Untitled Document
En tant que lieu de rencontre de l’offre et de la demande,
le marché semble être l’un des acteurs fondamentaux de la vie économique.
Cependant, si l’Etat a un rôle qui dépasse le cadre économique,
il s’inscrit bien comme un rival du marché. Aussi est-on en droit de s’interroger
sur le degré de compatibilité qui existe entre marché et
Etat. Dans quelle mesure Etat et marché peuvent-ils coexister ? Depuis
la naissance du capitalisme et celle du socialisme, nombre de théories
ont été émises à ce sujet, laissant la part belle
tantôt à l’Etat, tantôt au marché. Si de tels rapports
de domination ont existé, il importe de montrer jusqu’où ils restent
fondés et dons quelles en sont les limites.
Dans un premier temps, il convient d’étudier les relations
qui ont fait l’objet de différentes théories entre marché
et Etat. Au cours du XVIII° siècle, le marché s’est imposé,
comme le montre les libéraux. Mettant en avant l’importance, voire la
toute puissance, des lois naturelles, ils ont montré que la main invisible
du marché suffisait à tout ordonner et que l’économie,
dans ces conditions, était régulée en permanence, n’offrant
pas à l’Etat le loisir d’intervenir. Il faut bien comprendre que dans
l’esprit des théoriciens libéraux, l’Etat ne pouvait qu’avoir
un rôle perturbateur et générateur de troubles. Ainsi son
rôle se réduit-il à jouer le gendarme : il doit s’assurer
qu’aucune entrave n’est faite aux libertés individuelles. Le " laisser-faire,
laisser passer " ouvre alors les portes à l’impérialisme
du marché. Consommateurs et producteurs régissent toute l’activité
économique qui repose sur l’échange. Ainsi se pose-t-on la question
de savoir si l’homme se réduit au simple " homo oeconomicus "
de Wilfrid Pareto. Il est frai que le rôle du marché fait de l’homme
un être qui existe pour ce qu’il peut acheter, ou ce qu’il peut produire
et vendre : sa force de travail. Il suit en effet les lois du marché,
qui consistent à être en concurrence avec ses semblables. Tout
comme l’entreprise, il est un acteur de l’économie de marché.
Cette dernière est mue par le profit. Elle doit donc être puissante
pour régner sur le marché. De tels objectifs poussent à
la concentration, mais aussi à l’innovation puisqu’il faut devancer ses
adversaires, s’emparer du marché avant eux. Ainsi se met en place un
cercle vertueux du progrès qui doit tout au marché et non à
l’Etat puisque celui-ci s’est constitué " agent de sécurité
" du marché.
L’écrasante supériorité du marché est l’une des
caractéristiques majeures de l’économie américaine. Ceux-ci
ont mis en application ces théories, ou plus exactement le système
anglo-saxon qui en découle et ils se trouvent aujourd’hui à un
stade avancé, puisque oligopolistique, du capitalisme. La concentration
d’entreprises permet ainsi aux américains d’être parmi les plus
grandes firmes mondiales, et, pour n’en citer qu’un, Microsoft est l’un des
meilleurs représentants de cette tendance au monopole… Monopole
qui remet en question le concept même de marché puisque la concurrence
n’est plus assurée. Une nouvelle question se pose alors : Que doit fair
l’Etat ? D’autre part, les investissements et les innovations sont tels que
les FMN américaines sont à la pointe de la modernisation et du
progrès technique, ce qui leur permet de s’imposer sans difficulté
sur le marché mondial. Il semble donc que l’ère du marché
soit solidement enracinée et ne donne qu’un rôle médiocre
à l’Etat.
Pourtant, il convient de nuancer ce point. Si le marché tend à
éclipser l’Etat, il n’en n’ a pas toujours été ainsi. D’ailleurs
cette incompatibilité apparente pourrait bien être renversée.
Marx a en effet montré que le capitalisme courait à sa perte.
La philosophie que ce dernier a engendrée, le libéralisme et la
course au profit mèneraient en réalité le capitalisme à
une fin proche. Comment, dés lors, concevoir un système ou ne
règnerait que le tout puissant marché ? Le moteur de cet échec
est au cœur du marché : la concurrence engendre la nécessité
de modernisation, seul moyen de rester concurrentiel, qui suscite elle-même
des investissements. Mais pour Marx, la plus value qui est réalisée
aux dépens des travailleurs ne suffira pas à combler ces investissements
; d’où le dépérissement d’un système où le
marché régnait en maître. Le marxisme-léninisme,
qui s’inscrit dans la lignée du marxisme, va finalement imposer la dictature
du prolétariat qui marque le début du règne de l’Etat,
en URSS. La collectivisation, suivie de la planification met fin à toute
concurrence. Il n’existe plus aucune relation entre les entreprises.
