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En 1870, c’est-à-dire à la veille de la crise
se poursuivant jusqu’en 1895-96 et ultérieurement nommée "
Grande Dépression ", les pays d’Europe occidentale, seuls véritables
puissances industrielles, sont incontestablement le centre commercial, financier,
industriel…du monde. En 1914, si l’Europe domine toujours la planète
après avoir colonisé la plupart des pays africains et asiatiques,
une nouvelle puissance industrielle : les Etats-Unis, récemment indépendants,
viennent contester cette toute puissance au lendemain des années 1896-1914,
ultérieurement nommées, avec nostalgie, la " Belle Epoque ",
alors même que des changements s’effectuent dans la hiérarchie des
puissances européennes. Nous analyserons premièrement l’évolution
de la hiérarchie des puissances industrielles mondiales entre 1870 et 1914,
puis celle des relations de ces puissances avec le reste du monde.
En 1870, l’Europe occidentale est alors au centre du monde,
sur tous les plans : industriel, commercial, financier… Les principaux
pays qui la composent : Royaume-Uni, France, puis Allemagne… sont à
la fois des concurrents dans la production et l’exportation de biens manufacturés
(l’acier par exemple), mais aussi des partenaires commerciaux. Le Royaume-Uni,
première puissance mondiale à cette date, excelle dabs différents
secteurs comme le commerce maritime ou le secteur financier, en effet, la City
londonienne est la première place financière mondiale. La domination
financière européenne est telle que l’on a coutume de dire que
l’ " Europe est le banquier du monde ".
Cependant, à l’intérieur même de l’Europe occidentale, les
pays ne sont pas tous au même niveau de développement. En effet,
si le Royaume-Uni domine, suivi de la France, l’Allemagne par un phénomène
de rattrapage, récupère son retard. En effet, l’ouverture des
frontières commandée par la signature du traité franco-britannique
va affaiblir profondément ces deux pays. La France, traditionnellement
agricole mais cependant peu modernisée dans ce secteur ne va pas pouvoir
affronter la concurrence céréalière des Pays Neufs par
exemple, de plus, l’épidémie des vignes due au phylloxéra
oblige les vignerons français à importer des plants de vignes
américains, et la mauvaise qualité de leurs récoltes cause
des problèmes de surproduction. L’agriculture française se trouve
donc en mauvaise situation, tout comme l’industrie, puisque après la
défaite franco-prussienne de 1871, la France se trouve amputée
de ses gisement de fer lorrain, et aussi de l’industrie textile de la région
de Mulhouse. En parallèle, pendant la Grande Dépression, la production
céréalière anglaise diminue de 40%… La situation est
donc difficile pour ces deux pays. L’Allemagne, au contraire, se modernise,
annexe les gisements lorrains, dépasse en 1880 la France pour sa production
d’acier… L’Allemagne est une puissance montante, et même la Grande
Dépression ne fait pas descendre le taux de croissance industrielle au-dessous
de 3%. En 1914, la France est distancée par l’Allemagne et le Royaume-Uni
qui est un pays paradoxal, car précocement industrialisé, mais
ayant certaines lacunes : une agriculture peu modernisée, une plus faible
concentration de l’industrie que ses pays voisins, des retards en matière
de lois sociales en comparaison avec l’Allemagne et les mesures de Bismarck…
Cependant, la France devance toujours l’Allemagne en matière d’investissement
extérieurs.
La grande particularité de la période étudiée est
la montée en puissance des Etats-Unis. En effet, s’ils ne sont pas encore
industrialisés en 1860-70, ils le sont en 1914.A partir des années
1850, un phénomène d’immigration sans précédent
s’y est développé : l’Europe est une terre d’immigration. Cette
population arrivant sur le Nouveau Monde est en général jeune,
peu qualifiée et très décidée à travailler,
à gagner de l’argent. Cette main d’œuvre permet à l’industrie
américaine de baisser les salaires pour les nouveaux arrivants surtout,
et ainsi des gains de productivité. C’est grâce à l’industrie
métallurgique qui croît formidablement des suites de l’explosion
des chemins de fer que les Etats-Unis vont devenir une puissance industrielle.
