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Au lendemain du premier choc pétrolier, la France occupe
déjà le quatrième rang mondial par la puissance industrielle,
place qu’elle conserve toujours derrière les Etats-Unis, l’Allemagne et
le Japon. Les deux décennies 1974/94 ont été marquées
par " l’irruption " parmi les pays industrialisés de nouveaux
pays : les 4 Dragons ( Singapour, Hong Kong, Taïwan et la Corée du
Sud) et ainsi une nouvelle Division Internationale du Travail (DIT) a progressivement
vu le jour.
Comment la France a-t-elle pu conserver son rang malgré la poussée
asiatique ?
Comment a-t-elle concilié les nouveaux impératifs en matière
industrielle avec ses particularités ?
Dans une première partie nous étudierons les multiples
et extraordinaires bouleversements dans les méthodes de production, dans
les structures, dans la stratégie des entreprises qu’elle a subis durant
cette période, quels ont été les atouts et les faiblesses
du choix des nationalisations massives en 1981, l’exception française.
Dans un second temps, nous analyserons son ouverture sur le monde, son entrée
dans la course de la mondialisation.
Et enfin, nous étudierons au cas par cas les différents secteurs
industriels qu’elle a su particulièrement bien développer et qui
sont désormais devenus des points faits dans notre économie et
ses faiblesses.
Aux lendemains du premier choc pétrolier, la politique menée par
les premiers ministres successifs sous la présidence de Valérie
Giscard d’Estaing ( Jacques Chirac et surtout Raymond Barre) est qualifié
de "libéral interventionnisme " puisqu’en effet les pouvoirs
publics se désengagent assez fortement de l’économie, et en particulier
de l’industrie.
Le résultat de cette politique est un renforcement de l’industrie de
pointe, fortement privilégiée par de nombreuses et importantes
commandes publiques, mais un relatif abandon du reste de l’économie.
Ainsi la France réalise jusqu’en 1981 une faible modernisation de ses
structures, les filières ne sont pas clairement définies et organisées
de façon cohérente, les découvertes à la pointe
de la technologie ont des difficultés à parvenir jusqu’aux entreprises
qui en auraient besoin pour réaliser des gains de productivité
(exemple de la conception assistée par ordinateur CAO).
Ainsi l’industrie française n’est pas encore très bien organisée,
les structures sont encore trop traditionnelles, on ne compte pas assez de firmes
multinationales d’origine française et l’essentiel de l’activité
industrielle demeure encore très engagée, concentrée sur
Paris.
Durant les années 80, face à la concurrence étrangère
croissante, l’industrie française va se moderniser en passant d’une mécanisation
à l’américaine (la technique du taylorisme-fordisme) au modèle
plutôt japonais (le toyotisme) en gérant ses stocks à flux
tendus, par une reconversion des OS… spécialisant chaque usine au
maximum et faisant circuler les marchandises à flux tendu entre ces usines
pour être le plus rentable, le plus efficace possible.
C’est toute la conception de l’entreprise qui évolue : le personnage
central était autrefois le fondateur puis remplacé par le gérant
(ex : Jacques Calvet dans le groupe PSA) puis le banquier (Lagardère).
A un échelon moins élevé, l’ingénieur est remplacé
par un manager comme chef d’équipe.
L’industrie française prend progressivement conscience de l’importance
de l’aspect commercial.
En effet, alors que la production française avait une assez bonne réputation
à l’échelle mondiale, elle soufrait cependant de la méconnaissance
des marchés étrangers, d’une inadaptation à la demande
étrangère ou plus simplement de mauvaise compréhension
de la langue !
Elle va tenter, prise en tenaille par les NPI aux coûts de main-d’œuvre
très faibles et le reste de l’OCDE qui réalisait des produits
de plus ou moins haute technologie, de pratiquer elle aussi une politique des
créneaux : production limitée à haute valeur ajoutée
qui ne souffre pas encore de concurrence.
Les industries vont, de plus, recentrer leurs activités sur leurs spécialités
pour gagner encore en efficacité (exemple : Rhône Poulenc libéré
de sa chimie lourde) ce qui n’empêche pas ensuite de telles entreprises
de s’associer si elles n’ont pas des activités voisines.
D’autre part, le prix très lourd pour la recherche et le développement,
pour toujours être à la pointe devenant écrasant, le tissu
industriel subit lui-aussi une mutation : les grosses entreprises ont de plus
en plus souvent recours à des sous-traitantes, ce qui tisse un réseau
de compétence et permet de répartir les dépenses en R&D.
Enfin, toujours dans cette optique de recherche de gains de productivité
à tous prix, les firmes industrielles ont désormais recours aux
délocalisations dans des pays où le coût de la main-d’œuvre
est beaucoup plus faible, c’est à dire dans les NPI ou autres PED.
Ce qui a des conséquences sociales désastreuses (+2 millions de
chômeurs entre 1976 et 1993 : dont 167 000 entre 1976 et 1983 dans le
secteur du textile et de l’habillement et 215 000 personnes sur la même
période dans la construction automobile, la sidérurgie, le travail
des métaux, l’équipement industriel, la fonderie et les machines-outils.
Avec l’arrivée des socialistes en 1981, pour relancer
l’économie et en particulier l’industrie qui avait connu un véritable
tremblement de terre depuis 1974, François Mitterrand lance une vaste
vague de nationalisation de l’économie touchant tous les secteurs clé
de l’économie, en particulier l’industrie : Thomson, la CGE, Rhône
Poulenc, Péchiney, Matra, Dassault… ce qui présentait un
double intérêt : relancer en la contrôlant l’industrie et
limiter le chômage.
