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L’Histoire, un mot pourtant si simple et qui nous inspire
tant de significations différentes les unes des autres. En effet on parle
h’Histoire " avec un grand h ", d’histoire de la vie, d’histoire mythique,
d’histoire que l’on apprend à l’école… et toutes ces significations
désignent à la fois la vie d’un être en particulier, mais
aussi celle de l’humanité toute entière. Face à cette difficulté,
les intellectuels de tous temps se sont interrogés et nous ont livré
leur définition personnelle de l’Histoire, ainsi que de son fonctionnement.
Dans " Madame Bovary ", Flaubert justifie la mort qui correspond à
la fin de son histoire, de son héroïne par la fatalité : personne
ne peut lutter contre le déterminisme. Cette prise de position de Flaubert
pose donc le problème de la rationalité de l’histoire : en effet,
si l’on considère que nous sommes tous déterminés à
accomplir notre destin dès notre naissance, l’on peut alors se demander
si l’histoire a un sens. Mais avant de répondre à ce problème
fondamental, nous étudierons les différentes conceptions de l’Histoire
face au déterminisme, ensuite nous analyserons le rôle des hommes
dans son élaboration, puis du hasard afin de conclure sur le sens de l’histoire.
Le destin du latin " destinare " signifiant fixer,
assujettir, affecter à, attribuer à … reste un grand problème
pour l’humanité toute entière, puisqu’il y a plusieurs interprétations.
En effet, l’on peut considérer le destin comme une force aveugle, irrationnelle
et funeste nommée " moïra " chez les Grecs, composant
l’Histoire, ou comme une succession de causes, un protocole organisant le monde
" amarené " chez les Stoïciens. Il apparaît donc
dans cette théorie antique qu’il existe bel et bien une fatalité
régissant le monde, que l’avenir est prédestiné par un
pouvoir inhumain, au sens étymologique du terme, sans qu’aucun obstacle
ne puisse le renverser.
Cette définition s’illustre notamment très bien dans la littérature
grecque, ou dans la mythologie : le mythe d’Œdipe par exemple nous montre
que lutter contre sa destinée est inutile, puisque l’histoire est prédéfinie
: Œdipe tuera son père et épousera sa mère, et toute
tentative de refus de ce destin restera vaine. Il en est de même pour
sa fille Antigone, dont le destin la condamnera à mort. (" Antigone
était faite pour mourir ")
Au contraire, l’on peut considérer le destin non pas comme irrémédiablement
funeste, néfaste, mais plutôt comme étant providentiel.
Certaines religions comme le christianisme par exemple, considèrent que
le destin existe, mais surtout qu’il est divin, providentiel. En effet, pour
certains penseurs comme Saint augustin, ou Bossuet, c’est Dieu qui organise
le monde, qui donne un sens et une cohérence à tous les événements
imprévisibles et en apparence chaotiques qui composent l’Histoire. Il
apparaît qu’il y a donc bien une force extérieure à l’homme
qui régit l’Histoire : l’homme semble bien ici subir son destin, sans
pouvoir à aucun moment le maîtriser.
Pour un autre penseur : Hegel, l’Histoire est une manifestation de l’esprit.
L’homme ne serait alors qu’un instrument de l’Histoire, définie comme
quelque chose de plus élevée, de plus vaste : l’homme la réaliserait
en l’ignorant, de manière inconsciente. Selon cet auteur, l’homme est
incapable de faire l’Histoire, il ne peut que lq penser, puisque " tout
fait est gros d’autres résultats ni voulus ni prévus ". Il
y aurait donc une intervention plus ou moins divine qui réaliserait l’Histoire
universelle.
Dans ces premiers arguments, il apparaît que l’Histoire semble réellement
être un destin. Cependant cette théorie suggère que l’homme
ne serait qu’un instrument, un robot, un pion… et cette idée est
difficilement acceptable : on risquerait de tomber dans la folie. Les théories
grecque, chrétienne et hégélienne ne paraissent donc pas
totalement satisfaisante. Voyons maintenant si l’homme est capable de maîtriser
son histoire.
A l’inverse de toutes ces théories, l’on peut également
admettre que l’homme est maître de son destin, de son histoire. Telle
est d’ailleurs la philosophie des existentialistes, dont Sartre symbolise le
mouvement. Pour ce dernier, " l’existence précède l’essence
". Cette célèbre citation suggère que l’homme en tant
qu’individu naît avant d’être, en d’autres termes : à sa
naissance l’homme n’est rien, ce n’est qu’en grandissant, en vieillissant qu’il
devient lui-même. Cette théorie entraîne plusieurs conséquences
fondamentales, comme la responsabilité individuelle (je suis responsable
de mes actes, de mon être puisque c’est moi qui ai choisi d’être
ce que je suis) ainsi que le refus du déterminisme. En effet, Sartre
rejette toute notion de déterminisme puisque selon lui, l’existence n’a
aucune norme pré-établie : nous sommes tous potentiellement identiques
à la naissance et rien ne nous contraint à être ce que l’on
est : on est ce que l’on a choisi d’être.
De plus, pour répondre à ses critiques, Sartre affirme : "
la mort transforme la vie en destin ". Cette citation suggère ainsi
que la notion de destin n’apparaît qu’après la mort d’un individu,
et celle-ci sur l’exemple du héros tragique. Ce dernier, tant qu’il vit
se refuse justement à son destin : affirmer que son destin serait de
fuir son destin paraîtrait ridicule.
La théorie de Sartre paraît donc plus justifiée que les
précédentes puisqu’elle nous évite de tomber dans la folie,
en plaçant le sujet comme maître de l’Histoire. Cependant, l’on
doit avouer que l’Homme est incapable de prévoir avec certitude l’avenir.
