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De l’époque préhistorique au XXIème siècle,
des fresques sur les parois des cavernes à l’art conceptuel ou à
la musique concrète, l’homme s’est toujours manifesté à travers
l’art, sous toutes ses formes. De même, la pratique artistique est une des
toutes premières activités développées chez le jeune
enfant dès l’école maternelle. Mais qu’est-ce que cela signifie
? L’art participerait donc au progrès de l’esprit ?
On en vient ainsi à se demander si l’homme a besoin de l’art. Encore faut-il
s’entendre sur ce qu’est une œuvre d’art : elle appelle à la contemplation
en faisant référence au Beau qui est, selon Kant, un plaisir désintéressé.
En outre, quels sont les besoins de l’homme ? Comment et dans quelle mesure l’art
peut-il y répondre et les satisfaire ? Est-ce une nécessité
ou un luxe ? Faut-il pour répondre à ces questions distinguer l’art
en tant qu’on le pratique, qu’on le construit ou en tant qu’on le contemple ?
Le besoin est-il le même dans les deux cas ? Il est nécessaire également
de s’interroger sur la signification du mot " besoin ". Quand on a besoin
de quelque chose, cela ne sous-entend-il pas de considérer ce quelque chose
comme un moyen ? N’entrerait-on pas là dans des contradictions étant
donné que l’art se définit comme production d’une fin, non d’un
moyen ?
Afin de répondre à ces questions, nous verrons tout d’abord en quoi
l’art peut répondre aux inquiétudes de l’être conscient et
en quoi il lui procure une grande liberté . Puis il sera intéressant
de se demander comment l’homme peut se réaliser au travers de l’art.
L’homme se définit, selon Rousseau, comme un être perfectible,
mais c’est surtout un être doué de conscience et de liberté.
Qu’il se considère comme un être situé ou situant dans le
monde, L’homme éprouve des inquiétudes face à lui. En effet,
l’homme prend conscience de son impuissance face aux forces de la nature (cf.
les catastrophes naturelles : ouragans, inondations, etc.) ainsi que de sa mortalité.
De même, il se rend compte que la violence est possible dans la société
et qu’il ne peut jamais connaître totalement autrui. D’une autre manière,
en exerçant sa liberté par le biais de la technique, l’homme doit
faire face à ses responsabilités et se présente à
li un monde inquiétant.
L’art permet de remédier à bon nombre de ces inquiétudes
de l’homme en tant qu’être conscient et libre. En effet, face à
la nature tout d’abord, l’art permet de créer une distance, de contempler
cette nature sans en être inquiétée. On peut représenter
une nature effrayante et la contempler sans pour autant s’en sentir menacé
; comme le dit Kant, une œuvre d’art n’est pas la représentation
d’une belle chose mais la belle représentation d’une chose. En ce
qui concerne la peur de la mort, l’art permet de nous rassurer en ancrant notre
subjectivité dans le temps, en créant une œuvre qui marquera
notre passage dans le temps et nous survivra. En outre, dans la contemplation
de l’art, on savoure l’instant présent et l’éternité n’y
changerait rien. Enfin, dans la relation à autrui, l’art permet d’envisager
un idéal de contemplation partageable en droit, d’une liberté
partagée dans la paix d’autan plus que l’art est rarement une source
de conflit puisqu’on admet un certain relativisme dans l’appréciation
d’une œuvre et un respect de l’opinion de l’autre.
A ce stade, il apparaît donc que l’art rassure l’homme en tant qu’être
conscient et libre. Il arrive à compenser, à gommer les inquiétudes
suscitées notamment par les sciences et les techniques. En ce sens, l’homme
a besoin de l’art dans la mesure où il lui procure un sentiment de protection,
de sécurité et de paix et, par conséquent une forme de
bonheur.
Cependant, on note que la religion joue le même rôle face aux inquiétudes
de l’homme. En effet, le christianisme, par exemple, présente la nature
comme vouée à l’homme, propose un au-delà après
la mort et prescrit notre comportement ace à autrui pour vivre dans la
paix. De plus, où se situe la liberté dans cette conception de
l’art ? Nous répondrons à cette question en nous demandant : en
quoi l’art serait-il plus nécessaire à l’homme et en quoi répondrait-il
plus à ses besoins que la religion ?
Notre société fait aujourd’hui le constat que les musées
se remplissent à mesure que les églises se vident. Est-ce à
dire qu’il existe un rapport entre ces deux phénomènes ?
On remarque tout d’abord que la religion est caractérisée par
le dogme, c’est-à-dire, par un ensemble de doctrines, de pensées
et règles fixes qui sont peu susceptibles d’être modifiées
ni d’évoluer. On ne peut également pas nier que la religion ne
nous invite pas toujours à penser, à réfléchir par
nous-même à la lumière de notre propre raison, mais nous
donne, nous prescrit des pensées. Ainsi la liberté humaine apparaît
comme limitée au sein de la religion. Au contraire, l’art nous accorde
plus de liberté dans la pratique. Certes il a existé des écoles
qui réglementaient et codifiaient un genre d’art et qui condamnaient
quiconque osait s’en éloigner, comme l’académisme et la peinture
figurative. Mais l’art a souvent su évoluer et innover au cours du temps.
