L'on définit généralement l'action de
représenter comme le fait d'évoquer quelque chose, ou de créer
un objet pour le substituer à un autre, ou encore de donner quelque chose
à voir. Il peut exister de nombreuses représentation d'un même
objet : portraits, natures mortes
Aussi l'on est amené à les
comparer et à se demander si une représentation particulière
est plutôt bonne ou mauvaise. Mais qu'est qu'une bonne représentation
? Qu'est-ce que bine représenter ? Cela signifie t-il réaliser une
imitation parfaite comme Pygmalion ? Il ne semble pas que la reproduction à
l'identique soit l'objectif de la représentation. Et comment savoir si
une représentation est bonne ? Est-ce au représentant, au représenté
quand cela est possible ou au public d'en juger ? Peut-on trouver qu'une représentation
représente bien son objet, et cela objectivement ? Dans cette réflexion,
nous tenterons de répondre à ces problèmes, et pour cela,
nous déterminerons s'il existe effectivement des bonnes et des mauvaises
représentations, si l'on peut les juger, puis nous tenterons de définir
ce qu'est et ce que traduit une bonne représentation du point de vue de
l'artiste, ou du scientifique, selon la représentation considérée.
A priori, il ne semble pas évident que nous soyons capables de distinguer
une bonne d'une mauvaise représentation, c'est-à-dire que nous
sachions juger les représentations. En effet, si nous considérons
qu'une représentation est représentative, nous ne pouvons aucunement
le prouver : pour cela, il faudrait pouvoir la comparer à son modèle,
modèle dont l'essence ne nous est pas accessible. En effet, nous ne pouvons
avoir accès qu'aux phénomènes, à l'apparence des
choses et cela par le biais de la représentation. Nous sommes incapables
de sortir du cadre de la représentation : nous ne pouvons comparer non
représentations à leurs modèles, ni déterminer celle
qui lui est la plus fidèle par exemple.
De plus, l'expression " bien juger " suppose une certaine subjectivité
puisqu'elle est un jugement de valeur. Il ne semble donc pas que nous soyons
réellement capables de désigner quelle représentation représente
le mieux son modèle, et qu'il n'existe pas de bonne ni de mauvaise représentation
dans l'absolu
Par ailleurs, si dans le cadre de la représentation politique on définit
un bon représentant comme celui qui accomplit son devoir dans le cadre
de sa fonction, alors apparaît une nouvelle difficulté : quels
sont les critères permettant d'affirmer que le prince impose les bonnes
lois par exemple ? Les critères pour affirmer qu'un homme politique représente
bien les citoyens ne peuvent être, à première vue, définis
objectivement et sans contestation.
Et enfin, si l'on considère que le statut de la représentation
est inférieur à celui de l'objet représenté, comme
le fait Platon dans de domaine de la représentation artistique, alors
il semble que l'expression " bien représenter " est alors vide
de sens. L'on pourrait même penser qu'elle est une insulte pour l'objet.
De cette première partie, il apparaît difficile de juger objectivement
une représentation, et peut-être qu'il n'existe que des mauvaises
représentations, des trahisons. Cependant, l'on détient la preuve
de l'existence de certaines bonnes représentations par exemple. La Joconde
de Léonard de Vinci est un chef d'uvre universellement reconnu.
Et à l'opposé, s, comme on le considère généralement,
la connaissance ne peut être atteinte que grâce à des représentations,
l'absence de certitude dans la métaphysique par exemple est certainement
due au fait que nous n'avons pas à disposition de bonne représentation
de ses objets. C'est donc qu'il existe des représentations qui représentent
mieux leur objet que d'autres. Par ailleurs, si elles étaient toutes
équivalentes, alors il n'y aurait aucun intérêt à
réaliser plusieurs représentations d'un même objet.
Finalement, dans cette première partie, il apparaît
qu'il existe effectivement des représentations qui représentent
mieux leur objet que d'autres. Mais si Emmanuel Kant définit l'art non
comme " la représentation d'une belle chose, mais comme la belle
représentation d'une chose ", qu'est-ce qu'une belle représentation
? En quoi consiste le fait de bien représenter un objet ?