La planification en URSS est telle que tout est prévu sans intervention
du marché. On ne tient pas compte de l’offre ni de la demande. C’est
l’Etat qui fixe les quantités devant être produites par l’intermédiaire
du Gosplan. Il semble qu’un tel système puisse faire face aux crises
qui secouent les Etats-Unis et autres pays européens dans les années
30. En effet, Marx envisageait toue crise du capitalisme comme une crise de
surproduction. Donc, si l’Etat fixe les quantités à produire et
le domaine de ces productions, rien ne peut fluctuer. Dans cette perspective,
seule l’Etat est tout puissant, niant l’efficacité du marché.
Au final, la domination toute puissante de l’Etat ou du marché tendrait
donc à prouver que l’existence de l’un conduit à la suppression
de l’autre. Cela montrerait alors une incompatibilité de l’Etat et du
marché. Néanmoins, il semble qu’une telle domination se traduise
différemment et qu’elle engendre certaines lacunes, voire certains dysfonctionnements.
On a vu précédemment que la planification ne tenait
pas compte du marché. Une entreprise a alors pour objectif de remplir
le contrat fixé par l’Etat, sans se préoccuper du reste. N’étant
pas poussée à la concurrence, elle n’innove pas, n’investit pas,
n’améliore pas ses techniques de production. Il n’existe aucune motivation
réelle des travailleurs, qui sont réduits à épargner
l’argent qu’ils gagnent à défaut de le dépenser dans des
produits de consommation, déclarés trop bourgeois et par la même,
contraire à la doctrine soviétique. Un tel système peut
donc fonctionner à l’intérieur du pays mais il ne peut survivre
au plan international. Comment lutter face à des entreprises, qui, motivées
par la loi du marché, se sont modernisées, ont élevé
leurs taux de productivité et ont abaissé leurs coûts de
production ? C’est le problème qui s’est posé au lendemain de
la réunification en Allemagne. L’ex-RDA ne pouvait survivre économiquement
face à l’économie de marché mise en place en RFA. Il est
ainsi clair que le marché tout puissant devrait de débarrasser
de l’impérialisme étatique.
Autre problème soulevé par le rôle trop puissant de l’Etat
en URSS : le mythe de l’industrie. L’Etat voyait dans l’industrie une fin tant
économique que commerciale : c’est là que devait se forger tout
honnête communiste. Cependant, à trop vouloir imposer le modèle
industriel comme celui de la réussite économique, l’Etat a oublié
que le marché existe en dehors du secteur industriel. Les autorités
soviétiques ont ainsi imposé, à tort, l’industrialisation
de certains pays du tiers-monde, fraîchement décolonisés
et et tout aussi rapidement passés sous la tutelle de l’URSS. Le résultat
fut catastrophique, ces pays n’étant pas du tout prêt à
faire une telle mutation du point de vue économique.
On voit alors que l’Etat ne peut agir impunément et sans prendre garde
au marché qui régit lui aussi une partie de l’économie.
Il en va de même quant à l’impérialisme du marché
qui se veut détenteur de toutes les ficelles de l’économie. Le
libéralisme ne peut en effet s’imposer à toute l’économie
ni à l’ensemble de la société. Il apparaît clairement
que les lois naturelles qui devaient régir l’économie n’ont pas
été aussi efficaces qu’elles le laissaient prévoir. D’une
part les inégalités sociales se sont considérablement développées,
d’autre part, et surtout, le marché n’a pas accompli son rôle régulateur.
Ainsi, à la place d’une concurrence juste et parfaite se sont progressivement
mis en place des oligopoles qui deviennent les maîtres du marché.
Divers organismes génétiquement modifiés (OGM) sont ainsi
proposés puis imposés aux agriculteurs et aux consommateurs américains.
Etat ou marché ne peuvent donc pas s’imposer comme unique acteur de l’activité
économique. Ils ont leurs failles et leurs faiblesses, comme peut le
montrer la crise de l’ultra libéralisme ayant succédé à
la politique de Mme Thatcher en Angleterre. Il serait alors intéressant
de voir jusqu’où s’étend le rôle de l’Etat, et réciproquement
celui du marché et d’en déterminer les limites respectives.
