Dans quelle mesure l’économie et le système capitalistes des pays occidentaux ont-ils évolué au XIXème siècle conformément aux analyses classiques et marxistes ?

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 75 - Paris - Lycée Montaigne

Cette copie a été notée : 15 / 20

Commentaire du professeur : Très bien. Bonne problématique. Bonne maîtrise des analyses économiques et historiques. Bonne compréhension des enjeux du sujet.


Untitled Document La récente fronde des étudiants français en économie prend de plus en plus d’ampleur. Les élèves se mobilisent contre un enseignement d’une science économique beaucoup trop mathématisée et surtout déconnectée de la réalité. La science économique moderne a pris un tournant dangereux. Mais qu’en était-il au XIXème siècle, à l’âge d’or des classiques et des marxistes ? Leurs analyses coïncident-elles avec les faits historiques ? Leurs études sur l’évolution de l’économie et du système capitalistes sont-elles avérées par l’histoire ?
Quel crédit accorder aux théories classiques et marxistes ? Quelles influence ont exercé les économistes de l’époque sur un capitalisme en pleine mutation ? Leurs études étaient-elles uniquement théoriques, ou bien appuyées sur des faits ? Les précisions qu’ils ont pu faire se sont-elles réalisées ? D’une manière plus générale, la question de la nature de l’étude économique se pose : économie politique ou science économique formelle et mathématisée ?
Il conviendra donc d’établir dans une première partie la fréquente clairvoyance des classiques et aussi leur influence sur le développement de l’économie du XIXème siècle. Il sera montré dans une seconde partie que les théories classiques et marxistes ne résistent pas toujours à la vérification empirique par l’histoire.


La Révolution industrielle, que les classiques ont connue, a été une période de fortes mutations, et notamment dans la structure sociale.
Un des faits marquants, révolutionnaires, pour beaucoup d’économistes de l’époque, est l’apparition d’un prolétariat. Son développement et sa constitution ont été bien étudiés par les classiques. Marx et Sismondi ont bien analysé ce phénomène de paupérisation. Marx particulièrement a théorisé le développement de cette classe et son opposition à la bourgesoisie capitaliste par le processus de la lutte des classes. L’analyse marxiste est avérée par l’histoire du mouvement ouvrier au XIXème siècle. Le nombre croissant des prolétaires, leur antagonisme de plus en plus fort avec la bourgeoisie a confirmé l’analyse marxiste.
A l’origine de ce prolétariat se trouvent le système usinier et l’urbanisation. Smith avait décelé l’importance de la division du travail dans la dynamique du capitalisme. La division du travail, Smith l’avait vu, était nécessaire pour améliorer la productivité. L’évolution historique montre donc la véracité de l’analyse de Smith.
Cette paupérisation croissante a suscité chez certains auteurs une prise de conscience de la misère populaire. Stuart Mill et Sismondi, tout en restant des libéraux, n’ont pas caché leurs sympathies pour le développement d’une législation sociale. Sismondi, dans ses Nouveaux Principes d’économie politique se déclarait favorable à une justice redistributive, à un embryon d’Etat-Providence. L’apparition puis le développement d’une législation sociale donnent raison à ces classiques un peu hétérodoxes.

Les classiques et les marxistes ont donc globalement compris les mutations sociales qui s’opéraient. Leurs analyses du mécanisme des crises du capitalisme montrent leur compréhension plutôt bonne du système capitaliste [Say s’est pourtant lourdement trompé, et seuls Malthus et Marx contestent sa théorie de l’impossibilité des crises de surproduction]. L’analyse de Malthus des crises est intéressante. Il décèle une sous-consommation des riches. Pour pallier cette insuffisance, il préconise le développement des classes moyennes, qui, n’étant pas assez riches pour épargner, consommeraient beaucoup et absorberaient ainsi les volumes de production trop importants sans cela. L’histoire du XIXème siècle lui donne raison. Parallèlement au développement du prolétariat apparaît une classe intermédiaire entre le prolétariat et la haute-bourgeoisie. Par sa consommation, cette classe va exercer une forte pression sur l’offre. Malthus avait donc vu juste.
La première partie de l’analyse des crises de Marx est également vraie : selon lui, chaque crise du capitalisme entraînait davantage de concentration industrielle et donc davantage de misère. L’évolution historique montre en effet un passage du capitalisme concurrentiel de petites entreprises au début du XIXème siècle à un capitalisme de grands groupes à la fin du siècle. Les hypothèses de Marx sont donc avérées par l’histoire.

