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Le droit, c’est ce qui est conforme à une règle
précise ou ce qui est permis. Si on l’oppose au fait, le droit est ce qui
est légitime par opposition au réel qui peut ne pas l’être.
Le droit constitue l’instance extérieure qui garantit que les hommes peuvent
développer leurs relations dans un cadre donné. La notion de droit
fait en effet intervenir les notions de loi et de justice, propre aux hommes.
La nature, a-t-elle des droits ?
Le problème est posé par Luc Ferry : " Il s’agit de savoir
si l’homme est le seul sujet de droit, ou au contraire ce qu’on nomme aujourd’hui
la "biosphère" ou l’ "écosphère", et
qu’on nommait autrefois le cosmos. ".(Le nouvel ordre écologique)
Nous analyserons ainsi tout d’abord dans une première partie en quoi le
droit semble réservé aux hommes et exclure la nature, puis nous
verrons dans une seconde partie dans quelles mesures la nature est dépositaire
de droits.
La naissance du droit correspond au moment où les hommes
ont adopté des règles pour vivre en bonne intelligence en communauté
et garantir leur sécurité collective. Cet instant, Rousseau le
conçoit comme la sortie d’un état de nature où les hommes
pour se protéger des aléas d’une nature hostile ont fini par se
regrouper, par communiquer, et par suite, après la création de
la propriété privée, à établir un état
de droit : " Unissons nous, leur dit-il " (Discours sur l’Origine
des inégalités parmi les Hommes). Le concept de droit
est ainsi complètement artificiel et a été mis en œuvre
notamment pour protéger l’Homme de la nature. Dans cette optique, il
est clair que si la nature est à l’origine de la création de la
notion même du droit, elle n’en a aucun.
En analysant les écrits de Hobbes, on peut même constater un contraste
saisissant entre l’homme à l’état de nature résumé
par la formule : "l’homme est un loup pour l’homme" et l’homme civilisé,
où le fait d’être civilisé tient justement à être
bénéficiaire de droits mis en place
Dans les principales religions monothéistes, la place de l’homme par
rapport à la nature suit un schéma de dominant/dominé.
Nous lisons dans la Genèse : " Dieu dit " Faisons l’homme à
notre image, comme notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la
mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes
les bestioles qui rampent sur la Terre. " ", et plus loin : "
Dieu les bénit et leur dit : " soyez féconds, multipliez-vous,
emplissez la Terre et soumettez-la ". Le mythe du jardin d’Eden,
de la nature accueillante et nourricière, comme un objet de consommation
inépuisable est aussi présent chez les Grecs qui imaginaient un
âge semblable du temps du dieu Cronos.
Dès sa création, la nature est propriété de l’homme
qui a tout pouvoir sur elle, et celui-ci en est pleinement conscient : "
Ils en viennent à considérer toutes les choses existant dans la
nature comme des moyens à leur usage " (Spinoza, Ethique
I appendice). Ainsi la nature est pour Spinoza un outil confié par Dieu
aux hommes.
L’homme domine la nature par la particularité d’être " perfectible
" (Sartre) et par sa faculté de communication, contrairement aux
animaux qui ne survivent que grâce à leur instinct. La thèse
de Descartes sur l’inexistence du langage chez les animaux est liée à
la thèse de l’animal machine. Les animaux sont des automates, dépourvus
d’âme et de raison, alors que penser des végétaux et des
minéraux ! La nature ne semble pas à même de faire valoir
ses droits, si elle en a.
On dit quelquefois que c’est la force qui fonde le droit. Mais cette formule
est ambiguë. Rousseau a fort bien dit que si l’on est tenu d’obéir
au plus fort, c’est par nécessité physique et non par obligation
morale. La force établit un état de fait, mais le droit est précisément
autre chose que le fait. C’est en fait et non en droit qu’il faut obéir
au plus fort et que sa raison est toujours la meilleure. " Le droit est
de consentement " (Alain) et cela signifie que seul un libre accord, c’est
à dire un contrat, définit le droit. On peut même se demander
s’il est vraiment possible de mettre la force au service du droit car dès
que la force intervient, il n’y a plus de consentement libre, et par suite plus
de contrat légitime. Si l’homme est en mesure d’user de sa force contre
la nature, on sait que la nature peut en faire de même contre lui, mais
où se situerait ce ’contrat’ ?
L’existence de droits nécessite le pouvoir de les faire valoir, et ainsi
le pouvoir de communiquer, ce qui semble à première vue manquer
à la nature.
Mais si des hommes eux-mêmes pouvaient faire valoir des droits à
la nature, si des hommes prenaient la parole à sa place pour la défendre
?
Les mauvais côtés du progrès technique amènent l’homme
à reconsidérer la nature et à la comparer en une mère
nourricière : " Peuples, sachez donc une fois que la Nature a voulu
vous préserver de la Science, comme une mère arrache une arme
dangereuse des mains de son enfant … " ( Rousseau, Discours
sur les Sciences et les Arts ).
