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A priori, il nous semble évident qu’il faille mettre
toutes les forces de la nature au service de l’homme, aussi bien pour garantir
sa survie que son bien-être personnel. Cependant, l ’on ne peut nier la
dangerosité de cette toute puissance lorsque l’on analyse toutes les catastrophes
naturelles causées par l’homme (drames de Tchernobyl, de l’Erika…).
Aussi l’on peut être amené à se demander s’il est légitime
que l’homme exerce sa toute-puissance envers la nature dans son ensemble, en d’autres
termes : Faut-il mettre toutes les forces de la nature au service de l’homme ?
Dans cette réflexion, nous tenterons de répondre à cette
question, et pour cela, nous essaierons de définir un statut à l’homme
par rapport à la nature, c’est-à-dire de trouver sa place, son rôle
dans la nature.
Il nous paraît évident que l’homme ne peut vivre
sans utiliser la nature, et cela parce qu’il a des besoins vitaux qu’il ne peut
satisfaire qu’en utilisant les forces de la nature. Ces besoins sont d’ordre
alimentaire par exemple… et il paraîtrait aberrant de refuser cette
aide de la nature et ainsi de se laisser dépérir uniquement pour
ne pas utiliser les forces de la nature. " La Genèse ", extraite
de " La Bible ", justifie d’ailleurs cette utilisation de la nature
par l’essence même de l’être humain : Dieu créa l’homme à
son image, à sa ressemblance, et cela dans le but qu’il domine "
les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes
sauvages, et toutes les bestioles qui rampent sur terre ", c’est-à-dire
qu’il domine la faune dans son ensemble, et cela ne peut être que bon
puisque l’homme est crée à l’image de Dieu, un être bon
par définition : il n’y a dans cette philosophie aucun risque de destruction
ni de perversion de la nature.
La grandeur de l’homme n’a pas seulement été énoncée
dans " La Bible ", mais aussi par des auteurs non chrétiens,
comme Sophocle par exemple, dans sa version d’ " Antigone ", dans
laquelle il écrit : " Il est bien des merveilles en ce monde, il
n’en est pas de plus grande que l’homme. ". Sophocle établit également
la supériorité de l’être humain par rapport aux éléments,
supériorité légitime car lui seul "peut prendre (…)
la route du mal tout comme du bien ". L’homme étant doué
de raison, l’on ne voit pas pourquoi il ne pourrait jouir à sa guise
de toutes les forces de la nature. Cependant, il est vrai qu’actuellement l’homme
ne domine pas entièrement la nature, qu’il ne peut, par exemple, stopper
la dérive des continents, ni arrêter un volcan en éruption.
S’il domine les animaux, peut-on dire de l’homme qu’il domine les éléments
?
Actuellement, l’homme ne contrôle pas les éléments, mais
pourquoi ne pas réaliser ce projet ? Descartes, dans le " Discours
de la méthode " suggère de réaliser des progrès
en matière de la connaissance de la " force et les actions du feu,
de l’eau, de l’air, des astres " afin que nous puissions être les
" maîtres et possesseurs de la nature ". L’homme étant
doué de raison, il est donc capable d’être son libre-arbitre, il
est responsable de ses actes, responsabilité exaltée par le courant
philosophique existentialiste, et ainsi l’on ne voit pas pourquoi interdire
à l’homme d’utiliser toutes ou quelques forces de la nature.
Par ailleurs, l’homme pris seul comme individu dans la nature, à l’image
de Robinson Crusoé dans " Vendredi ou les limbes du Pacifique "
de Michel Tournier, semble tout à fait capable d’apprivoiser les éléments,
d’utiliser toutes les forces de la nature à sa disposition pour sa survie
et son épanouissement personnel, et cela sans la pervertir ni la détruire
: il cultive les terres, élève les animaux… tout en gardant
un profond respect pour son île, Speranza, qu’il considère et respecte
comme un être à part entière : tantôt sa mère,
tantôt sa femme…
L’homme peut par ailleurs se servir des forces de la nature pour améliorer
la nature, l ’embellir. C’est notamment le cas après chacune des catastrophes
naturelles contemporaines : grâce au nucléaire, à l’énergie
électrique, les séquelles de la tempête de décembre
1999 ont pu être effacées dans les forêts par exemple. L’homme
est donc capable d’utiliser les forces de la nature pour la nature elle-même.
