable de gérer
science, technique, et surtout progrès. Les autres civilisations se posent
donc comme de biens meilleurs modèles. Quelle est alors la meilleure
attitude, comment réaliser pleinement notre humanité ?
Tout semble résider dans la manière d'utiliser la science : des
précautions sont nécessaires, comme l'indiquait Gaston Bachelard.
La meilleure civilisation serait celle qui pourrait cumuler les avantages de
la science et de la technique occidentale, qui disposerait de tous les moyens
que l'on possède, qui saurait soigner, connaître, comprendre, découvrir,
éviter les catastrophes, tirer profit de la nature, mais qui d'un autre
côté, saurait aussi juger la science, refuser la technique s'il
le faut, préserver les espèces vivantes, et la vie saine et bonne.
Cette société, qui n'est ni la nôtre, ni une autre, serait
réellement supérieure, car elle saurait que la raison de l'homme
ne doit pas être utilisée à moitié.
Ne serait-ce pas en effet, faire preuve de notre humanité
que de nous servir de notre raison de la sorte ? " Science sans conscience
n'est que ruine de l'âme ". Utiliser la science et la technique à
bon escient est donc beaucoup plus qu'un droit, mais c'est avant tout un devoir.
Nous ne sommes pas prisonniers de notre propre avance technologique, nous pouvons
la contrôler, ou plutôt, nous le devons. Les autres sociétés
ne sont pas tributaires de nous par manque de science et de techniques, elles
peuvent s'affranchir et se débrouiller avec leurs propres moyens, elles
le doivent. Et si nous savons comment utiliser la science pour parvenir à
la vie bonne, et si nous savons que cela est en notre pouvoir, alors il est
un devoir pour chaque être humain de faire tendre ses efforts, son savoir,
sa science, sa technique, sa modération
sa raison tout entière,
vers cette conciliation entre la science et la conscience, en faire la synthèse,
qui apporterait la paix, la vérité, la réelle liberté
et la vie bonne.
Ainsi, malgré les progrès considérables
que la science et la technique ont apporté à notre civilisation,
malgré le fait qu'elle s'impose et qu'elle sache le mieux tirer profit
de la nature, elle ne saurait être considérée comme supérieure
du fait des limites que les sciences et techniques rencontrent et parfois dépassent
dangereusement, et aussi et surtout du fait qu'elle perd une partie de son humanité,
le raisonnable, au profit du rationnel. Seule une conciliation de ces deux formes
de la raison assurerait une certaine supériorité, et le sachant,
nous devons assumer notre humanité en entier, nous servir de notre pleine
raison, et nous efforcer d'y parvenir. Science et conscience doivent apporter
aux civilisations la réalisation de l'âme, et la vie bonne et saine
pour l'homme.