L’opinion peut-elle faire la loi ?

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Bonne Copie du lycée Blaise Pascal de Clermont Ferrand. Cette copie a été notée 13/20. Le commentaire du professeur est : vous avez su voir et développer les aspects esentiels de la problématique en question, et vous êtes aidée par une culture pertinente.

Bonne copie du lycée : 63 - Clermont-Ferrand - XXXX

Cette copie a été notée : 13 / 20

Commentaire du professeur : vous avez su voir et développer les aspects esentiels de la problématique en question, et vous êtes aidée par une culture pertinente.


Untitled Document Dans les Essais (1580-1595), Montaigne désigne l’origine des lois naturelles : la coutume : " chacun ayant en vénération interne les opinions et mœurs approuvées et reçues autour de lui ". Il pose en ces termes le problème du fondement de la morale. Si la conscience ne fait qu’intérioriser des opinions et des mœurs, tous nos jugements de valeurs s’expliquent par des causes sociologiques, historiques… La vérité une et absolue s’évanouit et il n’y a plus que des opinions relatives. L’opinion peut-elle faire la loi ?
L’opinion publique peut-elle légitimement fixer des normes sociologiques ou même légiférer ? A quelles conditions est-ce réalisable dans les faits ? Les lois ne risqueraient-elles pas de n’être que le fruit de surgissements spontanés d’idées ? Quelles sont les limites aux capacités de l’opinion ?