Par ailleurs, il est vrai que l’homme a une fonction fondamentale pour la nature
: il lui donne un sens. En effet, sans présence humaine, l’existence
du pétrole ou d’autres ressources brutes serait vide de sens et de finalité.
De tout cela on déduit que l’homme donne un sens et une finalité
aux forces de la nature qui seraient absurdes sans sa présence, mais
il cherche par ailleurs à préserver cette nature, et pour cela
il lutte contre la pollution… et l’on ne peut qu’admettre que dans les
phénomènes de réchauffement de la planète…
l’homme ne fait qu’accélérer un processus déjà existant
avant son apparition.
Si à première vue l’on ne trouve pas d’utilité
à la limitation des pouvoirs humains sur l’utilisation des forces de
la nature, l’on ne peut nier que les hommes ont parfois causé des catastrophes
dues à une mauvaise maîtrise des forces de la nature.
Par son essence même, l’homme est imparfait, et même
si nous supposons qu’il a été crée à l’image de
Dieu, cela ne signifie pas qu ’il soit Dieu. Puisqu’il est imparfait, l’on ne
peut éviter qu’il commette des erreurs, erreurs qui pourraient prendre
des proportions gigantesques s’il disposait de toutes les forces de la nature
et dont on peut en deviner l’ampleur grâce à la puissance de la
bombe atomique par exemple, ou toute autre force que l’on saurait extraire à
partir d’une réalité physique (les interactions entre les atomes
pour la bombe atomique) et donc appartenant par définition à la
nature.
Donner toutes les forces de la nature pour le service de l’être humain
serait donc une menace permanente d’abus inévitables. Par ailleurs, le
problème de l’avenir s’impose ici puisque si nous utilisons toutes les
forces de la nature pour notre propre intérêt aujourd’hui, l’on
peut se demander à quoi ressemblera notre planète dans quelques
siècles. Augustin Cournot pose cette question dans ses " Doctrines
Economiques " et affirme que supposer que dans quelques siècles,
l’on aura certainement plus besoin de pétrole pour se déplacer
ou pour se chauffer n’est pas un argument justifiant la consommation totale
de ressources. Il apparaît donc ici que même si limiter nos demandes
est difficile, cela est nécessaire : il ne faut pas, dans cette optique,
mettre toutes les forces de la nature au service de l’homme, ou du moins, il
ne faut pas toutes les consommer pour notre seul intérêt immédiat.
L’on ne peut nier que toutes les conséquences que peut avoir l’utilisation
humaine de toutes les forces de la nature ne peuvent être que néfastes
pour cette nature. En effet, quel peut être l’intérêt pour
notre planète de nous livrer toutes ses tonnes de pétrole brut,
si ce n’est d’arriver dans quelques décennies ou dans quelques siècles
à épuisement ? Cette toute puissance de l’être humain sur
la nature ne peut aboutir qu’à l’épuisement des ressources, la
destruction ou la pollution. La conclusion évidente d’un tel argument
est qu’il ne faut pas mettre toutes les forces de la nature au service de l’homme.
De plus, une nouvelle difficulté intervient : il s’agit de l’introduction
de la notion de droit. Nous utilisons les forces de la nature (nucléaire…)
pour notre confort : c’est un état de faits, mais est-ce un état
de droit ? Avons-nous le droit de disposer de la nature comme nous le souhaitons
?
Dans ces deux premières parties, il apparaît un
paradoxe : non seulement l’homme a un besoin vital des forces de la nature,
mais en plus, il ne paraît pas capable de maîtriser la puissance
de toutes les forces de la nature. Les deux différentes positions développées
correspondent en réalité à deux différentes conceptions
de la nature : le naturalisme conservateur d’une part, et d’autre part, le naturalisme
révolutionnaire, tous deux évoqués par Clément Rosset
dans son œuvre l’ " anti-nature ". Le naturalisme révolutionnaire
correspond à la première partie de notre argumentation, et est
autrement appelé mystique de la répression. Cette théorie
suppose que la véritable nature des choses n’est pas encore parvenue
à éclosion à cause d’obstacles constituant la répression
, répression qui cherche à vaincre la révolution en question.
Cette révolution propose de remettre les choses dans l’ordre, en brisant
une résistance qui fait artificiellement obstacle au développement
naturel de l’humanité. Dans cette conception, il nous paraît évident
que puisque la nature n’est pas encore parvenue à éclosion, l’homme
ne brisera pas un idéal en utilisant les forces de la nature pour ses
propres fins.
