La technique est-elle une activité neutre ?

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Bonne Copie d’Intégrale/Initiale à paris. Cette copie a été notée 15/20. Le commentaire du professeur est : Le sujet est bien traité, complet intéressant, le style est correct.

Bonne copie du lycée : 75 - Paris - Intégrale - Initiale

Cette copie a été notée : 15 / 20

Commentaire du professeur : Le sujet est bien traité, complet intéressant, le style est correct.


Untitled Document L’analyse de l’activité technique au cours de l’histoire faire apparaître deux sortes de perceptions : l’une, ’ancienne’, d’un procédé visant à copier et compléter la nature pour en tirer un effet utile, l’autre, ’moderne’, d’un ensemble de procédés déduits d’une connaissance scientifique et permettant d’en opérer des applications.
La technique est-elle une activité neutre ? Quelles sont les incidences de la technique ? Peut-elle engendrer conflits, discriminations, inégalités ? N’est-elle pas source de progrès, hausse de niveau de vie ?
Si l’activité technique peut nous sembler neutre, celle-ci peut se révéler comme étant source d’inégalités parmi les hommes, et avoir de grandes conséquences sur la nature.


La technique est-elle une activité neutre ? Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’une activité neutre ? Neutre vient du Latin neuter : ni l’un ni l’autre ; est neutre qui ne prend partie ni pour l’un ni pour l’autre dans un conflit, une discussion, un désaccord ; s’emploie le plus souvent pour désigner un pays qui ne participe pas aux hostilités engagées entre d’autres pays. Quelqu’un ou quelque chose de neutre est objectif, impartial, ou bien encore n’est marqué par aucun accent, aucun sentiment. Neutre désigne donc un certain immobilisme, une absence de conséquences, ce qui est en pure contradiction avec le terme activité technique. Parler d’activité neutre peut alors être pris comme une oxymore, ce qui est paradoxal. Cependant, on peut élargir le concept : en effet, un pays neutre est un pays sensé être en bons termes avec ses voisins, dans le cas contraire, il ne serait pas neutre. Neutre ne désigne ainsi pas seulement quelque chose de ni bon ni mauvais, d’impartial, mais aussi et surtout quelque chose de bon. S’interroger sur la nature de l’activité technique revient donc à s’interroger sur ses conséquences.
La réflexion antique sur la technique s’intègre plus généralement dans une réflexion portant sur la poétique, c’est à dire la production des êtres. L’étymologie grecque vient de tecnh [en grec dans la copie !!], nom qui désigne l’art manuel, l’industrie, le métier, la profession, et l’art, l’habilité à faire quelque chose (activité manuelle), ou même selon certaines sources du verbe teknow [en grec dans la copie !!] engendrer, procréer. Chez les Grecs, l’activité technique et l’art désignaient la même chose, et avait une connotation péjorative car alors réservée aux esclaves, aux métèques, ou aux artisans. L’homme libre, lui, se réservait les sciences, la philosophie, la dialectique, la musique… c’est à dire tous les travaux intellectuels et non-manuels, les arts libéraux. La technique avait alors une valeur neutre, elle ne faisait qu’exécuter ce que la nature est impuissante à réaliser, et imiter celle-ci comme nous l’explique Aristote dans la Poétique. Dans l’Antiquité, le substantif technique désignait l’ensemble des procédés d’un métier ou d’un art, codifiés et transmissibles, qui permettent d’obtenir un effet jugé utile.
L’activité technique s’oppose à l’activité intellectuelle qui, seule, peut prendre position et avoir une opinion. . Comme le dit Alain : " Les métiers n’ont point éveillé la raison ". La technique serait ainsi une activité neutre dans le sens que seule l’activité intellectuelle peut être bonne ou néfaste, seules les applications de la technique ne peuvent pas être neutres.
Ainsi Aristote analysait la neutralité de la technique en expliquant que la main ne prend de signification que par l’intelligence qui met en exergue toutes ses potentialités. En effet, il reviendrait au même de s’interroger si la main était une partie neutre.
La puissance chez l’homme est avant tout une question d’intelligence et d’habilité. Ulysse dans l’Odyssée doit ses succès certes grâce à de la techniques, mais celle-ci n’est que l’application de ses ruses et de son habilité : elle est neutre.
Dans une bataille, l’activité technique ne permet le succès que dirigée par un bon stratège ou du moins un stratège meilleur qu’en face, ainsi, en elle-même, la technique est une notion tout à fait neutre, elle n’influe rien sans l’homme, seule l’utilisation de celle-ci peut être bonne ou mauvaise. Les conflits ne sont décidés que par les hommes, la technique n’a pas de conscience, elle désigne un savoir-faire, une mesure engendrée par les hommes, et non une chose physique. La technique en tant que telle ne pense pas, ne réfléchit pas, ne prendra aucune décision fondamentale toute seule. L’activité technique n’est qu’une conséquence de la volonté des hommes. Une activité technique n’est alors bonne ou mauvaise que selon ce qu’a prévu ou négligé l’homme.
L’activité technique selon sa définition ’ancienne’ sert ainsi à compléter ou copier la nature, or ceci ne peut être que neutre : il s’agit simplement d’une extension, d’un élargissement de la nature que produit l’homme à partir d’une déficience de celle-ci, avec pour objectif un meilleur résultat. On se rapproche ainsi des notions de progrès, travail, sciences et expériences.
Le progrès est-il mauvais ? Quels sont ceux qui doivent d’être en vie aujourd’hui aux techniques et aux progrès de la médecine ? Oui, … beaucoup !
La conception qu’ont les Anciens au sujet de la neutralité de la technique, encore répandue aujourd’hui, viendrait en fait du fait de l’opposition technique et intellectuel comme on peut le constater aujourd’hui entre bacs techniques et généraux. La technique n’est cependant pas plus méprisable que la science. Cependant, si l’activité technique ne désigne dans un sens ancien qu’exclusivement quelque chose relatif à une production, à quelque chose de neutre, à l’art, son sens moderne s’élargit très largement pour désigner la majeure partie de ce qui est artificiel, ainsi, la science a sa technique tout comme la politique : on parle même de technocratie.