Les classiques et Marx ont donc souvent fait des analyses vérifiées par l’histoire. En raison de cette véracité notamment, ils ont exercé une forte influence sur les mentalités économiques. L’engagement de Ricardo pour le libre-échange est symptomatique d’une époque où l’étude économique conduisait naturellement à l’action politique. Selon la théorie du commerce international et sa loi de la rente différentielle, Ricardo est un farouche partisan du libre-échange. Il militait donc avec Richard Cobden pour l’abolition des Corn Laws, barrières douanières qui empêchaient le blé continental d’entrer en Angleterre. Décédé prématurément, son œuvre militante sera poursuivie et achevée en 1846 par Cobden. Voici donc une décision politique importante (abolir les barrières protectionnistes) à l’origine de laquelle on trouve un économiste classique, même si la pratique commerciale des Etats-nations était très peu libérale (néo-protectionnisme, impérialisme, "libre"-échange imposé, …). Leur influence sur l’évolution du capitalisme a donc pu être grande.
Marx a aussi exercé une grande influence sur la société de l’époque, en raison de la prolétarisation de la société. Il est à l’origine de très nombreux courants de pensée qui ont marqué les sociétés occidentales jusqu’à aujourd’hui. Le développement d’une conscience de classe, d’un mouvement ouvrier trouvent leurs origines (pas seulement) dans Marx.


L’influence, la pertinence des classiques et des marxistes a donc été relativement importante. Globalement, les schémas classiques ont été avérées par l’histoire et ont montré une clairvoyance (plus ou moins grande) dans la compréhension d’une économie en profond bouleversement. Mais les classiques et les marxistes ont également créé des schémas improductifs, des théories qui n’ont pas été vérifiées par les faits.
La sous-estimation du progrès technique est récurrente chez les classiques. Malthus comme Ricardo (Ricardo toutefois moins que Malthus) négligent l’apport des machines et du machinisme.
Ricardo était pessimiste pour l’avenir du capitalisme ? Il craignait l’état stationnaire, période du capitalisme où la croissance serait nulle. Dans cette théorie, les industriels étaient lésés par rapport aux propriétaires fonciers, qui accumuleraient la rente au détriment du profit. Ricardo n’envisageait que deux solutions non pas pour éviter l’état stationnaire, mais pour retarder son avènement : le libre-échange et le progrès technique. S’il a tout misé sur le premier en militant pour l’abolition des Corn Laws, c’est surtout parce qu’il a sous-estimé l’apport du second. Se basant sur la loi des rendements décroissants et partageant le même pessimisme que Malthus, il n’envisageait pas de forte croissance de la productivité, ce en quoi il s’est trompé lourdement.
Si Ricardo s’est trompé, c’est en partie à cause de Malthus, auquel il emprunte des théories. Malthus, dans son Essai sur le principe de la population (1798), insiste sur la croissance trop rapide de la population face à celle des ressources. Il n’envisageait pas à sa juste valeur le rôle du progrès technique dans l’agriculture. Or un des faits marquants de la Révolution industrielle est la progression extraordinaire des techniques. L’économie et le système capitalistes ont été changés à jamais grâce au progrès technique. Les analyses de Malthus et de Ricardo sont donc erronées en partie car elles minorent beaucoup trop l’importance du progrès technique. Quant à la prévision historique de l’état stationnaire, force est de reconnaître que l’évolution économique du XIXème siècle y a échappé.

C’est dans ce domaine de la prévision/prédiction historique que l’on peut noter le plus grand échec d’une théorie économique : le marxisme . Marx analysait les crises comme autant d’étapes successives vers une concentration totale des entreprises, qui serait l’ultime marche avant la dictature du prolétariat, nécessaire pour conduire au communisme. Marx voyait dans le communisme le stade ultime, nécessaire et logique du capitalisme. Malgré sa théorie scientifique qu’il opposait aux socialismes vulgaires ou utopiques, Marx s’est trompé, tout au moins pour le XIXème siècle. Le capitalisme n’a pas abouti au communisme.
En effet, le capitalisme a su évoluer face à ce danger (et même peut-être " grâce à ce danger ", selon la thèse de Hobsbawm) que constitue le communisme pour lui. En adoptant peu à peu une législation sociale notamment, le capitalisme a tenté et réussi d’éviter le communisme. Les progrès de la condition ouvrière, si faibles soient-ils, ont tout de même permis au capitalisme de continuer à exister. L’évolution du système capitaliste s’oppose donc aux théories marxistes.


Les Classiques (comme Say, Ricardo), ainsi que Marx, ont donc fait quelques analyses qui n’ont pas été confirmées par l’histoire du XIXème siècle. Ces analyses restées théoriques sont situées principalement dans le champ des prédictions de l’évolution générale du capitalisme. Les Classiques avaient donc globalement une vision plutôt juste de la réalité de l’époque. Ils avaient en tout cas en tête de toujours mêler théorie et application politique.
Les Classiques étaient en tout état de cause plus proches de la réalité historique que ne le sont leurs " successeurs ", les néo-classiques. Enfermant l’économie dans des formalisations mathématiques très ardues, supposant des hypothèses tellement fortes qu’elles rendent leurs modèles totalement irréalistes et inutilisables.
C’est pour cela qu’aujourd’hui de plus en plus de voix se font entendre pour réclamer le retour à l’économie politique, qui avait comme qualité de mêler science économique et faits historiques.