Au contraire, dans la seconde partie de notre argumentation, nous traitons d’une
autre conception du naturalisme : il s’agit du naturalisme conservateur autrement
nommé mystique de la falsification. Dans cette conception, la nature
des choses a été en quelque sorte donnée une fois pour
toutes, et elle se perd progressivement dans le cours de l’histoire. Il est
évident que pour une telle théorie, toute modification, toute
évolution est inévitablement néfaste. Cette pensée
implique donc le refus catégorique de toute intervention humaine en rapport
avec les forces de la nature, puisque nos récentes hantises telles que
celle de la pollution ou du chimique traduisent en réalité une
forme actuelle de naturalisme conservateur.
Si l’on ne peut répondre catégoriquement à la question
: " Faut-il mettre toutes les forces de la nature au service de l’homme
? " sans doute est-ce parce que nous ne savons pas définir l’être
humain, que nous ne nous accordons pas tous sur son statut : quel est son rôle
dans la nature ? Quelle est sa place dans l’univers ?
Dans notre société profondément marquée par la religion
chrétienne et donc par " La Bible ", l’on a tendant à
considérer l’être humain comme maître tout puissant de la
nature , puisque créature de dieu à son image, crée en
dernier, avec pour but de dominer la nature : " Soyez féconds, multipliez,
emplissez la terre et soumettez-la ". Sans cette philosophie, l’être
humain se situe au sommet de la nature et puisqu’il la domine, il paraît
évident que toutes ses forces doivent être à son service.
Cependant, cette théorie est insatisfaisante puisque n’expliquant pas
l’irrationalité interne à chaque esprit humain. En d’autres termes,
si cette théorie avait été vraie, jamais Auschwitz n’aurait
existé.
Une seconde théorie définit l’être humain : il s’agit de
la conception scientifique de l’homme. En effet, l’on peut également
définir l’homme comme étant uniquement physique et chimique. Nous
ne pouvons nier que nous sommes tous biologiquement des " tas de molécules
ordonnées ". Dans ce cas, est-il légitime de considérer
qu’un tas de molécules ait des droits de domination sur le monde, lui
aussi un tas de molécules ? Cette théorie permet de légitimer
des limites à l’être humain dans l’utilisation des forces de la
nature, cependant, elle aussi est insatisfaisante car incomplète puisque
ne prenant pas en compte le caractère raisonnable de l’être humain.
En effet, en plus des autres " tas de molécules ", l’homme
est lui doué de raison, de pensée… Et comment expliquer scientifiquement
qu’un tas de molécules parvienne à penser, à ressentir
des émotions ?
Si l’homme n’est ni le maître absolu des éléments, ni uniquement
un " tas de molécules ", peut-être est-il seulement un
être vivant doué de raison mais appartenant à la nature
au même titre que les animaux ou qu’un objet inanimé. Telle était
la conception grecque du monde et de l’homme. Cette théorie permet de
justifier la limitation des pouvoirs humains sur la nature en posant le problème
de sa légitimité : si nous appartenons à la même
nature, avons-nous le droit d’en disposer comme nous le souhaitons ? Cette conception
du monde et de l’humanité nous permet d’éviter des abus en matière
d’utilisation des forces de la nature bien que cette limite soit subjective
et donc difficile à définir, et cela même si notre amour-propre
accepte difficilement de ne pas être plus important qu’un animal ou un
végétal. Finalement, peut-être que le rôle de l’être
humain sur terre est de se développer, de s’épanouir au maximum
en évitant toute destruction ou toute action néfaste pour l’ensemble
de la nature, que nous en fassions partie ou non.
Au travers de cette réflexion, il apparaît une
grande dépendance de l’homme vis à vis de la nature. L’homme s
’approprie donc les forces de cette nature pour sa survie mais aussi pour son
loisir et c’est là qu’interviennent les difficultés : légitimité
de cette appropriation… Seul l’homme peut décider s’il doit se priver
ou non de ces forces, et alors qu’il nous semble que les limiter serait préférable,
le problème de la subjectivité de cette limitation s’impose à
son tour. La réponse au problème est peut-être alors simplement
une question de formulation : peut-être faut-il mettre toutes les forces
de la nature qui lui sont nécessaires au développement et au bien-être
humain en tentant d’éviter tout excès, et non pas mettre aveuglément
toutes les forces de la nature au service de l’homme.