A la question " l’opinion publique peut-elle légitimement établir des normes ? " on peut considérer une philosophie individualiste rationaliste développée notamment par Descartes : nous n’avons pas besoin des autres ni pour nous connaître, ni pour accéder à la vérité : nous n’avons besoin que de notre raison, ainsi toute norme ne peut provenir que de ma raison, je suis le référentiel. Il n’existe pas de normalité car chacun a sa norme.
La philosophie contemporaine insiste au contraire sur le fait que l’évidence première ; c’est l’évidence des autres : l’enfant est d’emblée projeté dans un univers humain et c’est cette relation à autrui qui va nous permettre de nous construire. Gusdorf résume ce point de vue par la formule " le je est un cadeau des autres " et ainsi pour la philosophie contemporaine, le cogito cartésien n’est pas un point de départ mais un point d’arrivée.
Merleau-Ponty explique que l’opinion forme un réseau de significations initial dans lequel je fais irruption. Il s’agit à partir de là de se faire avec les autres. L’opinion crée la normalité par la force du nombre, de la tradition ou de l’autorité et c’est à l’individu de s’y insérer. Dès le XVIIe siècle, Fontenelle et Pierre Bayle démontraient l’insuffisance de ces trois pseudo arguments : Pierre Bayle critique en particuliers les " superstitions " liées aux comètes. Il est ainsi absolument illégitime que l’opinion se mêle d’établir des lois à prétention scientifique.
Au XIXe siècle, le problème demeure puisqu’en 1881 Michelson s’interroge sur un postulat fondamental de la physique newtonienne : l’hypothèse de l’espace absolu. Existe-t-il réellement ? Michelson introduit une expérience qui invalide l’hypothèse. En raison du prestige dont jouissait Isaac Newton à cette époque et sous la pression de la communauté scientifique, plutôt que de contredire le maître, il préfère remettre en question sa propre expérience. Ainsi jusqu’au XIXe siècle, l’opinion que constituait la corporation avait encore un poids considérable sur la formulation des lois scientifiques. Aujourd’hui encore l’opinion mais dans une acception plus large puisqu’elle dépasse la corporation pour atteindre la société dans son intégralité recouvrant aussi la vaste foule des incompétents en la matière, l’opinion publique garde toute son influence dans l’orientation des recherches : étant plus généreuse pour la recherche dans les maladies génétiques que pour les recherches portant sur la douleur, elle privilégie indirectement le premier domaine au second.
En élargissant, bien qu’aux yeux de la raison, les lois issues de l’opinion soient illégitimes, en particulier dans le domaine scientifique (qui se définit comme la quête de la conformité au réel, la recherche d’une vérité absolue) certaines lois sont cependant justifiées au nom d’un besoin naturel et profond de l’homme : l’aspiration à la reconnaissance. La société crée alors des normes : de beauté, de niveau de vie… qui évoluent en fonction des époques, de la situation géographique… en fonction de l’opinion publique qui les établit. Mais qu’est-ce que l’opinion publique ?
En démocratie, l’opinion est constituée de la masse populaire conditionnée par des traditions communes, une culture. Ses dirigeants n’étant élus que temporairement, ils sont citoyens membres à part entière de l’opinion une fois leur mandat expiré. L’opinion publique est constituée de l’intégralité des individus constitutifs d’une nation. Dans son principe, les délégués élus (élite) proposent, et elle dispose. On peut citer dans le domaine de la chanson l’exemple du tube de l’été, des canons de la mode… véhiculés par les mass média : la télévision, la publicité… Il semble ainsi qu’elle puisse choisir ses normes assez librement.
Dans un régime totalitaire, la norme dictée par le vouloir du chef, c’est ainsi que la mode au XVIIe siècle était fixée par la cour du Roi Louis XIV. L’opinion qui n’est alors plus constituée que d’individus soumis : la nation moins une caste de privilégiés n’a plus le choix, elle doit suivre des normes dictées du fait du prince.
Est-ce que dans un tel régime l’opinion peut malgré tout faire la loi contre ses dirigeants ? Dans une moindre mesure car un Etat dispose de nombreux moyens pour exercer une violence qu’elle soit ouverte (par l’extermination de toute opposition) ou plus diffuse (par la propagande, le détournement de leurs fonctions des institutions sociales comme la psychiatrie en URSS, les appareils idéologiques d’Etat : culture, média, école, échanges économiques…)
Le régime politique revêt une importance toute particulière dans la composition même de l’opinion publique. Dans un régime oligarchique certains individus sont au-dessus de l’opinion et c’est à eux qu’il incombe de légiférer, dans une démocratie, les législateurs sont des éléments à part entière de l’opinion.
L’opinion publique peut-elle légitimement légiférer ? D’après les théories du droit divin énoncées par Saint Paul, seul Dieu créateur de l’homme et ses descendants directs ont ce droit : le monarque ou tout organe détenteur des pouvoirs législatif et exécutif est le père de son peuple. L’opinion publique a un devoir d’obéissance à l’égard du souverain aussi absolu que celui des enfants à l’égard des parents. Dans le Contrat social Rousseau détruit cette thèse en réfutant l’idée selon laquelle le pouvoir se transmettrait par héritage et en expliquant que si le pouvoir du père sur ses enfants est légitime, c’est par pure nécessité biologique : ce pouvoir est temporaire par essence, il tend à disparaître au fur et à mesure que l’enfant devient raisonnable, autonome c’est à dire à son sens littéral capable de fixer sa propre loi.
Ainsi il n’appartient à aucune personne s’autoproclamant être le père d’un peuple de légiférer, qu’il se prétende descendant de Dieu sur Terre ou non. Rousseau réfute le régime de monarchie de droit divin et plus largement tout régime autoritaire contrôlé par un seul dirigeant.