Il apparaît donc ici que l’homme n’est pas entièrement maître
de son destin : la philosophie de Sartre est ici insuffisante. Analysons maintenant
une autre théorie : celle du hasard.
Jusqu’à l’époque d’Augustin Cournot (1801-1877),
l’on estimait que le hasard était une ignorance provisoire des hommes,
la science illustrant ce principe puisque certaines incompréhensions,
telles que le mouvement des planètes … qui était jadis attribué
au hasard, se révèle être régit par des lois physiques.
Augustin Cournot va lui, réfuter cette thèse, affirmant que le
hasard a son fondement dans la réalité, qui n’est pas relative
à la faiblesse de l’esprit humain. Le hasard serait donc le fondement
de l’Histoire ainsi que des successions d’événements fortuits
qui échappent à la raison. Cependant Cournot n’affirme pas que
l’Histoire soit constituée d’une succession de hasards : c’est l’idée
de l’ordre, de " raison des choses " qui lui confère une orientation,
qui donne un sens à l’évolution. Le hasard n’est donc pas le seul
facteur composant l’Histoire, il y a aussi cette raison des événements
qui fait que les causes profondes l’emportent toujours, puisque les accidents
finissent par se compenser.
Cette théorie s’oppose catégoriquement à celle de Marc
Bloch qui dans l’Apologie pour l’Histoire du métier d’historien
nie toute forme de hasard, de fatalité, notamment grâce à
son célèbre exemple du sentier de la montagne. Marc Bloch affirme
que si un homme tombe dans le vide depuis cette montagne, la fatalité
n’en est pas responsable puisque ce sont les lois physiques (apesanteur…)
qui provoquent sa mort. Bloch étend même cette théorie sur
les événements historiques comme les guerres parce que "
les lois des trajectoires valent pour la défaite comme pour la victoire
". Pour ce philosophe, toute forme de hasard ou de fatalité semble
donc inconcevable.
Ces deux dernières théories (Cournot et Bloch) ne sont-elles non
plus pas tout à fait satisfaisantes puisqu’elles considèrent que
l’homme n’est pas maître de l’Histoire, que celle-ci est dépendante
d’autres facteurs incontrôlables et l’homme accepte difficilement le fait
d’être impuissant devant le hasard ou la physique.
Toutes ces philosophies paraissent donc incomplètes, et
ne permettent pas de trouver une réponse irréfutable au problème
du destin et de la prédestination. L’on en revient donc à remettre
en question l’Histoire et à se demander si elle a réellement un
sens, une rationalité.
La question de savoir si l’Histoire a un sens ou non est essentielle pour l’homme
dans la mesure où elle gouverne son engagement dans le monde. Cependant
répondre de manière certaine, catégorique à cette
question paraît impossible puisque les seules références,
les seuls exemples que l’on possèdent sont historiques, et donc uniques
: la question semble donc insoluble.
Si l’on considère que l’Histoire n’a aucun sens, qu’elle est absurde,
alors on approuve les pessimistes théories de Sartre par exemple, pour
qui l’existence même est l’absurdité absolue : elle n’a ni raison
d’être, ni finalité. Selon cette théorie, l’unique source
du sens incombe à la conscience de l’homme, l’histoire est-elle complètement
absurde ?
Si l’on considère que l’Histoire a un sens, alors on justifie l’existence
de certaines valeurs, comme l’espérance d’un monde meilleur, par exemple.
En effet, cette théorie suggère puisque l’Histoire a un sens que
les hommes sont capables de " tirer des leçons " de leur passé
et ainsi d’améliorer leur vie. De plus, cette notion implique une idée
de liberté : l’homme est maître de son destin, il est libre, et
puissant puisqu’en étudiant son passé, il pourra en dégager
des enseignements qui lui permettront d’agir sur le destin, de le contrôler.
Cette dernière théorie paraît donc intéressante puisqu’en
donnant un sens à l’Histoire, elle semble également en donner
un à l’humanité. Ainsi elle nous permet de nous échapper
de l’absurde, en posant que les souffrances humaines ne sont plus gratuites
puisqu ’elles permettront à l’humanité de progresser. Cependant
affirmer que l’Histoire a une signification n’est pas sans risque, puisqu’elle
permettrai de justifier des atrocités comme des massacres, des génocides…
en affirmant qu’ils sont historiquement inévitables. En outre le sens
de l’Histoire permettrait de justifier une certaine forme de totalitarisme,
en imposant une idée, un parti politique, et en rejetant tous les autres
au nom de l’Histoire qui a un sens ; c’est notamment le cas du stalinisme.
A travers cette réflexion, l’on a pu comparer les différentes
conceptions de l’Histoire, avec celle des Grecs, des Chrétiens, d’Hegel
; mais comme aucune d’elle ne paraissait entièrement satisfaisante, on
a cherché à analyser le rôle de l’Homme, puis celui du hasard
dans l’Histoire.
Finalement, nous avons été amené à nous intéresser
au sens de l’Histoire et l’on a pu distinguer deux possibilités ; selon
si l’on considère qu ’elle a un sens, ou non, et l’on a vu que l’on a
plutôt tendance à croire en ce sens, puisqu’il justifie l’existence
de l’homme et de toute l’humanité, mais l’on a également noté
les dangers que peut entraîner l’hypothèse du sens de l’Histoire.
Il appartient donc à l’homme de choisir ses concepts, et ceci pose problème,
puisque tous les hommes ne choisiront pas les mêmes principes, alors que
la vérité est individuelle. Si personne ne trouve de théorie
universelle, serait-ce parce que nous ne détenons aucune liberté
?