Revenons-en aux premières conséquences et aux problèmes
ayant trait à la planification en URSS. L’Etat se veut si puissant qu’il
a imposé un réseau pyramidal visant à centraliser toutes
les données de l’administration. La communication est de ce fait très
hiérarchisée : On ne peut en référer qu’au supérieur
hiérarchique et ainsi de suite. Cela signifie bien qu’il ne peut y avoir
de communication directe entre les entreprises. Cela provoque d’énormes
problèmes structuraux. Si l’on considère une entreprise automobile,
celle-ci se voit imposer par le Gosplan la production d’un nombre déterminé
de voitures. Il peut arriver pour des raisons ou d’autres qu’elle n’atteigne
pas ce chiffre. L’entreprise se chargeant de la Production de tôle aura
donc produit plus de tôles que nécessaire. Il y aura donc surproduction
et problèmes d’évacuation des stocks ainsi constitués.
Le problème est identique dans l’autre sens : si une entreprise d’acier
n’atteint pas le nombre prévu de tonnes d’acier, cela se répercute
sur toutes les fabriques qui la suivent. Au final, il y a donc un problème
de chaîne engendré par la centralisation excessive de l’Etat. Cet
exemple simple montre l’importance du marché au sein au sein duquel s’effectue
l’offre et la demande. Chaque entreprise peut alors être en relation avec
une autre et gérer sa production en fonction du marché. La Chine
actuelle a ainsi mis fin aux communes populaires mises en place sous Mao pour
évoluer vers un socialisme de marché qui est parfaitement intégré
au marché mondial au point de vue économique.
Le retournement de situation ayant eu lieu en chine peut-être comparé
aux crises du capitalisme qui ont vu s’imposer avec encore plus de vigueur le
" socialisme démocratique " et qui ont vu grandir le rôle
de l’Etat face au marché. Avant tout il est utile de rappeler que le
marché est sujet à des mouvements cycliques qui montrent tantôt
des phases de croissance positives, tantôt des phases de croissance négatives,
pour ne pas dire de récession. Il faut s’en remettre pour cela aux économistes
tels que Kondratiev ou Schumpeter. Devant la régularité (certes
discutée) ou la logique de ces cycles, on est alors en droit de se poser
la question suivante : que fait l’Etat pour enrayer la crise fatale qui va suivre
? Il semble bien que cette logique des cycles soit absurde, aucun Etat n’ayant
encore réussi à affronter ces crises. Ces dernières influent
néanmoins sur la politique économique. En effet, après
la grande crise asiatique, le rôle de l’Etat au Japon s’est profondément
durci, sauvant les entreprises endettées grâce à une grande
vague de nationalisations et donnant le beau rôle au MITI, charger de
donner les directives de productions nationales.
Il semble donc que l’Etat et le marché deviennent de plus en lus complémentaires.
Ainsi l’Etat comble-t-il les lacunes du marché. On parle alors de l’Etat
providence, qui tente de remédier aux inégalités engendrées
par un libéralisme outrancier. Il prend des mesures sociales, intervient
à propos des retraites et peut fixer un salaire minimum, comme le RMI
en France. A cela s’ajoute l’Etat planificateur, qui prévoit et conseille
les objectifs à atteindre sur une période de 4 à 5 ans.
Enfin on parle véritablement d’Etat acteur quand celui-ci intervient
sur le marché en le nationalisant ou en le privatisant. Ainsi l’Allemagne
qui a mis très tôt en application le modèle rhénan
a-t-elle réussi à jouer sur tous les tableaux du marché
et de l’Etat. Bismarck avait en effet entrepris de doter son pays de certaines
mesures sociales tandis que la stabilité du marché est aujourd’hui
assurée par une grande stabilité financière. Comme dans
d’autres pays les syndicats sont un moyen de privilégier la communication
entre salariés et patrons et donc de permettre un bon fonctionnement
de l’entreprise ?
Enfin, il faut remarquer que les modalités d’intervention de l’Etat dépendent
de la tradition observée dans les différents pays. Ainsi l’Etat
a-t-il toujours eu une place privilégiée en France, impulsé
au départ par le mercantilisme. On retrouve cette permanence de nos jours
avec une politique de privatisation qui est assurée avec la conservation
de " noyaux durs ". Cela permet à l’Etat de rester propriétaire
de certaines actions de l’entreprise par l’intermédiaire de groupes nationalisés.
Il semble donc qu’Etat et marché se complètent.
Tous deux sont nécessaires à la vie économique. La co-existence
et la compatibilité de l’un avec l’autre est assurée par les différents
rôles qui leur sont attachés. On retiendra finalement que s’ils
sont incompatibles dans leurs extrêmes (une présence trop forte
de l’Etat nuit au marché et inversement) on peut adapter leur rôle
pour gérer au mieux l’économie et les sociétés qui
en dépendent.