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Le monde en 1950 achève sa reconstruction après 
le traumatisme de la seconde guerre mondiale ; l’Europe et le Japon bénéficiaient 
pour cela d’aide américaine (plans Marshall et Dodge). Mais déjà 
d’autres difficultés s’ajoutent : la France élabore péniblement 
la constitution de la quatrième république et doit faire face aux 
revendications puis aux guerres coloniales ; l’Allemagne est scindée en 
deux depuis 1949 et Berlin éclaté… Par ailleurs, on assiste 
aux débuts de la Guerre Froide opposant l’universalisme américain 
au russe se traduisant notamment par la guerre de Corée de 1950-1953. Cependant, 
1950 marque surtout le début d’une croissance formidable et durable pour 
les pays développés qui précède les difficultés 
apparaissant à partir de 1973. Dans cette réflexion, nous analyserons 
l’évolution du rapport entre croissance et emploi dans les pays développés 
depuis 1950 en trois étapes successives afin de déterminer si ces 
deux notions évoluent ensemble mécaniquement : les années 
1950-73, puis 1973-82 et enfin les années 1982 à nos jours.  
  Les années 1950-73 se caractérisent par un développement 
  productif, social… formidable, à tel point que Jean Fourastié 
  les a qualifiés de " 30 Glorieuses ", en référence 
  aux trois journées révolutionnaires de 1830. Pendant ces " 
  30 Glorieuses ", l’on a observé des taux de croissance très 
  élevés et durables à l’échelle planétaire 
  dans les pays développés, et cela même si on note des disparités 
  entre les différents pays : les Etats-Unis et le Royaume -Uni connaissent 
  une croissance relativement modeste, avoisinant les 3%, l’Europe continentale 
  (France, Italie, Allemagne) observe des taux de croissance proches de 5-6%, 
  et le Japon, lui, dépasse les 10-11%n dans ses meilleures années 
  : on parle de " miracle japonais ", de " miracle allemand ", 
  et même de " miracle français ".
  En parallèle, l’on observe dans ces mêmes pays des bouleversements 
  dans le monde du travail. En effet, si dans l’immédiat après-guerre 
  le chômage pouvait paraître inquiétant, il ne l’est plus 
  pendant les 30 Glorieuses : la demande est telle que l’offre ne peut pas toujours 
  la satisfaire, et l’on doit parfois même faire appel à des travailleurs 
  étrangers pour combler ce manque. Les causes de l’accroissement de la 
  demande sont multiples : phénomène du Baby-Boom en France et aux 
  Etats-Unis… Pour enrayer le phénomène d’inflation causé 
  par ce déséquilibre, les pays développés doivent 
  relancer leur économie, leur production de biens d’équipement 
  sacrifiés pendant la guerre au profit de l’armement. Ces mesures sont 
  cependant insuffisantes et la main d’œuvre manque : les pays développés 
  doivent faire appel à l’étranger, et notamment à leurs 
  colonies. Ces années sont celles du " plein-emploi ", et même 
  si les Zaibatsus japonaises ont été démembrées au 
  lendemain de la guerre, grâce au Miracle, l’emploi y est stable, et souvent 
  à vie.
  Par ailleurs, l’on note une grande évolution dans la répartition 
  sectorielle même de l’emploi : le secteur primaire rassemble de moins 
  en moins d’employés : prenons l’exemple de l’Europe des 9 en 1958 : l’agriculture 
  autrefois très largement majoritaire ne rassemble plus que 18.5% de l’emploi 
  civil, contre 40.3% pour le secteur industriel et 41.2% pour les services. L’on 
  commence donc à voir apparaître une nouvelle ère : l’ère 
  du secteur tertiaire.
