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Au lendemain de la première guerre mondiale, l’Europe
est détruite, anéantie… Elle a perdu sa place de leader du
monde, et cela au bénéfice des Etats-Unis. En effet, entre 1914
et 1918, les Etats-Unis ont rattrapé leur retard dans les quelques domaines
où ils ne dominaient pas encore. Désormais, le centre du monde n’est
plus Londres, mais New York. Le système monétaire en vigueur en
1919 est celui de " l’étalon or " : les monnaies ont une parité
fixe et peuvent ainsi être échangées contre une certaine quantité
de métal précieux, alors que les Etats-Unis détiennent à
cette date 50% des réserves d’or mondiales. Quelles sont les différentes
stratégies utilisées par les pays industriels pour retrouver leur
puissance dans les années 1920, et comment réagissent-ils face à
la crise internationale de 1929 ?
En Europe, la situation économique de 1919 est évidemment
moins brillante qu’en 1913, cependant, alors que tous les pays d’Europe Occidentale
se retrouvent dans la même situation, c’est-à-dire qu’ils veulent
tous retrouver leur position économique, monétaire, commerciale…
d’avant-guerre, tous ne réagissent pas de la même façon.
Le Royaume-Uni par exemple tien à garder une monnaie forte, puisque par
tradition la livre Sterling était une monnaie de réserve, digne
de confiance pour les investisseurs du monde entier. Il est donc hors de question
pour le Royaume-Uni de dévaluer ou de laisser déprécier
sa monnaie, et c’est vers ce but que toute la politique du pays est tournée,
aux dépends de la production industrielle. En effet, toute l’économie
du pays est affectée par cette politique puisque les prix totaux des
produits britanniques sont supérieurs à ceux des autres où
la monnaie est moins forte : la compétitivité anglaise étant
mauvaise, le Royaume-Uni exporte peu : pour une base 100 en 1913, l’indice d’exportation
de 1929 est de 81.
L’Allemagne, au contraire, adopte la politique inverse. En effet, après
le traité de Versailles, l’Allemagne est non seulement dévastée,
mais aussi rendue responsable de la guerre : elle doit donc payer toutes les
réparations aux autres pays, et notamment à la France. Cette décision
jugée très dure par les Allemands (qui parlent de Diktat) accable
encore plus l’Allemagne qui ne dispose pas suffisamment de moyens de paiements
: l’Allemagne fait donc fonctionner sa " planche à billets ",
c’est-à-dire qu’elle augmente sa masse monétaire, et finalement
le résultat est désastreux : une inflation gigantesque, se traduisant
par un faible degré d’exportation. En effet, les produits allemands ne
sont pas compétitifs puisque leurs prix ont augmenté, et cela
même si la monnaie est très faible : pour une base 100 en 1913,
l’indice d’exportation allemand est de 92 en 1929.
Contrairement à ces deux pays extrêmes qui favorisent soit la monnaie,
soit l’économie, la France reste beaucoup plus modérée.
Son but n’est pas de retrouver la valeur de sa monnaie d’avant-guerre immédiatement,
et comme elle retrouve les provinces très industrialisées que
sont l’Alsace-Moselle, et qu ’elle touche à partir de 1921 les réparations
allemandes, non seulement sa monnaie ne s’effondre pas, mais en plus son économie
n’est pas ralentie. Ce juste-milieu est idéal pour l’exportation et donc
le gain de devises : pour une base 100 en 1913, l’indice d’exportation français
est de 147 en 1929, c’est-à-dire que contrairement à l’Allemagne
et à l’Angleterre, la France a su rattraper son niveau d’exportation
d’avant-guerre, et même le dépasser.
Mais le centre commercial, financier…du monde se situe désormais
hors d’Europe : aux Etats-Unis. Si en 1913 les Etats-Unis étaient débiteurs
nets par rapport à l’Europe, en 1919, ils sont désormais le "
banquier du monde ". La situation entre l’Europe Occidentale et les Etats-Unis
s ’est complètement renversée entre 1913 et 1919 : les Etats-Unis
ont rattrapé tout leur retard à une vitesse fulgurante, et s’ils
n’ont pas encore rattrapé le Royaume-Uni en 1929 en terme de montant
cumulé d’investissements extérieurs mondiaux (33% contre 40%)
les investissements nouveaux des Etats-Unis dépassent largement ceux
de la Grande Bretagne (53% contre 27%). Mais ce rattrapage n’est pas seulement
financier, il est aussi naval et commercial. La balance commerciale américaine
qui était déjà positive devient massivement excédentaire
: la conséquence de tout cela est que les Etats-Unis absorbent tous les
stocks d’or mondiaux et au lendemain de la première guerre mondiale les
réserves de la banque fédérale américaine contiennent
50% des réserves d’or du monde, ce qui traduit l’épuisement en
or des pays européens. En effet, leurs stocks se sont considérablement
amoindris et certains pays d’Europe Centrale n’ont plus du tout d’or : le système
de l’étalon-or ne peut plus fonctionner.
