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A la fin de la seconde guerre mondiale, la plupart des économies occidentales
ont connu une phase de croissance exceptionnelle, tant par sa durée-environ
une vingtaine d’années- que par son ampleur. En France, le taux de croissance
du revenu national était de 4,6 % par an de 1949 à 1969, puis de
6,6 % de 1969 à 1973 (selon les travaux de Maddison). De nombreux économistes
ont alors tenté de comprendre quelles étaient les causes de la croissance.
Ils considérèrent le rôle de l’accroissement des facteurs
de production ainsi que celui de l’amélioration de la qualité de
ces derniers (notamment à travers la diffusion du progrès technique
). Cependant ils se sont confrontés à un problème : une part
de la croissance restait inexpliquée. Une partie de la croissance était
donc due à un facteur inconnu.
C’est pourquoi il est intéressant de s’interroger sur les causes profondes
de la croissance économique ? Comment expliquer cette part de croissance
non expliquée ? Pourquoi ces économies ont connu une telle croissance
? Les politiques menées à l’époque y sont-elles à
l’origine ?
Dans une première partie, on s’efforcera de mettre en avant tous les facteurs
qui contribuent à la croissance économique d’un pays. Ensuite, on
s’interrogera sur la nécessité de la croissance économique.
Dans un premier temps, nous pouvons affirmer que la croissance s’explique par
l’augmentation ( à savoir le travail et le capital).Pour Adam Smith (1723-1790),
la richesse des nations est principalement due à " l’accroissement
des capacités productives ". La variation du revenu national dépend
donc de la quantité des facteurs travail et capital engagés dans
l’activité productrice. Dans les années soixante, de nombreux
économistes ont utilisé la fonction de production de Cobb-Douglas.
Celle-ci décrit un phénomène particulier : à un
instant t donné, la production ( Q ) est fonction des facteurs de production
( K et L ), respectivement liés à leur élasticité
face à la demande ( a et a - 1 ), soit :
Q(indice t) = L(exposant a) . K(exposant a - 1)
Grâce à cette fonction, les économistes Carré, Dubois
et Malinvaud ont expliqué un quart de la croissance française,
et Solow un septième de la croissance américaine d’après-guerre.
La croissance résulterait principalement de l’accumulation du capital
et de l’effort d’investissement qui ont accompagné les " Trente
Glorieuses ".Pour expliquer la part restante de la croissance, ce premier
" résidu ", les économistes ont intégré
l’amélioration de la qualité des facteurs, permise par les impacts
du progrès technique. Ainsi, en tenant compte de l’amélioration
de l’efficacité des facteurs, ils ont attribué un quart de la
croissance aux gains de productivité pour la croissance française.
On est alors confronté au " résidu du résidu "
qui représente environ 50 % de la croissance comme l’a démontré
Denison pour les Etats-Unis et Carré, Dubois, Malinvaud pour la France.
Dans un deuxième temps, nous voyons bien que l’analyse se complexifie.
La croissance est permise par l’accroissement de la quantité des facteurs,
l’amélioration de la qualité et enfin par la présence d’un
troisième facteur que nous tenterons d’identifier. Solow a intégré
en 1957 ce facteur -noté A- dans son interprétation de la fonction
de Cobb-Douglas. On obtient alors la fonction suivante :
Q(indice t) = L(exposant a) . K(exposant a - 1) . A
Ce facteur résiduel est totalement exogène au système économique.
L’étude de Carré, Dubois et Malinvaud - La croissance économique
- paru en 1972 a mis en évidence le rôle déterminant, mais
non exclusif de la conjonction d’une multitudes de facteurs sociaux, culturels
et politiques propres à la société française de
ces années de prospérité économique. Ainsi, ils
ont repéré quatre thèses dominantes.
- La première s’attache à la thèse du rattrapage
économique, selon laquelle la France aurait simplement récupéré
son retard économique causé par la période dépressionnaire
et déflationniste des années trente.
- La seconde concerne les conséquences du Baby-Boom sur
la société qui, dynamisée ( à partir de 1965 )
et plus libre, aurait plus consommé et donc engendré une croissance
une croissance supplémentaire.
- Ensuite ils abordent la thèse du " sort des pays
vaincus et des vainqueurs à l’issue de la seconde guerre mondiale.
La France se rapproche des pays vaincus, ses dirigeants pour la plupart d’anciens
résistants se lancent dans une " Bataille pour la production ".
- Enfin ils insistent sur le rôle de l’Etat dans ce contexte
d’après-guerre. Selon eux, la croissance aurait été favorisée
par la décision d’investissements publics dans la construction des
réseaux autoroutiers. Par ailleurs, les nombreuses nationalisations
dans le secteur des banques, des assurances, de l’électricité
dès 1946, et des transports aériens et maritimes en 1948 ont-elles
aussi eu un impact sur l’économie. Pour finir, la planification indicative
administrée sous la IV ème République dans l’énergie,
les transports, le ciment puis, dans le second plan, dans le logement ont
permis sans doute la création d’ " externalités "
qui ont amélioré la productivité des agents. Ce troisième
facteur résiduel, résultat de l’influence de nombreuses circonstances,
a donc compté pour la moitié de la croissance.
