Les Expériences d’industrialisation avant 1914 montrent-elles que la technologie est condition suffisante du décollage ?

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 35 - Rennes - Lycée Chateaubriand

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Commentaire du professeur : Très bien compris, très bon plan. Effort très positif de structuration du développement. L’introduction peut être sensiblement améliorée, de même que l’ouverture en conclusion.


Untitled Document Dès le XVIIIème siècle apparaît, selon Mac Closkey, une " pluie d’innovations ". Ces innovations vont constituer un élément essentiel des révolutions industrielles en permettant le passage à une croissance intensive à une croissance extensive.
Mais peut-on considérer que la technologie est, aux XVIIIème siècle et XIXème siècle, une condition suffisante du décollage ? Ce facteur seul peut-il permettre cette grande transformation ? N’existent-ils pas d’autres facteurs qui doivent s’ajouter à celui-ci pour que l’économie des pays puissent décoller ? Selon J-F Gaski " une conjonction de circonstances doit avoir été présente pour fournir la base de l’industrialisation ". La technologie peut-elle alors constituer une condition suffisante, si son développement a dépendu d’autres facteurs ?
Dans un premier temps, nous aborderons les effets d’entraînement que provoquent les innovations d’un secteur à l’autre puis nous nous intéresserons à leurs conséquences ainsi qu’aux améliorations économiques permises par le facteur technologique. Enfin, dans un second temps, nous constaterons que le décollage peut dépendre d’autres facteurs, plus ou moins directs, et que le développement technologique est une production sociale.


Nous allons donc aborder les effets d’entraînement créés par les innovations, en particulier dans le cas du textile et de la métallurgie, puis leurs effets sur l’économie.
Selon Bertrand Gilles, " tout progrès dans une branche peut créer une demande dans les autres branches complémentaires et agit comme incitateur de l’innovation ". L’exemple du textile anglais montre parfaitement ce mécanisme. En effet, en 1733, John Kay invente la navette volante, innovation dans le domaine du tissage. Cette invention crée une rupture d’équilibre entre le tissage et la filature. On va donc chercher à améliorer la productivité dans la filature. Cette recherche va aboutir à l’invention par Hargreaves en 1765 d’une machine appelée Spinning Jenny. Cette innovation a permis d’utiliser plusieurs broches simultanément. D’autres inventions, telles que le Waterframe de Arkwright en 1768 et la mule jenny de Crompton en 1779, permettant d’améliorer qualité et solidité du fil, vont créer une nouvelle rupture d’équilibre entre filature et tissage. Ainsi, en 1785, Cartwright inventera le premier métier à tisser mécanique. Il apparaît donc que les innovations, dans un secteur en créent d’autres dans d’autres secteurs, mais l’exemple de la métallurgie est encore plus frappant et ce en une portée plus grande.
Le développement de la métallurgie en Angleterre, due à une demande de construction maritime, a entraîné une pénurie de bois. Cette pénurie a obligé à la substitution de la houille au charbon de bois. Par la suite, on a obtenu un minerai encore plus performant, la coke, grâce à la distillation de la houille. En 1709, Darby améliora le fer traditionnel grâce à la fonte. Enfin, en 1785, Cort invente un nouveau procédé, le pédalage, qui est en fait la décarburation de la fonte. Dans les mines, on cherche alors à extraire de plus de plus de houille, mais le problème du pompage des eaux dans les mines se posa. Pour y remédier, on tenta d’utiliser la pompe à feu inventé par Newcomen en 1720, mais cela ne fut pas assez efficace. James Watt inventa la machine à vapeur en 1769, en ajoutant à la pompe à feu de Newcomen un condenseur de vapeur. Il améliora son invention en 1785. Cette machine fut efficace et résolut le problème. Elle fut également utilisée pour le transport de pondéreux dans les mines, et plus tard pour le transport des voyageurs suite à l’invention de la locomotive par Stephenson en 1825. Cet exemple montre que la métallurgie a entraîné tout un ensemble de progrès dans de nombreux secteurs.

Ces effets d’entraînement ont bien entendu permis une amélioration conséquente de la productivité. Celle du textile a très fortement augmenté et la productivité globale a doublé en Angleterre entre 1700 et 1790. L’introduction de machines dans les usines a également permis d’importants gains de productivité. La création du chemin de fer a été un élément incontournable de la formation des marchés. En effet, cela a permis une mobilité croissante des actifs et une baisse du coût des marchandises transportées. Un marché plus concurrentiel est apparu. Cela a aussi amélioré l’information, ce qui a rendu plus facile l’introduction de nouvelles techniques. Les régions ont pu se spécialiser, ce qui est facteur d’une hausse de la productivité globale selon Smitt et sa théorie des avantages absolus. Les agriculteurs ont vu leurs débouchés s’améliorer. En effet, le chemin de fer a permis le transport de denrées telles que la semence ou le bétail. Pour certains historiens, cela constitue la vraie révolution agricole. L’introduction de nouvelles techniques dans l’agriculture a permis non seulement l’amélioration des rendements agricoles, mais aussi de créer des richesses qui ont pu être transférées plus ou moins directement vers l’industrie, par le biais de l’impôt, de l’investissement, de la demande d’outillage. Ainsi, selon Rioux, le facteur technologique est également prédominant dans la concentration des entreprises.