La technique est-elle une activité neutre ? La notion de neutralité totale chez l’Homme ne serait effective que dans une société à l’état de nature telle que la conçoit Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, ceux-ci ne faisant qu’errer parmi une nature bienveillante. Les aléas de la nature conduisant à l’organisation des hommes en société furent aussi le point de départ de la technique, dont le sens premier dans l’Antiquité n’est autre que l’ensemble des procédés d’un métier ou d’un art, codifiés et transmissibles, qui permettent d’obtenir un effet jugé utile. L’activité technique est alors l’alternative de l’homme à sa soumission à la nature, c’est pour lui l’ensemble des savoirs-faire relatifs à sa survie. Les premières activités techniques furent ainsi sans doute la chasse et la pêche. La technique se rattache alors à la notion de progrès et de travail. Inévitablement, celle-ci devient alors un facteur d’inégalités. Qui dit inégalités dit le plus souvent soumission ou conflit, ainsi, la technique ne serait pas une activité neutre puisqu’elle serait la source de la majeure partie des rivalités des hommes, comme l’analyse Habermas dans La science et la technologie comme idéologie : la technique est un gage de puissance et d’expérience.
Chez Heidegger (" Essais et conférences : la question de la technique "), la technique ne représente pas seulement un ensemble de moyens pour parvenir à certaines fins, mais une façon d’être par rapport à la vérité et à l’être, une vision du monde. L’essence de la technique n’est pas instrumentale : la technique, c’est le savoir lui-même. " Cette appellation englobe alors tous les domaines de l’étant, qui forment à chaque instant l’équipement du tout de l’étant : la nature objectivée, la culture maintenue en mouvement, la politique dirigée, les idéaux surhaussés. La " technique " ne désigne donc pas ici les différents secteurs de la production et de l’équipement par machines. "
La technique a vu diversifier sa connotation au cours des âges. On distingue en effet d’abord l’outil : on ne peut plus concevoir l’homme sans ses outils, c’est-à-dire tout ce dont il peut se servir. Puis est apparue la machine : on voit l’homme se constituer des moyens d’action de plus en plus puissants et des instruments qui travaillent à sa place. Enfin, le machinisme :Y a-t-il libération ou asservissement de l’homme ? Relève de l’homme par la machine ou déshumanisation d’un monde mécanisé ? Si Friedmann affirme que " L’homme est plus grand que sa tâche ", lorsque l’on considère l’analyse de Marx, la Révolution Industrielle et toute l’histoire du XXème siècle avec le taylorisme et le Fordisme, on se rend compte de l’influence de la technique sur la vie d’une société : avant, la technique était affaire de spécialistes, ce qui constituait déjà une inégalité ; avec le fordisme et le taylorisme et la décomposition des tâches, la technique est à la fois une source de fracture sociale, d’assistanat général et même de victimes de la technique qui est omniprésente, qui nous dépasse, qui gère tout. On arrive à des satires violentes du progrès à l’instar de Charlie Chaplin dans ’Les temps modernes’ ou plus récemment ’Matrix’ où sont mises en scène les machines (" la matrice ") comme dominant le monde, assez révélatrice du niveau atteint.
La technique a de plus un point important de divergence avec toute notion de neutralité lorsque l’on prend en considération la guerre chez les hommes où l’évolution de celle-ci suit une loi de Gabor telle que tout ce qui est possible sera nécessairement réalisé. La technique a ici aussi une importance primordiale dans son effet de dissuasion. Là, le pays le plus évolué techniquement gagne nécessairement (cf. l’hégémonie américaine et la fin de la Guerre Froide).