Enfin, dans les années80, des économistes
américains ont érigé les nouvelles théories de la
croissance. Etant conscient du rôle majeur donné au progrès
technique, ce " résidu ", dans l’explication de la croissance,
ces derniers ont tenté d’endogénèiser ce facteur, dans
le but de l’intégrer à l’analyse économique. Ces auteurs
ont englobé sous la notion de progrès technique l’ensemble du
résidu. Cependant celui-ci prend des sens bien différents selon
les auteurs. Ainsi pour Romer, il s’agit du stock de connaissances accumulées
dans les universités, les entreprises et les centres de recherche. Pour
Lucas il désigne le capital humain, c’est à dire le niveau général
d’éducation et de formation. Enfin en ce qui concerne Barro, il s’agit
de l’ensemble des infrastructures. Les thèses de ce dernier mettent en
relation les difficultés économiques rencontrées aux Etats-Unis
au début des années 80 et le manque d’infrastructures touchant
principalement les grandes villes, comme New-York. Le progrès technique
ainsi endogénèisé au circuit économique reste malgré
tout totalement extérieur à l’entreprise.
Ainsi la croissance est due à l’accroissement des facteurs, à
l’amélioration de la qualité de ces derniers et enfin à
un troisième facteur : le facteur résiduel. Pour certains il s’agit
du progrès technique, pour d’autres de la conjonction de plusieurs facteurs.
Mais alors la croissance, pour quoi ?Quelles finalités ?
Cette période de croissance qu’ont connu les économies occidentales
ont suscité chez certains de nombreuses interrogations. Dans quels buts
la France était-elle toujours dans sa " Bataille pour la production
" alors qu’elle avait déjà achevé sa reconstruction
? A quoi bon ?Pourquoi les Japonais s’acharnaient-ils à rattraper les
niveaux de compétitivité et de croissance des Etats-Unis ? Et
aujourd’hui les PVD doivent-ils tout sacrifier au nom de la croissance ? C’est
autant de questions qui participent au débat déjà ouvert
depuis la fin des années soixante sur la nécessité de la
croissance. La parution du rapport du Club de Rome en 1972-Halte à la
croissance ?-marqua le début des contestations politiques. Ces auteurs
se sont interrogés sur les finalités de cette dernière
et préconisaient la croissance " zéro ". Ils se souciaient
aussi des conséquences écologiques entraînées par
une croissance intensive. Ils défendaient la sauvegarde de notre planète
dans le but d’assurer aux générations futures une vie agréable.
Aussi les manifestations de Mai 68 illustraient déjà les inquiétudes
des plus jeunes face à la croissance. Parmi les slogans, on pouvait lire
: " on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance ".
Par ailleurs, pourquoi vouloir la croissance si elle est incompatible avec une
baisse du chômage ?Comme le démontre Keynes (1883-1946), le sacré
équilibre économique général instantané des
libéraux n’est jamais vérifié dans nos économies.
Il peut certes exister un équilibre sur les marchés mais il s’agit
d’un équilibre de sous-emploi. En effet, la croissance est permise par
l’amélioration de la qualité des facteurs travail et capital,
soit de leur productivité. Or si l’entreprise choisit la substitution
du travail par le capital, soit l’automation, elle réalisera des gains
de productivité. Et ainsi elle verra ses profits augmenter et son chiffre
d’affaire croître. Au niveau macroéconomique, lorsque l’ensemble
des entreprises réalisent des gains de productivité au détriment
du facteur travail, cela entraîne une baisse du niveau général
des revenus et donc une baisse du niveau de l ’emploi. La croissance, devenant
de plus en plus intensive, se fait au détriment de l’emploi. Peut-on
faire le choix de la croissance ?
Et enfin nous pouvons remarquer que, quelques années plus tard, peu nombreux
étaient les économistes qui n’évoquaient pas la croissance
avec nostalgie. En 1979, Fourastié donna un nom à cette période
faste de croissance d’après-guerre : " Les trente Glorieuses ".
La question est : pourquoi dénigrer la croissance quand on en profite
et appeler " crise " toute période où le rythme de la
production nationale décélère ? Dans quels buts la croissance
peut-elle être favorable ? Les travaux du Club de Rome ont évoqué
les conséquences écologiques d’une trop forte croissance économique.
Cependant si les entreprises prennent en compte les coûts " externes
" ( coûts non-portéss par l’entreprise mais qui nuisent à
l’environnement) alors la critique du " Club de Rome " n’a plus lieu
d’être. Et si des politiques de l’emploi y sont associées alors
la croissance est justifiable. Pour finir, c’est la croissance qui conduit à
l’enrichissement matériel des nations donc à la société
car elle lui permet d’évoluer.
Les interrogations sur les finalités de la croissance ont permis de
remettre en cause certains aspects de la croissance et de les corriger. Mais
aussi les travaux réalisés pour le cas français par Carré,
Dubois, et Malinvaud ont montré que les causes de la croissance étaient
complexes. L’analyse de la composition du résidu fait apparaître
un ensemble de facteurs sociaux et institutionnels qui, ainsi mis en œuvre
dans l’après-guerre, ont favorisé la croissance. Par ailleurs,
si à terme les économies veulent maîtriser leur croissance
en lissant au maximum les cycles économiques, elles doivent dans un premier
temps maîtriser l’ensemble des facteurs qui y contribuent.