  L’emploi se caractérise pendant cette période par un très 
  fort phénomène de mécanisation, et cela dans divers secteurs 
  : agriculture, et industrie. La conséquence immédiate à 
  cette " déshumanisation " de la production est un formidable 
  gain de productivité. Dans le domaine agricole par exemple, alors que 
  l’on récoltait environ 15 quintaux de blé par hectare cultivé 
  en début de période, l’on en obtient 42 en 1970. Ainsi l’on comprend 
  quelles sont les causes du recul du secteur agricole dans la population active 
  des pays développés. Le secteur industriel s’accroît pendant 
  cette période, même s’il a tendance à baisser dans ses dernières 
  années : prenons l’exemple de la France : le secteur secondaire rassemble 
  34% de la population active en 1946, 39.6% en 1968, et 38.5% en 1975.
  Ces gains de productivité sont d’autant plus remarquables que la tendance 
  à l’échelle mondiale est à la limitation du temps de travail, 
  à l’image de la France qui allonge la durée des congés 
  payés… Les emplois demandent de moins en moins de main d’œuvre, 
  mais de plus en plus de qualifications, alors les études s ’allongent, 
  et comme la retraite est avancée, l’activité des travailleurs 
  est limitée. Par ailleurs les 30 Glorieuses marquent l’accélération 
  des réformes sociales : allocations chômage, maladie… et dans 
  le domaine de l’emploi, l’on note la création d’un salaire minimum garanti 
  : le SMIG en février 1950. L’on doit cependant préciser que ces 
  changements dans le domaine de l’emploi sont dus principalement à l’instauration 
  du " Welfare State ", il n’est donc pas appliqué dans tous 
  les pays développés : le Japon, lui, adopte la stratégie 
  de " Economy First ", c’est-à-dire que les gains de productivité… 
  doivent être prioritaires par rapport au progrès social.
  Le rapport entre croissance et emploi est également présent dans 
  une nouveauté dans le monde du travail : le fordisme. Cette nouvelle 
  politique d’entreprise vise à répartir équitablement la 
  valeur ajoutée, c’est-à-dire que des proportions sont établies 
  : 2/3 de la valeur ajoutée est destinée aux salaires des employés, 
  et 1/3 pour les investissements de l’entreprise. Ces quotas ont permis aux entreprises 
  de se développer et aux employés de pouvoir consommer et ainsi 
  de faire fonctionner l’économie.
  La croissance et l’optimisme qu ’elle a engendré a également permis 
  d’accroître les efforts de recherches scientifiques (fondamentale et appliquée). 
  Ainsi ,’on explique la création de la NASA en 1958, et la découverte 
  de l’ADN la même année.
  Ainsi les 30 Glorieuses ont permis d’accroître la production, mais aussi 
  en parallèle le pouvoir d’achat des travailleurs. On a donc assisté 
  à un accroissement de niveau de vie extraordinaire, les familles se sont 
  progressivement équipées en biens de consommation : télévision, 
  automobile…favorisant ainsi le développement de ces secteurs industriels. 
  Par ailleurs avec l’avènement du Baby Boom, l’on a vu apparaître 
  de nouveaux besoins qui ont développé de nouveaux secteurs économiques 
  : industrie du disque, développement des loisirs… Ainsi le cercle 
  vertueux a été engagé.
  Cependant, l’on ne peut nier qu ’une telle évolution a engendré 
  des réticences, des pensées conservatrices, puisque certains ont 
  été " les oubliés de la croissance ". En effet 
  les petits commerçants, les petits agriculteurs, ont été 
  contraints à la modernisation ou ont dû disparaître. Ainsi 
  l’on a vu apparaître certains mouvements opposés à la modernisation, 
  l’ouverture des frontières, la libre concurrence : il s’agit par exemple 
  du poujadisme des années 1950…
  L’on retiendra donc que les 30 Glorieuses ont marqué l’histoire par sa 
  formidable croissance durable, qui a accompagné des transformations dans 
  le monde du travail : progression du niveau de vie, tertiarisation…Même 
  les perturbations dans le monde n’ont pu ralentir cette croissance : la guerre 
  de Corée est l’élément permettant au Japon de relancer 
  son industrie, et les conflits internationaux sont l’occasion de relancer les 
  industries d’armement et donc de relancer la croissance. Même si on a 
  pu observer quelques manifestations de salariés au lendemain de la guerre 
  (aux Etats-Unis notamment), l’on ne peut nier que les 30 Glorieuses ont permis 
  aux pays développés d’accélérer leur progression, 
  surtout pour les pays distancés (Europe continentale, Japon) qui ont 
  ainsi pu rattraper leur retard sur les Etats-Unis. Voyons désormais comment 
  a évolué le rapport entre croissance et emploi dans les années 
  suivantes, surnommées les " 30 Piteuses ".