Le Communisme, ’la plus grande foi du siècle dernier’, était la révolution du prolétariat, c’est à dire des ouvriers de la technique. D’ailleurs, la plupart des mouvements sociaux depuis la fin du XIXème siècle sont consécutifs à des affaires techniques. Même en politique, il s’agit d’élire le meilleur technocrate, seul capable de diriger un Etat techniquement complexe, élu grâce à des techniques de campagne, des effets d’annonce.
La technique prend en otage les hommes modernes : qui n’a pas et refuserait l’électricité, une voiture, un téléphone … ? Elle est de plus un indicateur de richesse et de réussite sociale (cf. la voiture d’un individu).
La technique c’est le moteur de la société capitaliste et à fortiori de la concurrence et donc d’inégalités.
Même le sport, activité qui se voudrait être neutre : la formule 1, le Paris-Dakar, sans parler du problème du dopage sont otages de la technique.
Pour satisfaire ses besoins vitaux l’homme est conduit à élaborer certaines techniques empiriques, c’est à dire certaines activités pratiques découvertes par la méthode des essais et des erreurs. C’est en réfléchissant sur ces techniques, selon certains auteurs, que l’on serait parvenu à la connaissance scientifique. " La science, dit Belot, est née à la chasse, à la cuisine, à l’atelier, etc. " C’est qu’en effet, selon une remarque de Weber, " la pratique est génératrice de la théorie ". L’homme agit d’abord et il explique ensuite les résultats de son action. Ainsi " le rythme du progrès " (Weber) consisterait en un perpétuel passage de la pratique à la théorie et de la théorie à la pratique : l’activité technique dans ce cas ne pourrait pas être neutre car principe intégrant de la démarche intellectuelle scientifique. Cette thèse peut s’appuyer sur les arguments habituels du pragmatisme (Marx en un sens, James, Bergson) : la connaissance est au service de l’action, Homo faber précède Homo sapiens, l’intelligence spéculative procède de l’intelligence pratique. On peut aussi invoquer deux arguments d’ordre historique : A l’origine des sciences on trouve des techniques empiriques comme par exemple l’arpentage à l’origine de la géométrie ou la médecine à l’origine de la physiologie ; de nos jours encore, science et technique sont étroitement liées, soit que la recherche scientifique ait pour but la solution de problèmes techniques (travaux de Pasteur sur la fermentation alcoolique), soit que certaines découvertes techniques permettent des progrès scientifiques (microscope et microbiologie).On peut opposer à cette thèse un argument de fait et un argument de droit : En fait on trouve d’admirables techniques chez des peuples qui n’avaient aucune science (chez les sauvages notamment), ce qui prouve que la science ne procède pas spontanément de la technique. En droit on comprend mal comment la pensée scientifique qui est désintéressée et attentive aux moyens plutôt qu’aux résultats aurait pu naître des activités techniques qui ne visent qu’au succès et se désintéressent des moyens. Comme le dit Alain : " Les métiers n’ont point éveillé la raison ". Pour que l’effort de la compréhension que représente la science se produisît, il fallait que l’homme éprouva d’abord le besoin de comprendre (curiosité intellectuelle).
Peut-on dire que la technique est une activité neutre vis à vis de la nature ?
L’Homme grâce à la technique domine la nature. Tout ce qui est artificiel est technique de fait. La technique devient ainsi l’instrument de puissance des hommes sur la nature.