Cependant à contre-courant du reste de l’OCDE et en raison de son prix
exorbitant cette politique est rapidement interrompue dès 1983. Elle
présentait des difficultés majeures :
Comment augmenter le capital de ces entreprises nationalisées pour les
moderniser ?
Et ainsi à terme, les privatisations semblaient d’ores et déjà
inéluctables : les premières arrivèrent en 1986.
Tirons un bilan de ces nationalisations :
Elles ont permis à l’industrie française de simplifier ces structures
en ne laissant subsister qu’une seule (voir 2 au maximum) grandes entreprises
par secteur d’activité (en raison de leur ancien rôle de monopôle)
on évite ainsi les luttes intestines après les re-privatisations
( à l’exception de Matra et Dassault).
De plus par un jeu de mécano, l’Etat a spécialisé
chaque grosse entreprise, recentrant son activité là ou elle était
la plus efficace, la plus rentable (ex : Péchiney libéré
de sa chimie lourde et recentré sur sa spécialité : l’aluminium)
Ce qui sont autant de forces pour l’industrie française
unifiée, renforcée.
Enfin, lors des 2 vagues majeures de privatisations (1986/88 et 1993/95), Edouard
Balladur dans sa fonction de ministre de l’économie puis de 1er ministre
a privatisé ces entreprises par un tour de table de gros actionnaires.
Choisissant ainsi de réaliser une industrie en circuit fermé,
ne laissant pas de prises aux concurrents étrangers désireux de
racheter nos entreprises.
Système qui s’est avéré très efficace au début
mais qui en raison de critiques provenant de Bruxelles a dû s’assouplir
et perdre de son efficacité et qui risque d’exposer nos entreprises à
des OPA si la conjoncture boursière le permet. Ce n’était pas
encore le cas jusqu’en 1995.
L’ouverture de l’industrie française à la mondialisation s’est
déroulée en deux étapes :
un " échauffement " d’abord à l’échelle de la
CEE qui elle même s’est agrandie durant cette période (Grèce
en 1981, Espagne puis Portugal 1986 et Autriche, Finlande, Suède en 1995).
L’intensification des échanges de produits industriels à l’échelle
européenne s’est avérée préparer la France à
la concurrence mondiale.
Avant le premier choc pétrolier, le président Georges Pompidou
entre-autres encourageaient une internationalisation de l’industrie française
mais avec les chocs pétroliers, le mouvement s’était arrêté.
Par des mesures monétaires, elle rendait ses productions plus compétitive,
mais il ne s’agissait que d’une " tricherie ", une compétitivité
feinte.
Avec Bérégovoy et sa politique du franc fort (destinée
d’abord à des enjeux européens), il n’est plus question de pratiquer
des dévaluations compétitives, l’essor des exportations française
se justifie désormais par une compétitivité réelle
de l’industrie.
Etudions enfin la structure même de l’industrie française.
Longtemps talon d’achille de notre balance commerciale, elle s’améliore
progressivement et devient positive pour la première fois en 1992 , tendance
qui va se poursuivre jusqu’à nos jours.
Les principaux points forts de l’industrie française sont :
- l’automobile, qui permet de dégager d’importants excédents
commerciaux, au prix de licenciement massifs, avec les 2 principales firmes
: Renault et PSA
- l’aéronautique et l’aérospatial, Airbus signe
plus de contrat que le géant Boeing !
- la technologie du nucléaire civil
- l’armement mais l’excédent tend à diminuer
- le matériel électrique et l’électronique
professionnel
- le matériel ferroviaire (TGV).
Les points faibles de l’industrie française :
- certains créneaux tels que les tronçonneuses
alors que l’on dispose d’une des plus grandes forêts d’Europe !
- les mobylettes et motos (japonaises ou américaines).
- les machines-outils et le matériel de précision
(importés d’Allemagne).
Il faut nuancer l’apparent triomphe de l’industrie française
car elle reste encore très dépendante à l’égard
des grands contrats avec d’autres états par l’entremise du gouvernement
français (elle signe moins de contrats "en privée "
que l’Allemagne qui n’hésita pas à recevoir, en échanges,
des matières premières lors de contrats avec les PED. Mieux organisée,
l’industrie allemande décroche plus de contrats que son homologue française.
Et la quasi-totalité de l’excédent industriel français
est réalisé par une poignée de très grandes entreprises.
Le tissu de PME, PMI ne semble pas encore prêt à affronter la mondialisation.
Ainsi nous avons dégagé que la politique industrielle menée
en France depuis 1974 avait certes une efficacité puisque notre industrie
s’est bouleversée en 20 ans pour devenir rentable, avec une productivité
tout à fait acceptable lui permettant d’affronter la concurrence dans
un espace de plus en plus mondialisé.
Et ainsi on a observé un renversement complet des mentalités frileuses
en début de période, timorée à l’égard de
la concurrence étrangère et qui désormais se réjouit
de voir s’installer des usines de concurrents à notre industrie dans
des zones de reconversion (usine Toyota) ce qui est symptomatique du passage
d’une industrie fragile et donc frileuse, à une industrie battante.
Désormais, la balance commerciale française est devenue structurellement
positive puisque la tendance esquissée en 1992-93-94 s’est confirmée
jusqu’à un doublement même de cet excédent.
Ainsi, un bouleversement complet des structures des industries
françaises, de leurs méthodes de production lui ont permis d’entrer
favorablement dans la mondialisation. Encore lui reste t-il à ne jamais
se contenter de ce bon départ, pour rester dans la course il lui faudra
lutter sans relâche puisqu’elle réalise les 4/5 de ses échanges
avec le reste de l’OCDE qui ne cesse de rechercher de l’efficacité.