  1973 est l’année du premier choc pétrolier, de l’accroissement 
  des difficultés monétaires à l’échelle mondiale… 
  causant un ralentissement de la croissance, et cela même qu’elle atteignait 
  des sommets, et accélérant le processus inflationniste. La croissance 
  ralentit donc à partir de 1973 : elle est négative partout sauf 
  au Japon en 1975… et on voit apparaître le chômage. A cause 
  des hausses successives du prix du baril de pétrole (139 litres) entre 
  1973 et 1980 (le prix passe de 3$ à 36$ le baril), on assiste à 
  une hausse des prix des produits de base, une baisse du pouvoir d’achat des 
  pays développés, etc… : " La crise nourrit la crise 
  ". Le redressement de l’économie mondiale des années 1976-79 
  pendant lesquelles l’OCDE comptabilise 4% de croissance, ne permet pas une résorption 
  du chômage causé par la multiplication des faillites d’entreprise 
  : en 1975, on comptabilise 8.3% de chômeurs aux Etats-Unis.
  Par ailleurs l’on note l’évolution de la répartition des travailleurs 
  dans les différents secteurs : le mouvement de désertification 
  des campagnes amorcé auparavant s’amplifie. Prenons l’exemple de la France 
  en 1975 : 10% de la population active travaille dans le secteur primaire, 38.5% 
  dans le secondaire, et 51.74% dans le secteur tertiaire. L’agriculture continue 
  donc à décliner mais désormais l’industrie ne crée 
  plus d’emplois : le secteur tertiaire ne crée pas suffisamment d’emplois, 
  le chômage augmente.
  De plus, on assiste à la fin du Baby-boom, la natalité baisse 
  tellement que le renouvellement des générations n’est plus assuré, 
  ce qui affaiblit l’économie.
  Seul le Japon semble être protégé de cette baisse de croissance 
  et de la hausse du chômage : même si la croissance est négative 
  en 1974 (-0.6%) elle redevient immédiatement élevée (autour 
  de 3-4 voire 5%), sans doute parce que la déréglementation du 
  travail est plus engagée. En effet, en Europe notamment, comme il est 
  difficile de licencier les employés, les directeurs d’entreprises hésitent 
  plus à l’embauche et ainsi le chômage s’accroît. 
  Les années 1973-82 sont également marquées par la fin de 
  l’essor des " vieilles industries " ayant permis la Seconde Révolution 
  Industrielle : le textile, les industries dérivées du pétrole, 
  la sidérurgie… sont out particulièrement en difficulté 
  alors qu’apparaît une nouvelle génération de produits : 
  les biens électroniques.
  A partir des années 1973-82 le chômage a donc fait sa réapparition, 
  sauf au Japon, il ne disparaîtra pas, si ce n’est aux Etats-Unis, avant 
  1997. Les années 1983-89 marquent le retour de la croissance à 
  l’échelle mondiale : 3.6 en moyenne pour l’OCDE, cette croissance est 
  due à une stabilité monétaire, et des prix, la confiance 
  revenue des investisseurs…Elle ne marque cependant pas la fin de l’envolée 
  du chômage en Europe. En effet, non seulement son taux approche les 10% 
  en France, mais en plus, la qualité de l’emploi s’est détériorée 
  : la qualité de vie des travailleurs fléchit à cause de 
  l’instauration des CDD, du travail à temps partiel, mais aussi des chômeurs. 