Le XXème siècle, le siècle du ’tout technique’, a vu paradoxalement l’émergence de nouvelles sensibilités : l’écologie et la bioéthique.
En effet, la pollution est actuellement un problème majeur pour la planète ainsi que toutes les conséquences de la technique humaine : les marées noires, le trou de la couche d’ozone, Tchernobyl, la bombe atomique, la déforestation amazonienne, l’avancée du désert, l’effet de serre, la pénurie d’eau, la vache folle, la myxomatose, le sang contaminé, les OGM, l’uranium appauvri, l’amiante, le rayonnement des lignes à haute-tension et des téléphones portables, l’effet des pesticides sur les abeilles, le cyanure dans le Danube, la liste est d’une longueur terrifiante ! On peut ajouter à cela tout ce qui a attrait à la génétique et qui n’a pas fini de nous surprendre. Parler d’une technique neutre semble pour le moins incongru à la vue de ces problèmes.
Si les exemples précédents ne sont pour la plupart qu’issus d’irresponsabilité, que dire du fait qu’une grande partie des décès dans le monde sont causés par des accidents automobiles.
Il est vrai que la technique a permis d’améliorer considérablement au cours des âges la santé, les communications et le niveau de vie des hommes, mais à quel prix pour la nature ?
Dans une conférence demeurée célèbre, Heidegger reprend le questionnement aristotélicien sur la technique et le radicalise. Il rappelle que la technique fait partie de la poétique, elle a à voir avec la production. Mais selon quel rapport précis ? Pour Heidegger, la lecture d’Aristote permet de penser la technique en tant que modalité du dévoilement. Par la technique, la nature se dévoile, elle n’est plus cachée, elle se découvre et apparaît dans sa vérité. Ainsi, selon Francis Bacon, si " le but de la connaissance c’est la domination de la nature (…)l’homme interprète et ministre de la nature, n’étend ses connaissances et son action qu’à mesure qu’il découvre l’ordre naturel des choses, soit par l’observation, soit par la réflexion ; il ne sait et ne peut rien de plus. ". Selon lui, " on ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant ". On se rend bien compte périodiquement de la fragilité de la technique face aux forces de la nature. Ainsi, la ’puissance’ de l’homme est toujours dominée par l ’inattendu, du Titanic au tremblement de terre de Kobe réduisant en miette les constructions ’anti-sismiques’, les tempêtes et les volcans …
La technique a ses limites comme on peut le voir aussi au niveau des êtres vivants malgré un progrès certain. Par exemple, le vieillissement prématuré de la brebis Dolly montre les limites du clonage, les mutations du sida, les échecs de greffe (de mains entre autres) gardent l’Homme de tomber dans la technolâtrie.


La nature finissant toujours par l’emporter, nous montre bien une certaine neutralité, une certaine impuissance de l’activité technique qui ne vit et ne peut vivre que par les hommes et la transmission qu’ils en font.La technique n’est en fait pas neutre par le simple fait d’une volonté de puissance des hommes, source d’inégalité, de destructions, mais aussi de prouesses, de progrès et de vie.
La technique ne doit pas faire oublier la place de l’Homme, qui ne doit pas être traité comme une machine à l’image du " Meilleur des mondes " d’Aldous Huxley ou de 1984. Si la technologie peut nous inspirer technolâtrie, techno phobie ou complète indifférence, le vrai problème que soulève la technique est celui de l’éthique avec la place de l’Homme. La technique constituant l’histoire de l’humanité et sa survie reste un des éléments les plus complexes et importants à traiter.