En 1914, ils produisent autant d’acier que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne
réunis, c’est-à-dire 35% de la production mondiale. Ce formidable
essor est dû non à sa main d’œuvre puisqu’elle reste insuffisante
et donc plus chère qu ’ en Europe, mais grâce aux innovations réalisées
par les méthodes de production. En effet, un ingénieur américain
: Taylor, met au point une nouvelle stratégie de production permettant
d’améliorer la productivité : il s’agit du travail à la
chaîne,… Cette nouvelle méthode appelée organisation
scientifique du travail est appliquée dans les usines FORD dès
1905 et permet d’embaucher des salariés peu qualifiés, et aussi
de baisser le coût de la production. Cette nouvelle organisation du travail
s’accompagne d’un phénomène de modernisation, c’est-à-dire
de " machinisation " : on remplace les ouvriers par des machines pour
gagner en productivité, et aussi d’un phénomène de concentration
industrielle : c’est-à-dire que les entreprises de même niveau
(concentration horizontale) ou complémentaires (concentration verticale)
se regroupent, elles peuvent rester indépendantes (pools) ou au contraire
être dirigées par les mêmes trustees (trusts), dans le but
de mieux résister à la concurrence et de gagner en productivité.
C’est notamment le cas de la Carnegie Steel qui regroupe diverses entreprises
: mines de fer, hauts-fourneaux, laminoirs… Grâce à ces efforts,
les Etats-Unis deviennent une véritable puissance industrielle, et alors
que le pays était de tradition protectionniste, il commence dès
le début des années 1890 à s’intéresser aux investissements
financiers à l’étranger.
En 1914, les Etats-Unis sont donc un pays nouvellement industrialisé.
Cependant, il n’a pas encore dépassé le Royaume-Uni dans certains
domaines, par exemple : les Etats-Unis restent très dépendants
financièrement de l’Europe (la balance des invisibles américaine
reste déficitaire), Londres reste la première place financière
mondiale, et la puissance commerciale américaine reste inférieure
à celle des pays d’Europe Occidentale. Si les Etats-Unis sont en 1914
une vraie puissance industrielle, ils ne sont pas encore la super-puissance
qu’ils deviendront.
Finalement, en 1914, l’on peut distinguer quatre grandes puissances industrielles
: France, Royaume-Uni, Allemagne et Etats-Unis. La France paraît être
la puissance la moins forte de ces quatre pays, le Royaume-Uni qui reste très
puissant est de plus en plus menacé par la montée fulgurante de
deux nouvelles puissances : l’Allemagne, et surtout les Etats-Unis.
Si ces quatre pays industrialisés dominent la planète,
ils ne vivent pas en autarcie, bien au contraire. Voyons maintenant quelle est
l’évolution de leurs relations économiques avec le reste du monde.
Le reste du monde rassemble les colonies, les semi-colonies,
les puissances montantes comme la Russie ou le Japon et les " pays neufs
" (Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Union Sud Africaine, Chili
et Argentine), pays de peuplement européen comportant des ressources
naturelles immenses et encore sous-exploitées. Ce groupe de pays constitue
la périphérie du monde, périphérie qui n’est cependant
pas négligeable. Les années 1870 à 1914 sont caractérisées
par une intensification globale des échanges internationaux dans les
domaines commerciaux, financier… qui se vérifie par la part du PNB
des puissances dominantes accordée aux investissements extérieurs,
par exemple 3-4 voire 5% en 1913. Ces chiffres restent inégalés
et cela même pendant les " Trente Glorieuses ". Il faut cependant
nuancer ces statistiques puisque entre 1870 et 1914, les puissances européennes
(à l’exception du Royaume-Uni) commerçaient principalement entre
pays européens. Par ailleurs, les relations économiques des puissances
industrielles avec le reste du monde doivent être distinguées selon
le type de pays. (Colonies, pays neufs….
Les relations des puissances industrielles (c’est-à-dire les puissances
européennes puisque les Etats-Unis sont protectionnistes à cette
date) avec les pays neufs sont très caractéristiques : le pays
neuf produit, puis exporte ses produits primaires à l’Europe qui en échange
exporte des produits manufacturés (acier pour la pose de rails lors de
l’extension des chemins de fer par exemple). Les pays neufs, de par leur configuration,
ont une très bonne productivité agricole : des terres immenses
permettant avec une économie d’échelle d’exporter à l’Europe
à très bas prix. C’est notamment le cas des laines des moutons
australiens, des céréales américaines (en 1870, les Etats-Unis
ne sont pas vraiment un pays industrialisé, mais plutôt un pays
neuf en voie d’industrialisation). La balance commerciale de ces pays est très
largement excédentaire alors que sa balance des invisibles est déficitaire
: ces pays dépendent financièrement de l’Europe Occidentale qui
a elle la balance des paiements opposée. Ces pays exportent énormément
à l’Europe de 1860 à 1892, jusqu’à 19% de la production
de blé en France par exemple. Ceci est la conséquence de l’ouverture
des frontières européennes commandée par le traité
franco-britannique de 1860. Une telle intensification des échanges cause
en Europe une baisse vertigineuse des prix, une baisse du revenu des agriculteurs,
une baisse de la consommation, de la croissance… (" la crise nourrit
la crise "). Finalement, les puissances européennes ferment leurs
frontières : Tarif Méline en France en 1892, et ainsi en dix ans,
les importations céréalières passent en France de 19% à
3% de la production française. A partir de cette date, les pays neufs
exportent moins à l’Europe, et subissent à leur tour la crise
amorcée en Europe. De plus, les pays industrialisés investissent
leur épargne dans des investissements de porte-feuille pour l’Europe,
traduisant ainsi le surplus de leur épargne, ou direct pour les Etats-Unis,
à partir de 1890, traduisant ainsi le dynamisme de leur économie.