La Nature est-elle véritablement absence de règles, inorganisation
et indifférenciation ? Ce n’est nullement sûr. Il est tout à
fait possible de constater une organisation et un ordre dans les espèces
animales. Le monde naturel et animal ne se ramène nullement à
un élan individuel incontrôlé, et pas davantage à
la sourde violence des besoins. Il est déjà organisé. "
Si, par hasard, il nous arrivait d’oublier ou de perdre nos règles sociales,
nous ne tomberions pas dans une situation d’anomie ou de non-société
: nous retrouverions autour de nous, chez les autres animaux, un capital de
normes, le modèle de différents ordres sociaux. " (S. Moscovici,
La société contre nature).
Les droits de la nature peuvent également être considérés
par différentes religions, primitives tout d’abord où les dieux
ou le dieu sont une partie intégrante de la nature, ou encore certaines
créatures revêtent un caractère sacré ; parfois,
la nature même est adorée comme un dieu. La place de certains animaux
dans certaines religions revêt encore de nos jours un aspect sacré
(exemple des vaches sacrées en Inde). Même en occident, notamment
au Moyen-Âge sous l’égide du christianisme, la nature en tant que
don de Dieu est déjà personnifiée. Ainsi Saint François
d’Assise (1182-1226) n’hésitait pas à personnifier très
sérieusement la nature pour en rendre grâce à Dieu : Dame
nature, frère soleil, frère âne… Luc Ferry nous rapporte
notamment le déroulement de procès très équitables
du Moyen Âge où déjà un être de la nature connaît
la même place juridique que l’homme. On se rend ainsi compte que la personnification
de la nature n’est plus le fait seul des poètes mais est une anecdote
continue de l’histoire de l’humanité.
La notion de droit s’appliquant à la nature fait logiquement intervenir
la notion de justice. La justice est en effet la norme idéale qui définit
le droit ou son principe même. Mais qu’exprime-t-elle exactement ? Essentiellement
une certaine égalité. Ainsi, chez Platon, l’idée de justice
est celle de l’harmonie, Aristote à sa suite introduit déjà
une certaine notion de l’égalité. Il est flagrant de constater
que le souci de préservation de la nature suit la révolution du
sujet dans l’histoire de l’humanité pour atteindre un aspect encore inégalé
et peut-être jamais aussi nécessaire dans l’histoire de l’humanité
Les Sociologues de même nient le droit naturel : " Chacun a des devoirs
et envers tous ", disait Comte, " mais personne n’a aucun droit proprement
dit ". Dans l’homme " tel qu’il se présente à l’analyse
empirique ", remarque Durkheim, on ne trouve rien qui lui confère
des droits ; " cette espèce d’auréole de sainteté
qui entoure l’homme et qui le protège contre les empiètements
sacrilèges, l’homme ne la possède pas naturellement ". C’est
donc la société seule qui peut donner des droits à l’homme.
" Les mœurs ne s’opposent pas au droit mais au contraire en sont la
base ", car les droits que la société confère à
l’homme sont ceux qui répondent aux exigences de la vie sociale. Ce qui
fait mon droit, c’est le devoir du voisin. Le fondement du droit se trouve finalement
dans l’utilité sociale ; pas plus que pour Hobbes, l’individu ne peut,
pour les sociologues, revendiquer son droit contre la société
à laquelle il appartient. Ainsi, si la nature a des droits, c’est uniquement
par le fait de l’homme qui prend conscience qu’il fait partie intégrante
de la nature, et que sa survie dépend de la bonne santé de celle-ci.
L’homme domine maintenant la nature. Il s’agit là d’un fait relativement
récent, qui remonte pour Howells à environ 4 000 ans. Actuellement,
avec les progrès des techniques, l’homme peut agir sur le milieu, le
recréer comme il le souhaite, voire le forger de toutes pièces.
Cependant, ce milieu transformé exerce en retour une influence sur lui,
sans qu’il en ait toujours clairement conscience.
Le concept de droits pour la nature prend toute sa valeur et toute son importance
de nos jours après toutes les conséquences des techniques humaines
sur l’environnement depuis la Révolution Industrielle. Des catastrophes
aussi gigantesques que des marées noires, des retombées radio-actives,
le trou de la couche d’ozone, l’effet de serre et toute la pollution en général
ne laissent pas l’homme indifférent de son environnement. La révolution
progressive du sujet, surtout en occident, conduit logiquement à une
évolution en faveur de la nature : après l’interdiction de l’esclavage,
le bannissement de la ségrégation raciale, après la parité,
l’homme évolue et se consacre davantage aux ’droits’ de la nature, comme
en témoignent maintenant la place croissante de l’écologie en
politique, et même des grandes réunions internationales traitant
de la qualité de l’eau, de la réduction des gaz à effet
de serre, de la protection de certains animaux.
Depuis la première définition de Haeckel en 1866
: " Nous entendons par ’écologie’ la science globale des relations
des organismes avec leur monde extérieur environnant dans lequel nous
incluons, au sens large, toutes les conditions d’existence. ", si elle
n’est pas toujours reconnue comme une science, l’écologie a néanmoins
fait prendre conscience aux hommes des droits de la nature. Tout est en effet
affaire de culture scientifique, politique ou religieuse pour faire prendre
conscience à l’homme des droits de la nature. L’homme faisant partie
intégrante de celle-ci, la négliger, c’est se négliger
; en effet "nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres,
nous l’empruntons à nos enfants." (Antoine de Saint-Exupéry)