La conférence de Gènes d’avril 1922 règle ce problème
mondial : grâce aux " Gold Bullion Standard " et " Gold
Exchange Standard " , l’or n’est plus utilisé comme une monnaie
intérieure, mais surtout les monnaies fortes : la livre Sterling et le
dollar sont convertibles en or, à taux fixes, c’est-à-dire qu’ils
peuvent servir de monnaies de réserve convertibles. Cette décision
permet au Royaume-Uni d’atteindre son but : retrouver sa parité, mais
cela au prix d’une déflation interne très forte, d’un ralentissement
de la croissance économique et également d’une sur-élévation
de la livre. Finalement la deuxième moitié des années 1920
est assez bonne : la stabilité monétaire est retrouvée,
la croissance économique repartie… Cependant, la menace de la livre
sterling reste entière à cause de sa sur-élévation,
et lorsque dans la fin de cette décennie la croissance économique
française est forte, que ses exportations augmentent… et surtout
que sa monnaie se stabilise en 1928 (franc Poincaré) à un taux
sous-évalué puisqu’au cinquième de sa parité d’avant-guerre,
alors les investisseurs mondiaux convertissent leurs sterlings en francs et
le Royaume-Uni se retrouve déstabilisé. Et cela même si
la Bourse est en pleine croissance, les investissements plus nombreux…
La crise mondiale des années 1930 marque une rupture décisive
dans l’histoire du XXème siècle et les pays étant confrontés
aux mêmes difficultés : chômage, faillites.. les solutions
adoptées diffèrent encore. Par exemple avant 1932, le Royaume-Uni
et l’Allemagne se retrouvent quasiment dans la même situation puisque
tous deux étaient les maillons faibles du système : l’Allemagne
empruntait beaucoup de capitaux américains pour payer les réparations
de guerre et le Royaume-Uni avait une monnaie peu solide et un système
peu fiable : c’est-à-dire qu’il empruntait des capitaux à court
terme pour les prêter à long terme. Le brusque arrêt d’apport
de capitaux américains déstabilise donc immédiatement ces
deux pays, mais leurs réactions sont opposées. L’Allemagne, dirigée
par le chancelier Brüning, adopte une politique protectionniste dès
le 13 Juillet 1931 : il adopte un contrôle des échanges strict,
c’est-à-dire que la monnaie n ’est pas dévaluée, mais qu’elle
doit rester interne au pays, id est que les capitaux allemands ne peuvent quitter
le pays. Le but d’une telle politique est de pouvoir gagner des devises étrangères
en exportant mais sans importer, et cela sans dévaluer le mark. Mais
sans dévaluer, les produits allemands ne sont pas très compétitifs.
Au contraire, le Royaume-Uni ouvre ses frontières : il ne baisse pas
son taux de change, mais déprécie sa monnaie, renonçant
ainsi à sa convertibilité en or : c’est la politique adoptée
le 20 septembre 1931. Par ailleurs , pour se protéger de la crise, le
Royaume-Uni se dote d’un double réseau : la zone Sterling, et le marché
de préférence impériale, et cela grâce aux accords
suivants : Import Duties Act en février 1932 et les accords d’Ottawa
en août 1932, signés avec la plupart des pays du Commonwealth.
La zone sterling implique que les pays concernés fixent leur monnaie
sur la valeur de la livre et le marché de préférence impériale
(qui lui inclut le Canada) instaure des tarifs douaniers préférentiels
entre les pays membres. Ainsi, la dépréciation de la livre n’a
pas eu trop d’impact sur le Royaume-Uni, et cela grâce au système
des balances Sterlings qui consistent à payer les pays concernés
ayant une balance commerciale positive avec le Royaume-Uni avec des produits
anglais. Ainsi l’économie britannique a pu être dynamisée.