Ces liens financiers, commerciaux, voire démographiques sont les liens
favorisés par le Royaume-Uni, premier investisseur à l’étranger
mondial.
Les relations économiques entre les puissances industrielles et leurs
colonies sont elles aussi particulières voire même surprenantes
puisque si à partir des années 1870 les Occidentaux se ruent sur
l’Afrique et l’Asie pour le " partage de l’Afrique " par exemple,
les échanges commerciaux et financiers entre les métropoles et
les colonies sont faibles, surtout pour la France, l’Allemagne et les Etats-Unis.
En 1913, les Etats-Unis attribuent un pour cent de leurs investissements extérieurs
à leurs colonies. Pour ces trois pays, les échanges commerciaux
et financiers resteront faibles pendant toute la période étudiée.
Le Royaume-Uni au contraire privilégie les échanges avec ses colonies
(pays neufs ou Inde, …) , puisque selon Joseph Chamberlain, homme politique
anglais de la fin du XIXème : " L’empire, c’est le commerce ".
Cependant, comme pour les pays neufs, les Occidentaux vont introduire le chemin
de fer dans leurs colonies ou les semi-colonies comme la Chine, l’Egypte qui
sont dominées mais pas colonisées officiellement. Le chemin de
fer dès les années 1840 rapproche la métropole de la colonie
en favorisant les échanges commerciaux, échanges qui restent malgré
tout relativement faibles.
Les derniers partenaires économiques des puissances industrielles sont
le Japon et la Russie. En effet, en 1914, ces deux pays sont encore des puissances
montantes en voie d’industrialisation, et non pas des puissances industrielles
complètes. D’ailleurs, ce n’est qu’à partir de 1868 avec l’arrivée
au pouvoir de l’empereur Matsuhito que le Japon entre dans l’ère industrielle,
dans l’ère du Meiji. Ces pays sont différents des précédents
car, contrairement aux colonies ils importent des biens d’équipements,
preuve d’un début d’industrialisation, et n’exportent pas que des matières
premières. La Russie, par exemple, entretient des relations particulières
avec l’Europe, et la France en particulier : si la France n’importe ou n’exporte
que très peu de marchandises à la Russie, en revanche elle place
29% de ses investissements extérieurs dans les célèbres
bons russes. Les relations financières entre la France et la Russie sont
donc très importantes, et il en est de même avec la Turquie : la
France commerce très peu avec et place tout de même 9% de ses investissements
extérieurs en Turquie. Il n’y a donc pas de relation bien définie
entre relations commerciales et financières entre les puissances industrielles
et les pays dominés. Ces relations évoluent en fonction du dynamisme
des économies occidentales : plus leur croissance est forte, plus ils
investissent, et inversement, les périodes de la Grande Dépression
et la Belle Epoque traduisant l’évolution fluctuante des investissements
extérieurs occidentaux.
Finalement, les économies dominantes ont des relations différentes
avec le reste du monde selon leur nature, et selon le dynamisme de leur économie.
Les conséquences de ces relations varient en fonction du temps : pour
les pays neufs, l’élaboration d’un réseau ferroviaire cohérent,
d’échanges intensifs avec l’Europe ont favorisé le développement
de ces pays, alors que pour les colonies, l’élaboration d’un réseau
ferroviaire reliant uniquement les exploitations aux ports, la moindre part
d’investissements financiers n’ont pu permettre un début d’industrialisation.
En 1914, l’Europe Occidentale et les Etats-Unis dominent le
monde et ont entretenu un nombre croissant d’échanges d’abord entre eux
puis avec le reste du monde et surtout avec les pays neufs, les colonies ayant
une moindre importance. Ces échanges permettent en partie le développement
ultérieur ou non de pays : le Canada a bénéficié
par exemple de plus d’investissements que l’Union Sud Africaine (qui ne perd
ce nom qu’en 1910) et cela en raison de préférences commerciales
qui s’affichent dès la fin du XIXème (USA/Canada…). 1914
représente donc, à la veille de la première guerre mondiale,
la fin de la domination européenne sur la planète et annonce déjà
la venue d’une nouvelle ère : l’ère américaine.