A première vue, " bien représenter "
un objet signifie expliciter tous ses aspects, ce qui semble vouloir dire le
reproduire dans tous ses moindres détails : l'imiter. Mais sachant qu'une
imitation parfaite est impossible parce qu'un tableau ne peut que représenter
en deux dimensions un objet en trois dimensions par exemple, alors l'on peut
se demander quel serait l'intérêt de bien représenter, si
ce n'est de tenter vainement de réaliser une imitation parfaite. C'est
donc qu'une bonne représentation n'est pas une copie, car contrairement
à la copie, une bonne représentation est utile à l'homme,
et cette utilité varie selon les domaines considérés de
la représentation.
Dans le domaine de la connaissance, toute représentation n'est pas réussie,
elle n'est pas utile pour comprendre et apprendre. Ainsi Descartes dans les
Méditations Métaphysiques distingue les actions
de concevoir et de représenter. En effet, si je suis capable de concevoir
mentalement un chiliogone (polygone à mille côtés), je ne
peux m'en faire une image mentale car la conception que j'en ai est très
imprécise, elle se confond même avec celle d'un myriogone (polygone
à un million de côtés). Cette conception est une très
mauvaise représentation, une sorte de non-représentation qui ne
donne rien à connaître. Au contraire, une bonne représentation
donne quelque chose à connaître. Ainsi, dans le domaine des sciences,
toute représentation même simplifiée d'un mécanisme
tel que le fonctionnement du corps humain qui nous aide à le comprendre
est une bonne représentation. L'utilité qui caractérise
le fait de " bien représenter " consiste donc, dans ce domaine,
à augmenter nos connaissances.
Dans le domaine de la politique, " bien représenter " signifie
pour Machiavel que le prince doit être strict afin de conserver le pouvoir
le plus longtemps possible et éviter ainsi tout risque d'instabilité
politique. En effet, si le prince est trop généreux par exemple,
alors il redistribue les richesses qu'il perçoit et fait peu de réserves.
Si une catastrophe naturelle intervenait alors, ses caisses seraient vides et
il ne pourrait aider réellement sa population : son régime serait
renversé. Machiavel conclut donc à partir de cette hypothèse
que " bien représenter " signifie que le prince doit être
dur et par ailleurs, il ne doit pas mêler morale et politique, c'est-à-dire
qu'il doit parfois utiliser le Mal fin de garder son pouvoir et d'assurer la
stabilité. Cependant cette définition du bon représentant
n'est pas satisfaisante pour nous, Occidentaux du XXIème siècle,
puisqu'elle risque d'aboutir au totalitarisme, à l'oppression du peuple.
Hobbes, dans le Léviathan définit la bonne représentation
comme le fait de permettre au peuple de commercer librement. En effet, "
bien représenter " signifie pour ce dernier assurer l'ordre et permettre
aux hommes de vivre ensemble, d'épanouir leur humanité qui est
une humanité de marchands, de commerçants. Bien représenter,
c'est leur permettre de consacrer du temps, non à la politique, mais
à cette occupation. Pour Hobbes, le peuple se sent bien représenté
dès lors que le système en vigueur est une " représentation-incorporation
", c'est-à-dire si chacun est une partie du Léviathan, à
l'image de la gravure illustrant l'ouvrage. La définition de l'essence
de l'humanité définie par Hobbes est certes contestable, mais
son argumentation nous permet de trouver l'utilité de la bonne représentation
politique : c'est assurer l'ordre public et permettre aux individus de s'épanouir
dans leur humanité. " Bien représenter " dans le domaine
politique signifie donc garantir cela.
Et enfin, le dernier domaine étudié sera celui de l'art. Bien
représenter signifie pour Aristote non pas imiter, mais exagérer
certains traits. Dans la philosophie de ce dernier, la tragédie grecque
en particulier a la fonction de purger nos passions en nous montrant des personnages
affrontant leurs passions destructrices. Elles provoquent terreur et pitié
et ainsi nous soignent des passions que nous avons ou de celles que nous pourrions
avoir. Our cela, la tragédie doit " bien représenter ",
c'est-à-dire exagérer les défauts ou qualités des
personnages pour en rendre meilleure leur représentation, tout comme
une caricature peut sembler plus efficace que le réalisme lors d'une
description.