  Il semble qu’en Europe le chômage ne soit plus conjoncturel, mais structurel 
  puisqu’en temps de croissance il persiste. Le sous-emploi gagne également 
  en importance.
  Ces années marquent également une évolution politique ayant 
  des répercussions sur la croissance comme sur l’emploi -arrivée 
  de dirigeants politiques aux convictions néolibérales : il s’agit 
  de Margaret Thatcher au Royaume Uni (1979-90) et de Donald Reagan aux Etats-Unis 
  (élu en 1980). Ils appliquent une politique de privatisation, de désengagement 
  de l’Etat dans l’économie… Cette politique a un effet bénéfique 
  pour la croissance (environ 4% de croissance aux Etats-Unis et au Royaume Uni 
  à cette date), mais elle implique une nouvelle baisse de qualité 
  de vie, de qualité de l’emploi pour les salariés. Cette politique 
  sera par la suite appliquée dans d’autres pays, en France notamment dans 
  un gouvernement de gauche -celui de François Mitterrand, après 
  l’échec de ses nationalisations en début de mandat.
  Les années 1990 marquent l’avènement d’une nouvelle crise à 
  l’échelle mondiale pour la croissance comme pour le taux de chômage. 
  Ses origines sont diverses tout comme sa durée : la reprise américaine 
  débute dès 1992 alors qu’elle n’intervient pas avant 1997 en Europe.L’on 
  observe par exemple entre 1990-93 une croissance moyenne de 1.8% tandis que 
  le taux de chômage français atteint les 12.4% de la population 
  active en 1997 ! Croissance et emploi évoluent donc ici simultanément.
  A baisse du secteur agricole est confirmée, celle de l’industrie s’amorce 
  plus franchement, tandis que les services explosent : prenons l’exemple français 
  en 1997 : 3.5% de la population active est employée dans le secteur primaire, 
  26.5% dans l’industrie, et 70% dans les services. En parallèle, l’on 
  observe la confirmation de la baisse de la qualité de l’emploi : en 1996, 
  37.5% de la population active française travaillait à temps partiel 
  ou avait un emploi précaire, voire pas d’emploi du tout, ce qui représente 
  plus d’un tiers des actifs !
  Les années 1997-2000 marquent le retour à la croissance (supérieure 
  à 3% en Europe) mais cette fois, contrairement aux années 1983-89, 
  le chômage se réduit lui-aussi sensiblement : il est aujourd’hui 
  inférieur à 10%de la population active en France par exemple. 
  Cependant, il semble que les emplois précaires se généralisent, 
  même si les qualifications exigées sont de plus en plus élevées.
  Parmi les économies développées, seul le Japon a connu 
  de nouvelles difficultés pendant cette période : il s ’agit de 
  la crise asiatique de 1997-98, et même si la croissance s’est ralentie 
  et que le chômage a augmenté, la confiance semble être revenue.
 Finalement, après cette analyse l’on peut conclure que 
  croissance et emploi ne fonctionnent pas mécaniquement ensemble. En effet, 
  si entre 1950 et 1973 l’on cumule la croissance, l’absence de chômage 
  et la hausse de la qualité de l’emploi, les années 1983-89 avec 
  la croissance mais aussi la persistance du chômage et la baisse de la 
  qualité du travail nous illustre cette théorie. Et finalement, 
  si l’exception des années 1950-73 justifie sa dénomination de 
  30 Glorieuses, il semble que les 30 Piteuses évoquant les années 
  1973-2000 soient schématiques parce qu’il faut préciser que les 
  crises successives étaient étranges puisque dans un contexte d’inflation, 
  de progression des échanges, de hausse globale de la production… 
  Sans doute le mot " crise " est-il exagéré, car celles-ci 
  sont incomparables avec la Grande Crise des années 1930. Peut-être 
  faut-il alors l’interpréter par sa signification étymologique 
  : " crisis " signifie passage en grec, passage à une ère 
  nouvelle, une nouvelle révolution, basée sur l’électronique 
  et plus précisément sur les NTIC.