Nous avons donc vu que les innovations pouvaient avoir des effets d’entraînement très conséquents d’une branche à d’autres. La technologie a rendu possible une quantité énorme d’améliorations d’ordre économique. Mais face à Gaski, pour qui la technologie est une condition suffisante du décollage, viennent s’élever Rostow et Kranzberg, qui soulignent la multiplicité des conditions.



Tout d’abord, nous allons constater que le progrès technologique est une production sociale. Ensuite nous aborderons les autres facteurs qui agissent sur le développement de la technologie et le décollage.
L’évolution de la technologie, est en effet, un produit de la société. Un premier facteur très important l’a rendu possible. En Angleterre, au début du XVIIIème siècle, il n’y avait que 60% ou moins de la population qui était analphabète. C’est au même siècle que la " pluie d’innovation " s’abat sur l’Angleterre. Ainsi en France, si les agriculteurs avaient été plus instruits, ils auraient pu réaliser de meilleurs gains de productivité. Cela fit dire à Voltaire qu’ " on écrivit beaucoup de choses sur les progrès de l’agriculture, tout le monde les lut, excepté les laboureurs. " L’intérêt croissant pour les sciences et ses progrès constituent une variable à ne pas négliger dans le développement de la technologie. Ainsi très tôt en Angleterre ont été créées des Académies : la Royal Society à Londres en 1662 et l’Académie des Sciences à Paris en 1666. On cherche également à établir le lien entre progrès scientifique et application technologique. Le changement de mentalités résultant du développement du courant protestant calviniste a pu également être un facteur. En effet, cette religion prône l’importance du travail, incite à l’épargne, donc à l’impôt. Elle favorise aussi la prise d’initiative et considère la science comme un travail. Aussi l’emprise moindre des religions intolérantes et la remise en question résultant du schisme qui a vu la naissance de l’anglicanisme favorise la prise d’initiatives individuelles. Le progrès technologique est donc une production sociale. La technologie dépend également d’autres facteurs tels que le financement et la croissance démographique.

En premier lieu, la croissance démographique joue un rôle relativement important dans le décollage. D’une part la population doit être instruite sinon de moindres gains de productivités sont réalisés. Aussi, une faible croissance démographique peut accélérer l’application d’innovations. En Angleterre, une pénurie de main-d’œuvre a entraîné une intensification du travail, une plus grande utilisation de l’intensité capitalistique. Le Japon est un exemple contraire : la main-d’œuvre très nombreuse y a été un facteur de ralentissement de l’intensification du travail. Le facteur démographique est très important car il ne dépend pas de la technologie, car une majeure partie des facteurs favorables au décollage sont plus ou moins dépendants de la technologie. C’est le cas du financement. Bien évidemment, il faut des capitaux pour financer les innovations mais les retombées financières de ces dernières et les économies qu’elles permettent sont un facteur important. La croissance démographique et le financement sont tous deux des facteurs importants pour le décollage. La technologie ne dépend pas que de ces facteurs, mais aussi de l’Etat et de l’initiative privée.

Les innovations dépendent de la volonté des bourgeois et nobles à investir, à les mettre en application ainsi qu’à s’intéresser aux nouvelles techniques. Une bourgeoisie et une noblesse oisive est donc défavorable. Alexis de Tocqueville souligna cela dans le cas de la France en affirmant que " cette misérable ambition a plus nui au progrès de l’agriculture et de l’industrie en France que les maîtrises et la taille. " Les actions de l’Etat sont aussi déterminantes. Il doit favoriser l’instruction s’il veut favoriser les innovations. L’Etat ne doit donc pas avoir de comportement répressif envers innovateurs, tout au contraire. Il doit favoriser l’ouverture sur l’extérieur pour permettre des implantations plus nombreuses et plus faciles de nouvelles techniques ou machines.

Nous avons pu constater que la technologie jouait un rôle primordial dans le décollage, qu’elle constituait une condition nécessaire de celui-ci. Le développement de la technologie, grâce aux effets d’entraînements qu’il a générés, a permis une hausse de la productivité, aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie. Le développement du chemin de fer, en particulier, a permis la formation des marchés. Cependant, on ne peut considérer que ce soit une condition suffisante étant donnée qu’elle dépend d’autres facteurs tels que le financement, la croissance démographique, le rôle de l’Etat ou l’initiative privée. De plus, la technologie est un produit de la société. Elle a donc été une condition nécessaire mais non suffisante du décollage. Il y a une multiplicité de facteurs.
Mais un seul facteur peut-il ou a-t-il pu être une condition suffisante du décollage ?