L'histoire est-elle interprétable comme étant la marche de la raison?

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Bonne copie du lycée : 44 - Nantes - Lycée Vial

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Commentaire du professeur : Travail approfondi, bonne problématique


L'histoire peut admettre deux définitions : tout d'abord, c'est l'ensemble des faits historiques, chronologiquement ordonnés ; on parle alors de " cours " de l'histoire. Puis, l'histoire est aussi la connaissance des faits passés. Un minimum de connaissance historique pousse à se demander : l'histoire est-elle interprétable comme étant la marche de la raison ? Car si par raison on entend la faculté de la conscience humaine de penser, d'analyser, de réfléchir, d'examiner et de juger, de façon logique et rigoureuse, afin de s'approcher de la vérité, et donc du bien, alors n'est-il pas illégitime de la voir à l'œuvre dans l'histoire, à en juger par les tragédies désordonnées qui composent cette dernière ? Cependant, si par interpréter on entend : donner une signification, un sens à des signes, des aspects, des caractéristiques d'un objet ou concept donné, (en l'occurrence l'histoire), alors on peut admettre que l'histoire est interprétable comme étant la marche de la raison, car tout fait historique peut s'expliquer rationnellement, et de plus, C'est la raison des hommes et leur mémoire qui décide à posteriori si tel ou tel événement fait ou non partie de l'histoire. Reste à se demander ce que sera alors le devenir de l'humanité, et si l'on peut, ou doit y faire quelque chose, pour approcher le plus possible la vie bonne, et surtout le bien vivre ensemble.


L'histoire ne saurait être interprétée comme étant la marche de la raison, car le passé est bien trop absurde, déraisonnable et chaotique, c'est-à-dire le contraire même de la définition de la raison. Nombre de guerres, pour ne pas dire toutes, sont considérées comme des folies humaines tragiques, et suscitent des pourquoi que la raison ne peut expliquer. Notamment les guerres de religions, perçues comme des débordements fanatiques dénués, semble-t-il aujourd'hui, de toute raison, ainsi que les Croisades, les campagnes napoléoniennes, qui firent tant de morts pour une simple vanité. On pourrait presque se désespérer de l'humanité, ou au moins se dire qu'un exercice plus rigoureux de la raison aurait pu éviter cela, et changer l'histoire. Car la raison des hommes, par sa définition même, est contraire au déroulement de l'histoire. Elle est au service de la recherche du bien vivre ensemble, son échec l'exclut comme interprétation du déroulement de l'histoire.

Est-ce pour cette raison que certains préfèrent voir la volonté des divinités à l'œuvre dans l'histoire, pour se rassurer, pour justifier, pour apporter une explication au réel par l'irrationnel ? Il est certes bien plus facile de se dire que c'est Dieu qui l'a voulu ainsi, que " tout est écrit ", et bien sûr, que l'on ne peut rien y faire ni rien y changer : cela dépasse notre entendement, car c'est divin. Cale peut apparaître comme une lâcheté, mais c'est cependant le choix de nombreux croyants, et l'explication de nombreuses religions : à l'origine, le néant, puis la création, puis le déroulement de l'histoire où tout est prévu, ou chaque désastre a un sens, est voulu, puis la " fin du monde ". Ces croyances sont là comme en réaction devant les faiblesses de la raison pour interpréter l'histoire.

En outre, si l'on admettait que la marche de la raison est l'interprétation de l'histoire, cela exclurait une grande partie des libertés humaines, entre autres celle de pouvoir choisir, décider quel sera notre présent et notre avenir, écrire nous même au fur et à mesure ce qui sera notre histoire. Il est vrai que nous pouvons faire notre histoire tout en restant raisonnable, mais pas seulement, car comme disait Hegel : " Rien de grand ne s'est accompli sans passion. ", or les passions sont pour le moins opposées à la raison. Ce n'est donc pas toujours la raison qui se trouve à l'origine des événements historiques, mais parfois les passions : la folie des grandeurs de Napoléon, ou même le hasard : Newton s'était assis par hasard sous un pommier. La raison a donc ses limites quant à son interprétation de l'histoire .


Cependant, l'histoire peut quand même être considérée interprétable comme étant la marche de la raison, car nous savons qu'il est normal que nous rencontrions des difficultés à expliquer le passé, l'objet d'étude ayant disparu. Les historiens tentent de reconstituer le passé comme des scientifiques, avec le plus grand souci d'objectivité, d'exactitude, et de véridicité possible. D'ailleurs, Marx aurait voulu constituer une " science de l'histoire ". Mais ces trois conditions ne peuvent jamais être totalement réalisées. On sait pourtant que plus on a de renseignements, même des détails, et mieux on explique un fait historique, et lorsque l'on en sait suffisamment, tout devient logique et on comprend. Si l'on exposait les faits bruts de la guerre de 39-45 à quelqu'un qui n'en aurait jamais entendu parlé, il penserait : " Ce n'est pas possible, ce ne peut pas être la marche de la raison ". Or, Hannah Arendt, après de minutieuses recherches et analyses, nous montre que pourtant si. Si l'on se dit que la raison ne peut être à l'œuvre dans l'histoire, c'est probablement que l'on ne dispose pas de suffisamment de renseignements, car elle l'est en réalité.