Platon propose une alternative en se tournant vers la philosophie (ensemble des sciences particulières). Seuls les philosophes possèdent la science des idées aussi, ou bien ils deviendront rois, ou bien il faudra que les rois deviennent philosophes. Cette thèse est cependant insatisfaisante dans la mesure où on peut la détruire par une réfutation interne : ce projet politique est fondé contre l’autoritarisme, la tyrannie et les injustices or en confiant le pouvoir de concevoir les lois à une élite, le risque est grand d’aboutir à une forme d’autoritarisme. Platon le reconnaît lui-même, on peut donc assigner deux critiques à cette théorie des philosophes-roi : d’une part, l’autoritarisme des détenteurs de la " Science du pouvoir " (que pourrait bien être une telle science ?) et d’autre part à partir de ce point de vue, on rejète l’opinion en lui refusant la possibilité de vouloir la loi. Comment éviter d’imposer des lois à l’opinion ?
Contre Platon, on peut penser avec Rousseau que la volonté de la loi a le primat sur son élaboration. Pour Rousseau, faire la loi, c’est la vouloir.
Dans la Huitième Lettre de la Montagne, il écrit " un peuple libre obéit aux lois mais n’obéit qu’aux lois, c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes ". Pour éviter l’impasse de la contrainte violente de la loi, Rousseau a l’idée de mettre en avant le caractère obligatoire " être libre, c’est obéir à la loi ". Pour qu’une loi soit légitime, il faut qu’elle soit juste. Sur ce point, Rousseau et Platon se rejoignent pour penser que la loi doit être l’expression de l’intérêt commun ? C’est donc l’opinion publique qui seule à la capacité de légiférer légitimement. Demeure le problème du moyen pour y parvenir.
La définition de la démocratie comme un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple soulève deux principaux obstacles à la capacité du peuple à légiférer.
Tout d’abord, un régime organisé par le peuple risque d’aboutir à ce que Platon , qualifié de " régime d’incompétents " au sein duquel chacun ne légiféreraient qu’en fonction de sa propre idée surgie spontanément, d’une opinion dans le sens de la " doxa " c’est à dire une manière de voir qui ne repose pas sur la raison (contrairement au jugement) ne traduisant qu’une conviction, une impression approximative considérée à première vue comme une vérité et qui risque de prendre un aspect dogmatique ne souffrant aucune remise en question. Or la loi doit instaurer la stabilité ce qui implique donc la durée : une opinion spontanée contrairement à un jugement mûrement réfléchi ne saurait faire une loi.
Seule la dictature permettrait au dirigeant de proclamer " mon opinion fait acte de loi ", " la loi, c’est moi " mais nous avons démontré précédemment avec Rousseau le caractère illégitime d’un tel régime : c’est un faux régime.
D’autre part, un régime organisé pour l’opinion risque de déboucher sur une tyrannie de la majorité : l’opinion publique ferait SA loi, c’est à dire un régime qui ne tiendrait compte que des intérêts de la majorité et qui mépriserait les minorités. On aperçoit ici l’aspect moral de la législation : la loi doit viser le bien et rein ne garantit que la majorité ne s’oriente vers le bien, en effet nous avons vu précédemment que le nombre n’était pas un argument valide. On touche ici un problème posé au régime démocratique : la difficulté de connaître l’intérêt de l’opinion à long terme. Pour que le peuple ait la capacité de choisir une loi véritable, une unification de l’intérêt commun est nécessaire. Ce qui est rendu possible grâce à la volonté générale. Au sens kantien, elle ne consiste pas dans la somme des volontés particulières, c’est la capacité de l’homme de vouloir pour tous avant de vouloir pour lui-même. Cependant, même en supposant que l’opinion ait cette capacité de reconnaître la loi, de la choisir, ce peuple est une multitude aveugle qui ne sait pas toujours ce qu’il veut ; il a besoin d’être guidé sur ce qui est son intérêt. Qui va pouvoir éclairer le peuple et concevoir la loi ?
On peut proposer deux solutions :
D’une part, comme Rousseau, on peut penser à un être étranger à l’opinion publique, n’ayant aucun intérêt lié aux lois, afin de ne pas retomber dans un régime autoritaire. Grâce à une intelligence au-dessus des forces humaines, ce sur-homme aurait la capacité de ressentir l’intérêt général à travers les besoins particuliers des individus et de les transcender en un texte de loi universel possible qu’il soumettrait ensuite à la volonté du peuple. Une difficulté supplémentaire au travail du législateur est de n’utiliser ni la force, ni la raison. D’après Rousseau, la fonction du législateur serait d’être la voix du peuple, de faire en sorte que les citoyens puissent être à l’unisson en utilisant un langage qui ne saisisse pas la raison mais le cœur des citoyens.
Ainsi la fonction du législateur ne se définit plus comme une science contrairement à ce que pensait Platon mais comme un art.
Cette solution idéaliste semble difficilement applicable dans les faits car il est difficile sinon impossible d’identifier un tel sur-homme.
Une seule solution pour concevoir la loi est de recouvrir au service d’éléments du peuple grâce à un système représentatif : la souveraineté populaire kantienne. La notion de souveraineté populaire est pensée en terme d’idée régulatrice, à titre d’exigence. Lorsque nos représentants discutent des lois, ils doivent le faire dans l’intérêt commun. L’intérêt général doit être définit en tenant compte de l’organisation sociologique du peuple. Kant est partisan d’un système représentatif médiatisée qui fonctionnait à partir d’élections internes de mandataires en fonction de chaque ordre social pour unifier l’intérêt général, un système finalement très proche de l’Ancien Régime. Pour éviter que les mandataires ne perdent de vue l’intérêt des électeurs, Sieyès introduit en 1791 la notion de députation nationale. Une nécessité absolue de ce système réside dans le pluralisme des partis : c’est de la confrontation de ceux-ci que se dégage l’intérêt général. En effet le consensus, la pensée unique ne sont pas fertiles, dynamiques. Ils ne conduiraient qu’au conformisme. C’est ce qui fait dire à Ricoeur " C’est par rapport à cet idéal de la libre discussion que se justifie la pluralité des partis…encore faut-il que cette libre discussion soit praticable, que nul n’ignore que le discours politique n’est pas une science, mais au mieux une opinion droite. "