Cependant, le Royaume-Uni est le seul pays a avoir globalement repoussé
le protectionnisme. Les Etats-Unis, premiers touchés par la crise, dirigés
par le républicain HOOVER ont décidé de baisser à
de nombreuses reprises le taux d’escompte en espérant une reprise éventuelle
de l’économie dès le début de 1930, mais le contraire s’étant
réalisé : baisse des prix, de la production industrielle…
Hoover adopte des mesures protectionnistes : le tarif Smooth Hawley en juin
1930.
A cette date, la France n’est pas encore touchée par la crise puisqu’elle
est protégée jusqu’en 1931 par le franc Poincaré notamment,
mais rapidement elle adoptera des mesures protectionnistes à son tour
(entre 1932 et 1936) comme le contingentement des importations, la multiplication
des accords de clearing à l’étranger, c’est-à-dire que
la France s’engage à importer telle ou telle marchandise à condition
que le partenaire en fasse de même.
Finalement, en 1932, toutes les grandes puissances industrielles
sont touchées, et leurs politiques diffèrent. Considérons
l’exception autoritariste allemande. En effet, la situation en 1931-32 est si
catastrophique à l’échelle mondiale (25% de la population active
américaine est au chômage…) que l’Allemagne cède à
l’autoritarisme : Hitler gagne les élections et arrive au pouvoir en
janvier 1933. Dès lors, la politique allemande adoptée contre
la crise est accentuée : renforcement du contrôle des échanges…
et comme la peur de l’inflation est énorme (les souvenirs de l’immédiat
après-guerre sont encore très présents) Hitler ne dévalue
pas le Reichsmark mais SCHACHT, son ministre de l’économie, instaure
un système ingénieux permettant à l’Allemagne d’augmenter
sa masse monétaire sans dévaluer sa monnaie, la monnaie supplémentaire
servant au réarmement… : l’Etat commandait aux industriels des armes
par exemple, et devait les payer quelques mois plus tard, délivrant cependant
une traite à ces industriels, traite qui était endossée
puis qui servait en réalité de monnaie parallèle. Ce système
a pu fonctionner uniquement grâce à la grande confiance des industriels
en Hitler et n’a pu aboutir qu’à la guerre. En parallèle, le système
allemand pour rester compétitif a dû réaliser une déflation
occasionnelle sur certains produits, afin de gagner des devises. Le système
nazi est donc d’une hypocrisie extrême : on ne dévalue pas officiellement,
mais la réalité est autre, et surtout il ne peut aboutir qu’à
la guerre.
Les Etats-Unis qui n’avaient pas de manque d’or ont quand même laissé
se déprécier le dollar, le 19 avril 1933, dans le cadre de la
nouvelle politique menée par le démocrate Roosevelt, afin d’augmenter
les moyens de paiement et de relancer le marché intérieur. Après
le Royaume-Uni en 1931, les Etats-Unis renoncent à la convertibilité
du dollar : le système monétaire mis en place à Gènes
en 1922 est mort. Une conférence est donc organisée à Londres
le 12 juin 1933, son but est de relancer le commerce mondial, et de revenir
à un système de parité fixe : c’est un échec total,
l’Allemagne nazie y est hostile car vit en autarcie, les Etats-Unis viennent
de suspendre leur convertibilité et ne souhaitent pas y renoncer et le
Royaume-Uni tient à son marché préférentiel et à
sa livre dépréciée. Seul un bloc de dissidents s’accorde,
c’est le Bloc Or : France, Belgique, Suisse, Pays Bas, Pologne… Ces pays
souhaitent le retour à la convertibilité, mais il se dissout car
étant trop faible : la Belgique en 1935 et la France avec l’arrivée
du front Populaire au pouvoir doit renoncer au franc Poincaré le premier
octobre 1936. Finalement, la conférence de Londres est un véritable
échec parce que tous les pays ont préféré défendre
leurs intérêts particuliers et le système monétaire
restera instable jusqu’à la conférence de Bretton Woods, en juillet
1944. Et justement, analysons les solutions adoptées par un pays qui
a préféré défendre ses intérêts internes
: les Etats-Unis.