De plus, la bonne représentation nous permet de mieux saisir le monde,
d'avoir un regard différent sur lui. Le tableau de Magritte intitulé
La trahison des images nous aide à comprendre que nous
confondons les images et le réel : elle nous ouvre l'esprit. L'utilité
essentielle de la représentation artistique est donc double : cette dernière
nous purge de nos passions et développe notre esprit. Bien représenter
signifie donc, dans le cadre de la représentation artistique, assure
cette double utilité.
A travers cette seconde partie, il apparaît que la définition
de " bien représenter " diffère selon le type de représentation
concerné : la représentation doit alors assurer plusieurs garanties
aux spectateurs, au public en général pour être bonnes.
Mais tout ceci ne concerne que le rapport existant entre la bonne représentation
et le public. Il nous reste donc à définir l'expression "
bien représenter " en centrant notre attention sur l'auteur de la
représentation. Qu'est-ce que " bien représenter " du
point de vue d' l'auteur de cette représentation ?
Du point de vue du créateur, bien représenter
signifie bien traduire la réalité de l'objet, ou ses émotions
par exemple. Si la mimesis aristotélicienne visait à purger les
passions des spectateurs grâce à la distance existant entre eux
et ceux qui vivent la tragédie, l'on ne peut nier que la bonne représentation
peut également avoir cette fonction de thérapie pour l'auteur.
Ainsi, Victor Hugo grâce à son poème débutant par
: " Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la
campagne
" et paru dans les Contemplations, se
guérit de la mort de sa fille. Bien représenter signifie alors
s'exprimer pour se soigner. Et à l'image de Bergson qui préconise
dans la Pensée et le mouvant la multiplication des représentations
afin que leurs imperfections se compensent et que la représentation synthétique
devienne bonne, Hugo multiplie les poèmes afin d'atteindre ce stade de
bonne représentation, et ainsi de se défaire de ses maux.
De plus, bien représenter signifie également que l'objet visé
à été parfaitement saisi par l'artiste. En le représentant,
ce dernier se l'approprie d'une certaine manière, en le matérialisant,
c'est donc que " bien représenter " signifie aussi s'approprier
l'objet que l'on a su cerner. La volonté de bien représenter qu'est
celle de tout artiste traduit donc un désir de possession.
Et enfin, " bien représenter " peut signifier que l'artiste
parvient à ce que la représentation accomplie dépasse sa
simple matérialité. Ainsi, les critiques d'art qualifient souvent
de bruyants les tableaux d'Eugène Delacroix parce qu'ils dégagent
par leur atmosphère de nombreux sons qui sont suggérés
au spectateur. " Bien représenter " signifie donc ici que l'auteur
de la représentation est capable de suggérer même ce qui
n'est pas apparent dans sa représentation, de dépasser sa matérialité.
Au travers de cette réflexion, il apparaît que l'on peut distinguer
divers degrés de réussite d'une représentation, et que
bien représenter quelque chose ne signifie pas représenter quelque
chose bien ni représenter quelque chose de bien. " Bien représenter
" a une définition plurielle à cause des divers domaines
de représentation existant, mais à chaque fois elle répond
à un besoin ou en traduit un. C'est donc que les difficultés quant
au fait de juger nos représentations abordés en première
partie ne sont pas insurmontables. " Bien représenter " signifie
donner à connaître, ou permettre l'épanouissement des hommes,
ou purger nos passions et ouvrir nos esprits. Bien représenter est l'objectif
de tout artiste, scientifique
puisque cela signifie la réussite
de leur travail, et exprime leur désir de créer un objet le plus
réussi possible. La volonté de " bien représenter
" traduit donc notre complexe de Pygmalion et notre désir d'absolu.