Les enjeux liés au fait que l’opinion fasse la loi sont nombreux :
D’une part des choix réalisés par une opinion publique lui sont propres et ainsi la définisse. On assiste ainsi à l’élaboration d’une caractérisation de l’opinion : ses choix appartiennent à sa culture. Ce qui peut avoir des effets néfastes ; en créant parallèlement un phénomène d’exclusion par rapport aux autres cultures et même aux minorités, parties pourtant intégrantes de l’opinion publique. Des choix sur des sujets tels que la peine de mort positionnent les opinions les unes par rapport aux autres et marginalisent les membres de l’opinion qui ne partagent pas les décisions prises à la majorité.
En matière de division de l’opinion, l’exemple de l’affaire Dreyfus est éloquent :
La célébration du centenaire du célébrissime " j’accuse " de Zola a consacré le droit de résistance de l’intellectuel face à une décision de justice qu’il trouvait injuste en son âme et conscience. Quelle doit être la fonction de l’intellectuel ?
Au début du siècle, Barrès fustigeait les intellectuels en les qualifiant " d’aristocrates de la pensée, d’oligarchie immorale et vaniteuse, prétentieuse et grotesque de gradés, de diplômés, d’agrégés, de docteurs qui cherchent à afficher qu’elle ne pense pas comme la vile foule. " Il souligne par ses mots polémiques que l’intellectuel n’est qu’un membre à part entière de l’opinion dont le jugement n’a pas plus de " valeur " que n’importe quel autre citoyen.
Au contraire des intellectuels comme Voltaire pour l’affaire Calas, et plus récemment André Malraux, André Gide, Simone de Beauvoir… Alain Finkielkraut, Bernard Henry Levy… n’hésitent pas à s’investir dans les grands débats de société. Pour Sartre en effet, l’intellectuel est engagé par nature et par fonction, il ne doit pas hésiter à mettre en avant le droit de l’insoumission, ou droit à la désobéissance civique pour influer sur l’opinion. On peut illustrer cet engagement par les multiples initiatives d’Emile Chartier (Alain), Camus, André Gide, André Breton, Jean Giono… fondateurs d’un comité décidé à refuser la peste brune…ou André Gluckmann, Jean-Paul Sartre et Raymond Aaron demandant à Valéry Giscard d’Estaing d’intervenir en faveur des " boat people " … ils réfléchissent sur l’aspect moral, éthique posé par les grands problèmes de société, les politiques mises en œuvre…et essaient d’orienter l’opinion par leur prestige personnel.
Pour diffuser toutes ces réflexions, une information objective (ou du moins la moins partiale possible) et accessible à tous est une autre condition nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie : la première moitié du XXe siècle grâce aux révolution technologiques en matière de télécommunications aura été l’Age d’or des idéologies véhiculées par la propagande démontrant ainsi la malléabilité des populations. Mais la relation aux médias est double : s’il est vrai qu’ils jouent subtilement un rôle dans le conditionnement de l’opinion c’est ainsi qu’on laisse miroiter un semblant de choix concernant la mode…qui est en fait imposé par les puissants. En retour, par l’exercice d’un " chantage à l’audimat " l’opinion contraint les media à diffuser ce qu’elle a envie de visualiser.
" La démocratie est le meilleur régime à condition que le peuple soit éduqué " disait Socrate ; le peuple doit faire preuve de ce que Montesquieu appellera dans l’Esprit des Lois la vertu politique c’est à dire approximativement le civisme ; une responsabilité des citoyens envers la loi dont ils sont les auteurs et les sujets. La stabilité du régime se manifeste par la préférence donnée à l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Et même en ayant reçu cette éducation demeure le grand danger pour l’opinion de succomber aux promesses de démagogues qui se contentent de flatter les intérêts de l’opinion à court terme éludant toutes réflexions sur le long terme.
Enfin avec l’apparition du phénomène de mondialisation, ce n’est plus l’opinion publique d’un état qui fixe ses propres normes, mais elle subit de plus en plus d’incidences des autres opinions publiques d’autres états étrangers pour aboutir à une uniformisation à l’échelle mondiale.

Pour conclure si dans le domaine scientifique, il est absolument illégitime que l’opinion se mêle d’établir des lois, dans le domaine sociologique et surtout politique, l’opinion est la seule source légitime de lois.
Dans les faits, si l’opinion tient les politiciens à se merci par les sondages, elle est aussi elle-même manipulée, conditionnée par les médias et les intellectuels (ses élites). Au milieu de toute cette confusion, de tous ces tiraillements qui vont dans le sens de son intérêt ou de son détriment, le civisme et la moralité demeurent les seuls points de repère indispensables au bon fonctionnement du système démocratique.