Il suffit de comparer l’histoire de l’art et celle de la religion, qui par ailleurs
se recoupent et sont quelquefois liées, pour constater que l’homme a
pu dans l’art exercer sa liberté. Ainsi, dans la pratique, l’art est
libre et n’est pas réglé par des rites ou coutumes à respecter
comme en religion. Il ne suffit pas d’être artiste pour exercer sa liberté
dans l’art, on peut aussi le faire dans la contemplation de l’œuvre d’art
puisqu’on est libre d’interpréter l’œuvre tandis qu’en religion,
dans les religions révélées plus précisément,
l’interprétation des textes sacrés et de la parole divine se fait
par l’intermédiaire des théologiens, souvent des prêtres.
Il apparaît donc ici que l’art répond au besoin de liberté
de l’homme, à la fois dans la contemplation que dans la pratique de l’art
qui présente peu de contraintes.
Cependant ne s’enferme-t-on pas dans le sensible ? C’est ce qu’affirme Platon
en montrant que l’art est une source d’illusions. Pour lui l’essence d’un objet
est plus réelle que sa représentation et même plus réel
que l’objet concret lui-même car l’essence c’est ce qui définit
l’objet et lui subsiste. Par conséquent, n’entre-t-on pas dans des contradictions
avec l’aspiration de l’homme à un idéal de vérité,
la vérité état l’accord de la pensée avec la réalité
? L’art consisterait donc à s’éloigner de la vérité
de l’objet et d’en créer une illusion. On se demandera alors si on peut
tout de même accéder à l’Intelligible grâce à
l’art. C’est ce que prévoit Hegel.
Rappelons que l’homme se distingue par sa conscience et sa liberté. Or
l’art passe par une construction, soit par un travail qui est la transformation
consciente d’un donné par l’intermédiaire d’outils. On voit donc
bien ici que la conscience intervient dans l’acte artistique.
Hegel va encore plus loin en soutenant que l’œuvre est une source d’accès
à la vérité et non une source d’illusion dans la mesure
où elle est une manifestation de l’Esprit dans le sensible. Ainsi, on
accède à la vérité de l’Esprit grâce à
son œuvre. En découle pour Hegel une hiérarchie dans l’art
; selon lui, plus une oeuvre s’éloigne de la nature, de la représentation
exacte d’un objet, plus elle nous donne accès à la vérité
de l’Esprit de son auteur.
Par conséquent, l’art apparaît comme un moyen d’expression de son
esprit aux autres (et à soi-même) sans passer par les contraintes
du langage. C’est également le moyen pour l’homme de manifester sa présence
au monde et son originalité. L’art répond donc au besoin de l’homme
de manifester sa subjectivité pour avoir conscience d’exister et épanouir
sa personnalité. Pour celui qui contemple l’œuvre, l’art répond
au besoin de connaître et de comprendre autrui.
Mais n’entre-t-on pas ici dans une contradiction puisque, dans ce qui précède,
nous considérons l’art comme un moyen, comme quelque chose d’utile alors
que l’œuvre d’art est une fin en soi ?
En effet, il ne faut pas confondre l’art produisant l’œuvre d’art et appelant
à la contemplation et l’art de l’artisan qui est la mise en œuvre
de procédés en vue d’obtenir un résultat jugé utile,
c’est-à-dire qui sert à titre de moyen.
En effet, on peut se demander si avoir besoin de quelque chose, ce n’est pas
le considérer comme un moyen. En ce cas, on pourrait affirmer que par
définition, l’homme n’a pas besoin de l’art qui est une fin en soi. Toutefois,
on pourrait peut-être dire que l’homme a besoin d’une finalité,
d’un sens à donner à sa vie. Or la finalité de l’art, si
l’on conserve la conception de Hegel, c’est d’atteindre la vérité
de l’Esprit ce qui correspond quelque peu aux aspirations humaines idéales
de quête de la vérité. Or cette quête, cet accès
à la vérité n’est jamais atteint donc ne peut être
utiliser à titre de moyen. En effet, l’art est une recherche infinie.
La réalisation de l’Esprit tout comme sa perception et sa compréhension
ne sont jamais atteintes complètement car elles passent par l’intermédiaire
du sensible. L’homme ne comprend jamais complètement l’autre et ne peut
vérifier si ce qu’il perçoit de l’autre correspond à la
réalité.
Par conséquent, la finalité de l’art correspond à une conception
de la finalité de l’homme. L’art est une recherche constante qui ne se
fixe jamais, qui est toujours en mouvement tout comme l’homme recherche constamment
le sens de son existence.
Ainsi, nous avons donc vu que l’art pouvait répondre à certains
besoins de l’homme comme le besoin d’être rassuré, le besoin d’exercer
sa liberté, le besoin de vérité.
Enfin, on peut noter que l’art permet de conférer à l’homme une
dignité en l’élevant au-dessus des choses du monde sensible puisque
à travers l’art, il cherche à conférer un supplément
de signification à ce qu’il représente ; dans une représentation,
il ajoute une touche aux objets et exprime sa subjectivité.