Le fait de juger du présent nous prive d'un grand ombre d'informations, et donc nous empêche de porter des explications définitives. Des événements qui aujourd'hui nous paraissent absurdes furent tout à fait compréhensibles en leur temps. Mais les déterminismes qui aboutirent à telle ou telle situation sont non seulement disparus, mais trop compliqués pour la raison humaine. Ainsi, la raison pourrait tout expliquer si elle pouvait voyager dans le temps, elle aurait alors connaissance des déterminismes qui lui manque. Laplace disait qu'absolument tous les faits étaient le fruit d'une combinaison de déterminismes évidents ou subtils. Cependant, même sans aller jusque-là, on doit reconnaître que tous les faits et événements qui s'enchaînent depuis le commencement de l'histoire sont logiques, et que si l'on avait connaissance de tous les faits , même des moindres, alors les déterminismes seraient éclairés, la raison et l'explication logique suivraient le cours de l'histoire, et on pourrait même prédire l'avenir.

Savoir que l'histoire pourrait être interprétable comme étant la marche de la raison procure à l'homme un soulagement :Tous ces désastres et ces tragédies ne sont pas le fruit d'un hasard malveillant, ou l'œuvre d'une divinité sans pitié, mais un résultat logique et rationnel. Hegel va même jusqu'à dire que rien n'est vain, la Raison est à l'œuvre dans l'histoire. Et il élabore une dialectique qui selon lui suit l ' histoire de tout peuple : un royaume, renversé par une république, à son tour renversée par un empire, qui redeviendra un royaume…le tout s'améliorant de plus en plus à chaque fois. Pour Marx, l'histoire est aussi interprétable rationnellement, mais selon lui, il s'agit de la lutte des classes. Les rapports économiques et sociaux agissent sur les superstructures idéologiques et réciproquement, jusqu'à la fin de l'histoire. Ainsi, ces théories montrent que la raison peut expliquer l'histoire.


Mais alors, comment interpréter au mieux l'histoire ? La raison peut en effet expliquer le déroulement de l'histoire, mais nous avons vu qu'elle avait tout de même des limites. L'histoire aurait donc un sens, si l'on entend par là signification, et contrairement aux Grecs qui croyaient n'être que des marionnettes impuissantes dans un théâtre, le hasard n'aurait que peu de place dans le déroulement de l'histoire, laquelle suivrait un fil directeur, : la raison. Mais seulement si l'on entend pensée logique et rationnelle, raisonnable, c'est une autre affaire. C'est pourquoi la raison dans son ensemble ne peut être l'interprétation d l'histoire ; car seule une explication rationnelle mettant de côté le raisonnable le peut.

Si l'histoire suit la logique rationnelle comme fil directeur, si elle va dans son sens, on entend par là signification, alors nous sommes en droit de supposer que l'histoire finira bien par atteindre un but, une fin, et donc, si tel est le cas, vers quelle " fin de l'histoire " va-t-on ? Deux fins seules sont possibles : Soit nous ne nous dirigeons vers aucun but précis, et l'histoire s'arrêtera lorsque le monde finira, c'est-à-dire lorsque adviendra de nouveau le néant, le chaos. Soit nous finirons par arriver à un stade précis au-delà duquel l'histoire ne progressera plus. Pour Hegel, et selon la dialectique précédemment citée, il s'agirait d'un empire universel, tandis que pour Kant, ce serait plutôt une république universelle. Dans un cas comme dans l'autre, l'histoire semble bien avoir un " sens ", être destinée à finir un jour, même si l'on aurait plutôt tendance aujourd'hui à penser qu'elle finira avec le monde.

Cependant, il serait bien pessimiste de se contenter de cela, tout en sachant que c'est en tant que marche de la raison que peut-être interprétée l'histoire. En effet, sachant cela, ne devons-nous pas, en tant que consciences humaines douées de raison, essayer d'influencer le cours de l'histoire, c'est-à-dire faire marcher la raison afin d'améliorer le présent puis le futur, ce que nous vivons aujourd'hui, et qui deviendra l'histoire de demain ? La marche de la raison interpréterait l'histoire dans le sens positif du terme, c'est-à-dire en l'orientant vers la recherche de la vérité, du bonheur, du bien vivre ensemble… Dire que l'histoire peut être interprétable comme étant la marche de la raison, c'est dire qu'une partie du destin des hommes est entre leurs mains, c'est voir l'histoire comme une tâche raisonnable.


Ainsi, les destructions et les catastrophes humaines, qui font notre passé, qui ne sont que le fruit de folies et de passions, cet éloignement du bonheur pourtant tant recherché, ne sont que des aspects des limites de la suprématie de la raison à diriger l'histoire. En effet, le hasard et les passions ont aussi leur place, mais ils ne sont que secondaires. Notre sombre passé nous pousse parfois à nous tourner vers des explications irrationnelles, telles que la référence à Dieu, plutôt que de reconnaître que si la raison disposait d'informations suffisantes, ce serait elle principalement qui interpréterait passé, présent et futur, mais d'une manière rationnelle, et non raisonnable. Nous en sommes arrivés à constater que l'histoire a un sens, et donc qu'elle va vers un but. Il est donc de notre devoir moral de choisir ce but dans la mesure du possible, en nous comportant comme les êtres doués de raison que nous sommes, c'est-à-dire en ajoutant le " raisonnable " à nos conduites rationnelles