Le démocrate Roosevelt est élu président et prend son mandat
en janvier 1933 : il met en place une politique très célèbre
: le New Deal. Le New Deal consiste à plus impliquer l’Etat dans l’économie,
et s’il n’a commencé qu’à partir de cette date-là, c’est
qu’il a fallu procéder à une pratique repoussée par un
Etat libéral : le déficit budgétaire. En effet, Roosevelt
procède à une politique coûteuse ayant pour but de redonner
confiance aux investisseurs et qu’enfin ils sortent de leur thésaurisation
destructrice, car empêchant tout investissement et toute croissance économique.
Pour cela, Roosevelt procède à une politique de grands travaux
afin de résorber le chômage, il y a une volonté d’augmenter
les salaires, augmenter le nombre de fonctionnaires pour relancer la consommation.
En parallèle, l’Etat américain subventionne les banques pour les
aider à faire-face. Pour financer cette politique, Roosevelt fait appliquer
le " Revenue Act ", c’est-à-dire qu’il taxe les plus riches
pour redistribuer aux plus pauvres qui eux ont une large marge de consommation.
Cette politique est très coûteuse et Roosevelt hésite à
utiliser la pratique du déficit budgétaire, mais après
1935 et l’approbation du Brain Trust, il n’hésite plus. Cette politique
s’inscrit dans la philosophie que Keynes a développé dans son
livre : " Traité général de l’emploi, de la monnaie
et de l’intérêt " paru peu après, en 1936. La politique
de Roosevelt porte plus ou moins ses fruits : en janvier 193, il peut stabiliser
le dollar, et le chômage baisse sensiblement. Par ailleurs, l’Etat s’engage
de plus en plus dans divers domaines : la banque, l’agriculture et l’industrie.
En effet, la collaboration des Etats-Unis avec les banques est devenue plus
étroite et l’Etat s’en occupera de plus en plus. Par ailleurs, grâce
à la loi AAA (Adjustment Agricultural Act) adoptée en mai 1933,
l’Etat américain s’engage à acheter les excédents de la
production pour éviter les désagréments dus à la
baisse des prix. Et enfin, la loi NIRA (National Industrial Recovery Act) de
mai 1933 aboutit à un investissement plus grand de l’Etat dans l’industrie
: c’est la suspension des lois précédentes dites " Anti-Trusts
". L’on peut remarquer une implication plus grande des Etats dans tous
ces secteurs dans d’autres pays également (France, Allemagne…).
Finalement, la politique de Roosevelt a t-elle permis aux Etats-Unis de sortir
de la crise ? Le bilan reste mitigé puisqu’effectivement la croissance
est revenue… mais il semble que le secteur public ait du mal à relancer
l’investissement privé : en 1938 par exemple, Roosevelt limite sa politique
de redistribution et c’est toute la production qui ralentit, et par ailleurs
le chômage reste relativement élevé même en 1939,
la thésaurisation se poursuit…
La politique adoptée en France est similaire, surtout après l’élection
en juin du Front Populaire : une politique de redistribution, d’implication
de l’Etat dans l’économie…et une pratique évidente du déficit
budgétaire. Les résultats obtenus sont pourtant encore mitigés
: les secteurs que l’on a tenté de raviver sont dépassés…
la reprise y est encore plus dure qu’aux Etats-Unis.
Le Royaume-Uni n’a pas eu besoin d’appliquer de telles politiques : son double
réseau (zone sterling et matché préférentiel) l’a
bien protégé de la crise. Finalement le Japon et le Royaume-Uni
sont sûrement les deux seules exceptions qui ont mieux vécu les
années 1930 que les années 1920.
Le monde de 1939 n’est plus bipolaire comme en 1919, partagé
entre Londres et New York : les situations économique, financière…des
pays sont variables puisque le Royaume-Uni semble ne pas avoir trop souffert
contrairement aux Etats-Unis et à la France pour qui le bilan final reste
encore plus mitigé. De son côté, l’Allemagne a bien su relever
son économie, mais cette reprise s’effectue dans un cadre totalitaire
et est uniquement basée sur le réarmement, l’hypocrisie du système…ce
qui ne peut aboutir qu’à la guerre. Il paraît évident que
les pays ont pendant des années moins collaboré entre eux : le
commerce mondial s’est effondré (baisse de 60% entre 1929 et 1935) et
ainsi les tensions entre Etats ont pu se développer, annonçant
ainsi une nouvelle guerre. Finalement, à la veille de 1939, le système
capitaliste libéral se voit remis en question, notamment à cause
de la question du rôle de l’Etat… mais la guerre brisera pour quelques
années ces considérations et ramènera les Etats-Unis au
niveau atteint en 1919.